Firouzja est-il la réincarnation de Capablanca?

De nos jours, seul quelqu’un de paresseux ne spécule pas sur l’année où Alireza Firouzja deviendra champion du monde. En effet, il m’est très difficile d’imaginer quel type d’événement pourrait empêcher l’actuel n°4 mondial (il a en fait atteint la place de n°3 virtuellement le 16 novembre) d’obtenir le titre échiquéen ultime d’ici cinq à dix ans. Pour être tout à fait honnête, j’ai eu la même pensée il y a une trentaine d’années. La seule différence portait sur le nom : il s’agissait alors de Vasyl Ivanchuk. L’Histoire prouve la sagesse de Yogi Berra, qui a dit : “Il est difficile de faire des prédictions, surtout sur l’avenir.”

Que Firouzja décroche ou non le titre mondial, un fait indéniable est qu’il est extrêmement talentueux. En réalité, lorsque j’ai réfléchi à un autre joueur dans l’histoire des échecs qui avait un don naturel comparable, Jose Raul Capablanca a été le premier qui m’est venu à l’esprit. Plus j’y pensais, plus je voyais de similitudes entre ces deux grands joueurs d’échecs. Commençons par la plus évidente.

La vitesse de jeu

Capablanca est considéré comme l’un des meilleurs blitzeurs de tous les temps. En l’absence de résultats officiels (ou au moins de quelques blitz dans une base de données), il est compliqué de séparer la vérité du mythe. Par exemple, il m’est difficile de croire l’histoire selon laquelle, lors du célèbre super-tournoi de Moscou en 1925, Capablanca battait presque tous les Maitres russes en jouant avec une minute à la pendule contre cinq pour ses adversaires. La seule preuve réelle de la force de Capablanca est le résultat de son match de blitz contre le champion du monde Emanuel Lasker, remporté 6,5-3,5. De plus, nous disposons de quelques traces de ces joutes et en particulier d’un finish mémorable. Pouvez-vous trouver le seul moyen de gagner dans cette position ?

Il est beaucoup plus facile de voir pourquoi Firouzja est considéré comme l’un des meilleurs joueurs de rapide et blitz au monde. Vous pouvez littéralement trouver des milliers de parties de blitz et de bullets qu’il a jouées en ligne. Pour ne pas être en reste par rapport au coup d’éclat de Capablanca mentionné plus haut, voici le chef-d’œuvre de Firouzja. La position des blancs semble désespérée car ils ont une tour nette de moins. Comment s’en sortir ?

Concepts stratégiques profonds

C’est un fait bien connu que Capablanca a dominé les échecs grâce à sa pensée stratégique supérieure dans la plupart de ses parties. Prenez par exemple la joute bien connue suivante, où il a affronté l’un des meilleurs stratèges de son temps et auteur du légendaire livre My System, Aron Nimzowitsch.

Maintenant comparez cette partie à la pépite suivante :

Il existe beaucoup de similitudes entre ces deux parties : la même ouverture (la défense Caro-Kann) ; les deux Grands Maîtres conduisant les blancs étaient des joueurs du top-10 de leur époque ; la dame et la tour noires occupaient les cases dominantes en c4 et e4 ; et enfin, les blancs pouvaient à peine bouger à la fin des deux parties. Cependant, malgré toutes ces similitudes, je préfère la partie de Firouzja. Tout d’abord, le GM Sergey Karjakin est bien connu pour ses compétences défensives (d’où son surnom de “Ministre de la Défense”) et il n’a donc pas commis d’erreurs évidentes (comme par exemple le terrible coup de Nimzowitsch 16.g4??).

J’ai également été très impressionné par le concept novateur de Firouzja. Que faisons-nous habituellement lorsque nous perdons le droit de roquer et que notre tour se retrouve bloquée dans un coin de l’échiquier ? Nous essayons de roquer artificiellement afin de ramener la tour coincée en jeu. Par conséquent, la plupart d’entre nous essaieraient de préparer g7-g6 et Rg7 dès que possible pour “roquer à la main”. Néanmoins, Firouzja n’était pas du tout gêné par le fait de jouer virtuellement avec une tour de moins, il a donc continué à améliorer sa position à l’aile dame. Ce n’est qu’après avoir complètement paralysé les blancs à l’aile dame qu’il s’est souvenu de la malheureuse tour h8. Néanmoins, il n’a toujours pas opté pour l’idée typique g6 et Rg7. Au lieu de cela, il a commencé son attaque à l’aile roi en jouant h5 et g5 ! À mon avis, c’est l’une des meilleures parties stratégiques du nouveau millénaire !

Des échecs d’attaque

Dans ce domaine, Firouzja a beaucoup plus de parties dont il peut se vanter. Cela ne devrait surprendre aucun amateur d’échecs qui connaît l’histoire de notre jeu. Dans ses jeunes années, Capablanca aimait attaquer, comme la plupart des joueurs. Malheureusement, il s’est rapidement rendu compte qu’en raison de son jeu stratégique supérieur et de sa technique impeccable, il n’avait pas besoin de prendre de risques supplémentaires pour s’imposer. Son jeu est devenu très sec et, par conséquent, il n’a pas montré toute l’étendue de son talent. Voici ce que dit Kasparov à ce sujet :

“Capa a été victime de sa trop grande facilité expliquant l’insouciance dans son jeu : si tout réussit, pourquoi se fatiguer ? […] Malgré son talent stupéfiant (ou plus probablement, à cause de lui), sa contribution réelle à la création des échecs modernes a été inférieure à celle de Steinitz et Lasker. Leur contribution s’est révélée colossale et fondamentale – ils étaient les fondateurs. A contrario, Capablanca a tout fait pour simplifier les problèmes auxquels il était confronté, en les divisant en composantes élémentaires.”

Une partie jouée par Capablanca, âgé de 13 ans, en est une très bonne illustration :

Un moteur d’analyse loue grandement le sacrifice de dame et pourtant, voici ce que Capablanca a déclaré bien des années plus tard, alors qu’il était déjà un prétendant au titre de champion du monde : “Aujourd’hui, très probablement, j’aurais simplement joué 29.Dd2 et gagné aussi, mais à l’époque je n’ai pas pu résister à la tentation de sacrifier la dame.”

C’est un aveu très révélateur. Capablanca savait que le sacrifice de dame était gagnant et pourtant, il aurait préféré une solution plus simple !

Heureusement, Alireza Firouzja est très jeune et n’a pas ce genre de problème (encore ?). Regardez la partie suivante où il a sacrifié son cavalier pour la même grande diagonale, mais cette fois au grand désarroi de l’ordinateur ! En passant, ces deux parties sont un excellent complément à un sujet que nous avons abordé il n’y a pas si longtemps.

Comme vous pouvez le constater, Firouzja possède une profonde compréhension stratégique du jeu, qui peut être comparée à celle de Capablanca. Cependant, les échecs de Firouzja sont plus dynamiques grâce à son travail quotidien avec les moteurs d’analyse. Nous ne pouvons que spéculer sur l’évolution du jeu de Firouzja à mesure qu’il vieillit et acquiert de l’expérience, mais il est absolument clair que son avenir est très prometteur.

Enfin, permettez-moi de vous faire part de ma principale conclusion, avec laquelle vous pourriez ne pas être du tout d’accord. Nous assistons fréquemment à des débats visant à comparer les anciens maîtres et les joueurs d’aujourd’hui. Il est impossible de réfuter même les opinions les plus absurdes (comme l’idée que le maître d’aujourd’hui battrait facilement Morphy), puisqu’il est impossible de les mettre à l’épreuve. Cependant, je pense que si Capablanca était né en 2003 (au lieu de 1888), son jeu ressemblerait à celui de Firouzja.

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