Tribunal de grande instance de Koudougou : Cinq dignitaires d’un fétiche redouté à la barre

Le 5 décembre 2022, s’est déroulé au palais de justice de Koudougou, un procès exceptionnel par ses caractères pédagogique et démystificateur. A la barre, comparaissaient les adeptes et dignitaires d’un fétiche pour le délit « d’accusation de sorcellerie ». Les victimes, au nombre de 22, étaient absentes, les dignitaires du fétiche ayant imaginé et mis en œuvre tous les moyens possibles (menaces, chantage, invention d’interdits, etc.) pour les empêcher de répondre aux convocations du Parquet.

Le fétiche, appelé « koalè » (ou « korè »), existe dans certains villages des provinces de la Sissili, du Guiro et du Sanguié. Deux villages étaient concernés par ce procès : Pouni et Silly. Le fétiche, à qui étaient attribués de grands pouvoirs mystiques dont celui de détection de sorciers, était réputé infaillible. Ces caractéristiques du « koalè », inculquées dans le subconscient des populations depuis des générations, faisaient du fétiche un redoutable et efficace instrument de répression et surtout de dissuasion.

Ainsi, entre les mains de dirigeants pleins de sagesse, il contribuait à instaurer l’ordre et la discipline au sein de la communauté en dissuadant les fauteurs de trouble. Ce type de fétiche n’existait pas que chez les Nuna. On en rencontrait dans d’autres zones en Afrique comme au Mali et en Afrique centrale. Comme tout fétiche, quelle que fût la nature de ses pouvoirs, le « koalè » ne pouvait ni parler, ni se mouvoir. Il s’exprimait alors par l’intermédiaire des hommes qui le portaient : c’étaient les prêtres du « koalè » qui jouissaient d’une absolue immunité au sein de la communauté.

A Pouni, avant les années 1970, le fétiche ne faisait son apparition publique, qu’une fois par an, sauf cas exceptionnel. Il allait alors de concession en concession pour des bénédictions, mais aussi, des mises en garde fermes contre les mauvaises intentions des malfaiteurs et il recommandait des sacrifices à faire pour éloigner les mauvais sorts.

Les jeunes générations qui ont hérité de cette arme ont vite compris qu’elles détenaient entre leurs mains un grand pouvoir. Les jeunes hommes désignés pour jouer le rôle de prêtres du « koalè », échappèrent au contrôle des notables et décidèrent d’utiliser le fétiche à des fins personnelles pour leurs business. Ils le transformèrent alors en un instrument de terreur des populations, de racket, de vengeance, de règlements de compte, etc. Désormais, le fétiche faisait son apparition publique au moins une fois par mois.

Le bannissement d’un membre de la communauté, qui était une sanction extrême et exceptionnelle, devint un acte banal. Tout décès dans le village donnait lieu à des accusations de sorcellerie suivies du bannissement des « coupables » de la communauté. Ainsi, en 2012, à la suite d’un accident mortel de la circulation survenu sur la Nationale N°1 à environ 8 km du village, quatre « sorciers » furent désignés par le fétiche comme étant les coupables, puis bannis. En 2017, un jeune homme, atteint de drépanocytose, succombe suite à une crise. Cinq « sorciers » coupables sont désignés par le fétiche, puis bannis, etc. En cinq ans (de 2017 à 2022), le fétiche fut utilisé pour accuser de pratiques de sorcellerie 22 membres de la communauté qui furent automatiquement bannis, les hommes pour trois ans et les femmes, quatre ans.

Parmi ces victimes, les deux prêtres de Silly à eux seuls portaient la responsabilité de 16 et ceux de Pouni, six. Les dignitaires du fétiche régnaient en véritables potentats. Tout membre de la communauté qui tentait d’émerger du lot par l’effort au travail ou initiait des activités rémunératrices et qui refusait de se soumettre à leurs exigences était accusé de pratiques de sorcellerie et par conséquent banni. Dans de telles conditions, le village ne pouvait que sombrer dans l’insécurité et dans la misère.

En 2018, un ressortissant du village fut invité à animer une conférence en nuni à Pouni. Il eut le privilège d’échanger avec la population sur le thème « sorcellerie et développement socio-économique ».

Au cours de ces échanges, le conférencier, après avoir relevé les caractères anticonstitutionnel, arbitraire et absurde de ces accusations de sorcellerie, a montré leur impact au niveau socio-économique : elles sont sources de conflits familiaux et de mésententes dans le village, toutes choses qui constituent un frein au développement du village. A la demande de la jeunesse, une deuxième rencontre fut organisée au cours de laquelle des suggestions relatives à la gestion des autels des divinités du village avaient été faites : à Pouni, un chef-lieu de département, il n’était pas indiqué qu’un fétiche se baladât dans le village pour soi-disant identifier des malfaiteurs. Le fétiche visé était le « koalè ».

Les dignitaires du fétiche, sentant leurs intérêts menacés, réagirent en faisant venir quelques mois plus tard, une forte délégation de leurs complices de Silly, probablement pour confirmer leur mainmise sur le village. Le séjour des membres de la délégation était entièrement pris en charge par les populations. Pour célébrer leur séjour, les responsables de la délégation accusèrent six personnes de sorcellerie qui furent immédiatement bannies de la communauté.

Le ressortissant du village qui a animé les deux conférences, face à la mauvaise foi manifeste des dignitaires du « koalè », réagit à son tour, en publiant un article sur le média lefas.net le 4 août 2020 et dont le titre fut : « Province du Sanguié : Un citoyen s’insurge contre le bannissement de 6 personnes dans le village de Pouni pour raison de sorcellerie »*. L’article dénonçait les exactions que faisaient subir aux populations les dignitaires du « koalè ».

Monsieur le Procureur du Faso du tribunal de grande instance de Koudougou s’autosaisit de l’article et demanda l’ouverture d’une enquête. Ce fut le début d’un long processus dont l’aboutissement fut le procès. Le professionnalisme et l’opiniâtreté du Substitut du Procureur à qui le dossier a été confié et du Commandant de la Brigade territoriale de Gendarmerie de Pouni furent déterminants pour la tenue du ce procès. Les obstacles étaient multiples et variés. Après quatre reports successifs, le procès eut lieu le 5 décembre 2022.

Lire aussi Province du Sanguié : Un citoyen s’insurge contre le bannissement de 6 personnes dans le village de Pouni pour raison de sorcellerie

Deux fortes délégations, l’une de Pouni et l’autre de Silly étaient présentes. Dr Nébié Bétéo Denis, un chercheur linguiste à la retraite, fut sollicité pour la traduction. Le Président du tribunal lui fit prêter alors serment.

Après avoir annoncé à chacun des cinq prévenus les charges retenues contre lui, le Président leur demanda s’ils plaidaient coupables ou non coupables : ils répondirent chacun par « Coupable ! ».

L’un après l’autre, ils justifièrent leurs comportements par leur ignorance des dispositions de textes juridiques relatifs à la sorcellerie d’une part et par l’exigence des pratiques coutumières relatives au même phénomène d’autre part. Les jeunes prêtres (ou porteurs) du fétiche cherchèrent à atténuer leur responsabilité en évoquant des forces mystérieuses qui les guideraient dans leurs actions quand ils portaient le fétiche. Ce dernier argument fut rejeté par le tribunal. Le Président prit alors tout le temps nécessaire pour leur expliquer les dispositions de la Loi sur la sorcellerie au Burkina Faso.

Selon lui, au Burkina Faso, la sorcellerie ne constitue pas une infraction ; par contre, c’est l’accusation de sorcellerie qui constitue une infraction. Selon l’article 514-1 du nouveau Code pénal Burkinabé, est accusation de sorcellerie et constitutif d’une infraction « toute imputation, à une ou plusieurs personnes, de faits d’ordre magique, abstrait, imaginaire, surnaturel ou paranormal qui ne peut être matériellement ou scientifiquement prouvée et qui est de nature à porter atteinte à l’honneur, à la réputation, à la sécurité ou à la vie de celle-ci »

Il donna ensuite lecture du passage du code pénal traitant de la sanction y relative : « Toute personne reconnue coupable ou complice d’accusation de pratique de sorcellerie est punie d’une peine d’emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de deux cent cinquante mille (250 000) à un million (1000 000) de francs CFA » suivant les termes de l’article 514-3 du code pénal ».

Après la traduction de ces passages du code pénal par Dr Nébié Bétéo Denis à l’intention des prévenus, la parole fut accordée à l’unique témoin qui a répondu à la convocation du parquet. Selon les prévenus, leurs coutumes interdiraient toute rencontre entre les victimes et eux pendant un certain délai. Le témoin attira l’attention du tribunal sur le fait que certaines pratiques des prévenus étaient à l’opposé des traditions nuna, et d’autres, abusivement exploitées à des fins personnelles. Il donna l’exemple des bannissements de veuves de la communauté.

Les veuves, désignées par le terme de « kilé-kana » (femmes des Ancêtres) bénéficiaient d’une protection spéciale au sein de la communauté. Selon les croyances nuna, tout coupable de bannissement d’une « kilé-kan » (singulier de kilé-kana) prenait l’énorme risque d’être « convoqué » au royaume des Ancêtres pour s’expliquer. En outre, selon la tradition nuna, tout membre de la communauté banni ne pouvait se présenter dans son village avant le délai fixé (trois ans pour l’homme et quatre ans pour la femme). L‘interdit évoqué par les prévenus pour justifier l’absence des victimes au procès était sans fondement, selon le témoin. C’était une invention des dignitaires du fétiche.

Les prévenus déclarèrent avoir compris les explications du Président du tribunal et reconnurent avoir agi par ignorance. Ils prirent alors l’engagement de ne plus jamais accuser personne de pratique de sorcellerie. Ils implorèrent la clémence du Président. Le procureur du Faso, à la lumière des débats qui ont été menés, requit trois ans d’emprisonnement ferme contre les trois jeunes prêtres du fétiche, et trois ans d’emprisonnement avec sursis contre les deux autres en tenant compte de leur âge avancé.

Les conseils des prévenus demandèrent à leur tour la clémence du Président du tribunal pour qu’il accorde un sursis à tous les prévenus en invoquant le caractère pédagogique du procès et la date relativement récente de l’application de la nouvelle loi sur la sorcellerie.

Le délibéré fut rendu quelques minutes après les plaidoiries des conseils : « … les cinq prévenus sont condamnés à 18 mois d’emprisonnement et au payement d’une amende de 250 000 FCFA, le tout avec sursis ! ». Ainsi tombait le mythe du fétiche puissant et infaillible ! Les conseils des prévenus étaient satisfaits. C’était une grande victoire pour eux.

Apparemment, cette perception du verdict n’était pas partagée par les prévenus et les membres des délégations venues les soutenir. Ils semblaient plutôt désemparés. On avait la nette impression que ce n’était pas le verdict attendu par eux. Le fétiche leur avait probablement assuré l’acquittement ou au mieux un non-lieu. Ils partiraient alors en triomphe pour célébrer sa gloire et sa puissance. Mais voilà : les prévenus ont été condamnés, ce qui équivalait pour eux à une humiliation du « koalè ».

Les délégations de Pouni et de Silly sont sorties de la salle d’audience dépitées, alors qu’objectivement, la condamnation par sursis était la peine minimale que pouvait espérer un prévenu qui avait plaidé coupable et qui avait demandé la clémence du juge. Cette attitude paradoxale des membres des deux délégations pourrait s’inscrire dans une logique toute simple : la croyance à la puissance absolue de leur fétiche. Pour elles, le puissant « koalè » devait empêcher la tenue du procès et à défaut, orienter la décision du juge en leur faveur en prononçant un non-lieu ou un acquittement.

Les délégations ont rejoint leur localité dans l’angoisse en se demandant certainement ce quelles diraient à leur communauté. Avouer la défaite du « koalè » ou garder le mutisme ? En tout cas, la délégation de Pouni a opté pour la seconde solution. Mais pendant combien de temps pourrait-elle cacher la vérité à la communauté ?

En réalité, les dignitaires du « koalè » de Pouni et de Silly sont effrayés par la conclusion qui s’impose à eux : selon les traditions nuna, leur « koalè » est mort. Il n’est plus qu’une coquille vide juste bonne pour amuser la galerie. Il ne leur reste plus qu’à l’enfouir dans le buisson le plus touffu et le plus éloigné de leur village. C’est le sort réservé à tout fétiche qui, devant « le monde entier », n’a pu tenir ses promesses. Les gris-gris (ceintures en cuir) qui liaient tous les adeptes au « koalè » et qui muselaient ces derniers, sont désormais bons pour la poubelle. C’est la dure loi des traditions nuna.

Les leçons que l’on pourrait tirer de ce procès sont de trois ordres.

Premièrement, nos coutumiers doivent savoir qu’il existe une Justice officielle dans notre pays et que nos coutumes ne peuvent être au-dessus des Lois. Les citoyens sont libres de leurs croyances à condition qu’elles ne portent pas préjudice à la vie individuelle et communautaire. Une culture figée est vouée à disparaitre. Les traditions nuna, comme toutes les autres traditions, doivent évoluer positivement avec leur temps en se débarrassant des scories afin de préserver les fondamentaux, puis en s’enrichissant par l’apport d’éléments extérieurs.

Deuxièmement, nos coutumiers actuels doivent connaitre et même maitriser le mode de fonctionnement des instruments de régulation de la société hérités de nos devanciers. Le « koalè » est une arme dissuasive. Comme toute arme de ce genre, sa force de frappe peut être réelle ou fictive. Le détenteur d’une telle arme doit la manipuler avec beaucoup de délicatesse. Les dignitaires actuels du « koalè » de Pouni et de Silly qui, visiblement ignorent les fondamentaux de l’usage de leur fétiche, en paient les frais aujourd’hui. Les coutumes nuna sont incompatibles avec le busines (les « Affaires ») parce qu’elles ne concernent que la vie communautaire. L’individualisme n’y a pas sa place.

Troisièmement, les Intellectuels adeptes de fétiches doivent avoir le courage de rompre leurs liens avec les dignitaires de ces fétiches dès qu’ils se rendent compte que ces derniers posent des actes à l’opposé de l’idéal prôné. Les adeptes du « koalè » de Pouni par exemple étaient parfaitement au courant des exactions perpétrées par les dignitaires du fétiche contre les populations. Si certains ont adopté la politique de l’autruche, se faisant ainsi complices de ces actes criminels, d’autres par contre, ont refusé de cautionner l’arbitraire et la barbarie.

Bali NEBIE

Enseignant à la retraite/Ecrivain

Tel ; 66158655 ; Mail : bedoa@gmx.fr

We would like to give thanks to the writer of this short article for this remarkable material

Tribunal de grande instance de Koudougou : Cinq dignitaires d’un fétiche redouté à la barre

Take a look at our social media accounts and other pages related to themhttps://nimblespirit.com/related-pages/