Viola Davis, de la pauvreté à la légende hollywoodienne

Elle est l’une des actrices les plus célèbres d’Hollywood. Pourtant, dans ses mémoires, Viola Davis nous révèle que son chemin vers la gloire et la célébrité a été pavé de rejet, de violence et de privations.

Pendant un mois, Viola Davis (56 ans) est restée en isolement complet. Au printemps 2020, en plein confinement, elle s’est mise à écrire ses mémoires. Sa routine: réveil en pleine nuit pour faire du thé et commencer à écrire dans sa petite salle de cinéma avant de s’endormir dans un des fauteuils en cuir, se réveiller, écrire encore, s’assoupir à nouveau. Elle doute: par où commencer? Par sa vie de star? Le concours de beauté qu’enfant, elle n’a pas gagné? Les gens qui veulent la serrer dans leurs bras dès qu’elle apparaît en public?

Un beau soir, elle s’est souvenue d’une conversation avec Will Smith, sur le tournage de “Suicide Squad”. Il lui avait demandé qui elle était vraiment et si elle était assez honnête avec elle-même pour connaître la réponse. Âgée de cinquante ans à l’époque, elle avait répondu avec assurance qu’elle le savait. Smith lui avait rétorqué: “Écoute, moi, je serai toujours le garçon de 15 ans qui s’est fait larguer par sa copine. Ça ne changera jamais. Alors, dis-moi qui tu es.”

Cet échange fait resurgir un souvenir. Une bande de huit ou neuf garçons s’amuse à la poursuivre sur le chemin du retour de l’école. Ils l’intimident, l’insultent, la bombardent de cailloux. Elle esquive, mais ils finissent par l’attraper et l’emmènent chez leur chef, seul garçon noir du groupe et capverdien d’origine qui se fait appeler “le Portugais” pour ne pas être assimilé aux Afro-Américains – un stratagème pour échapper au racisme. “Quelle moche fille! Sale noire!”, s’écrie-t-il, à quoi Viola répond: “Pourquoi tu me dis ça? Toi aussi, tu es noir!” Le garçon se met en colère, criant qu’il n’était pas “black”. Il la frappe et les autres garçons la jettent à terre et la recouvrent de neige.

L’enfance de Viola Davis n’a pas été une vallée de roses. L’événement qui l’a le plus marquée est survenu à la sortie de l’école, quand elle s’est fait agresser par une bande de garçons.
©Ruven Afanador / The New York Times

En 2015, lors de cette conversation avec Will Smith, Viola Davis est déjà une star. Elle a été nommée pour deux Oscars, a remporté deux Tony Awards et a joué dans la série “Murder”. Mais cette conversation lui fait comprendre qu’elle est toujours cette petite fille harcelée pour la couleur de sa peau, mais aussi, qu’après toutes ces années, elle continue à fuir cette peur.  Elle essaie d’éviter les épreuves – racisme et misogynie – auxquelles elle est toujours confrontée, malgré sa réussite.

L’enfance de Viola Davis n’a pas été une vallée de roses, mais c’est ce jour-là, à la sortie de l’école, qui a peut-être laissé les plaies les plus profondes: c’était la première fois qu’elle était touchée au plus profond de son être et de son cœur.

Juste valeur

Regarder Viola Davis jouer est intense: même quand ses personnages sont opaques, on sent sous leur épiderme sa présence compatissante. Une aptitude dont elle a fait preuve dès le début de sa carrière au cinéma, en décrochant des nominations pour des performances de moins d’un quart d’heure. Dans le secteur du divertissement américain, il y a ce qu’on appelle le “Triple Crown of Acting”, un titre qui qualifie un acteur qui a remporté un Oscar, un Emmy et un Tony Award. Seulement 24 acteurs détiennent ce titre convoité. Et dans ce club select, elle est la seule Afro-Américaine.

C’est énorme, mais ce n’est pas tout: Davis fait également partie du petit groupe d’anciens acteurs de théâtre qui sont passés dans l’univers du cinéma et y ont acquis un statut de star. Elle dégage la même dignité, le même raffinement que le grand acteur James Earl Jones, mais pas seulement: elle montre aussi sa vulnérabilité. À la lecture de ses mémoires, “Finding Me”, on comprend d’où lui vient cette aptitude. Seul quelqu’un qui a été poussé aux tréfonds de ses émotions sait comment s’y replonger.

“Je trouve qu’il est plus important de voir la laideur et l’imperfection à côté de la beauté de chaque chose, car c’est pour moi la seule façon de me sentir estimée à ma juste valeur”, déclare-t-elle. “Si je ne peux pas le faire, je redeviens l’enfant qui avait des secrets. Alors qu’il n’y a qu’une seule raison de garder des secrets: la honte. Je ne veux plus de ça.”

Au cours de l’un de nos premiers entretiens, Davis décrivait la différence entre le “method acting”, qui exige de l’interprète une empathie totale avec son personnage, et une approche plus technique, qui, par exemple, repose sur des techniques de respiration pour exprimer ses émotions. “Je crois en une combinaison des deux, car je veux rentrer chez moi à la fin de la journée”, avait-elle déclaré. Davis estime aussi que les acteurs doivent étudier ce qu’est la vie. Les sentiments ne sont jamais simples, car l’esprit vagabonde. “Vos pensées partent dans tous les sens”, m’a-t-elle expliqué. “La vie a un large spectre: on pense que c’est foutu et, l’instant d’après, on éclate de rire. C’est ça la vie.”

Dans la série “The First Lady”, Viola Davis interprète le rôle de Michelle Obama. La première saison est consacrée aux biographies de Michelle Obama, Betty Ford et Eleanor Roosevelt.
©Jackson Lee Davis/SHOWTIME

Du sang sur le sol

Viola Davis est née en 1965 dans une plantation de Caroline du Sud. Peu après sa naissance, Mae Alice et Dan Davis, ses parents, partent s’installer à Rhode Island, l’emmenant avec eux ainsi que deux de ses frères et sœurs, afin que son père puisse trouver un bon travail. Ce dernier est entraîneur de chevaux, un métier bien considéré, mais sous-payé.

Son père boit et bat sa mère et, quand la petite Viola rentrait de l’école, il n’était pas rare qu’elle trouve des taches de sang sur le sol. Chez les Davis, chauffage, eau chaude, gaz, savon, téléphone en état de marche ou toilettes avec une chasse d’eau sont du luxe. L’endroit est infesté de rats si affamés que les enfants devaient s’en protéger en s’emballant le cou avec un drap. On comprend pourquoi, aujourd’hui encore, l’actrice refuse que sa fille ait un rat comme animal de compagnie.

Ce passé a sans doute fait d’elle le genre d’actrice dont les capacités peuvent être mesurées à l’aune de sa manière de gérer la pression: maintenir, intensifier et relâcher. Elle donne le ton de chaque scène et le regard des autres acteurs se rive sur elle dès qu’elle apparaît, comme si réagir à son jeu était un élément crucial de leur travail. Sur internet, son nom est devenu synonyme de “pleurs inconsolables”, car, quand elle pleure, les larmes coulent comme si des vannes s’ouvraient. Quand Madame Miller pleure dans le film “Doute”(2008), ses larmes perlent lentement: une seule larme prend 15 secondes avant de glisser sur sa joue. Et puis, son nez coule pendant deux minutes – une éternité! Même dans “Fences”(2016), lorsque son personnage harcèle son mari avec ses rêves déchus, sa lèvre supérieure ne parvient pas à retenir les gouttes qui coulent de son nez.

Dans la vie, Davis ne pleure pas très souvent. “Lorsque quelqu’un me confronte à quelque chose de difficile, j’entre plutôt dans une colère terrible”, m’a-t-elle déclaré lors de ma visite chez elle, à Los Angeles. À mon arrivée, son chien Bailey m’a saluée comme s’il me connaissait depuis toujours. Éclatant de rire, Davis lui a demandé s’il croyait que j’étais sa sœur. Enfin, nous sommes allées dans la salle de cinéma, où elle s’est pelotonnée sous un plaid. Elle portait un foulard sombre et une robe en lin couleur citron vert, une tenue élégante qui rend d’autant plus extravagants ses accès de grossièreté: ses jurons préférés sont les mêmes qu’à huit ans, explique-t-elle en riant.

Viola davis et son époux ont monté une société de production, JuVee Productions, pour réaliser leurs projets, comme “The First Lady”.
©Jackson Lee Davis/SHOWTIME

Chuchoteuse

Ce jour-là, elle m’a expliqué que, pour éprouver de l’empathie pour un nouveau personnage, elle devait d’abord devenir une sorte de “chuchoteuse”, qui l’invite dans sa vie et accueille ses révélations: elle est le support, pas le créateur. À partir d’un script, une actrice ne peut découvrir que les grandes lignes de son personnage; le reste relève de l’intuition. “Vous commencez à vous poser des questions sur base de ces faits”, a-t-elle poursuivi. “Supposons que votre personnage pèse 150 kilos. Pourquoi es-tu si grosse? Bah, parce que je mange beaucoup. Oui, mais pourquoi manges-tu trop? Parce que ça me réconforte. Je vois, et pourquoi manger te réconforte-t-il? Parce que j’ai souvent peur. Pourquoi as-tu si peur? Parce que j’ai été abusée sexuellement quand j’avais cinq ans et que, chaque soir, j’y pense quand je vais me coucher. Alors, comme je ne parviens pas à m’endormir, je mange.” Et de déclarer en levant le poing: “Et bam!, vous avez cerné le personnage. Il suffit de poser suffisamment de questions.”

Cette méthode l’a parfois amenée à préparer ses rôles très intensivement, même les plus petits. Après trois semaines de répétitions pour “Doute”, elle n’arrivait toujours pas à comprendre son personnage, Madame Miller. Elle est donc rentrée chez elle et a rédigé une biographie de cent pages. Mais elle n’a finalement trouvé la clé qu’après une conversation avec un professeur d’université, qui lui a expliqué pourquoi une mère fermait les yeux sur le prêtre qui abusait de son fils: elle n’avait pas d’autre choix. En effet, la plus grande menace pour le bien-être de son fils était celle que faisait peser sur lui son père homophobe, qui le tuerait s’il découvrait qu’il était gay. Voilà comment la mère avait trouvé le seul moyen de protéger son fils, aussi bouleversant que ce soit.

Batte de baseball

Davis n’était qu’une petite fille lorsqu’elle a participé à un concours de dessin avec ses trois sœurs aînées. Leur performance leur a permis de gagner quelques chèques-cadeaux ainsi qu’une batte de baseball, parfaite pour effrayer les rats. Mais le seul prix qui avait de la valeur pour la petite Viola, c’était la reconnaissance de son talent et de sa personnalité. “Nous n’étions pas intéressées par ces prix”, écrit-elle dans ses mémoires. “Nous voulions juste gagner. Nous voulions être quelqu’un. Nous voulions être nous.”

À 14 ans, elle participe à un programme d’aide aux études pour les étudiants issus de milieux défavorisés. Son coach lui déclare alors qu’elle devrait se lancer dans le métier d’actrice. Plus tard, un professeur lui conseille de participer à un concours national. Elle auditionne avec deux extraits de “Everyman” et “Runaways”, qui, écrit-elle, “comportaient beaucoup de longs monologues sur le sentiment d’abandon”.

Dans la série à succès “How to Get Away with Murder”, Viola Davis joue le rôle d’Annalise Keating, avocate de la défense pénale réputée.
©American Broadcasting Companies, Inc

La jeune fille prend l’avion pour Miami afin de passer le concours, est proclamée “promising young artist” et s’inscrit au Rhode Island College, section art dramatique. Pour financer ses études, elle prend le bus plusieurs fois par jour pour rentrer chez elle et travailler quelques heures à l’épicerie locale, dort à même le sol chez ses parents et retourne à l’école le lendemain le matin.

Diplôme en poche, elle en veut davantage. Comme elle n’a pas les moyens de s’inscrire dans plusieurs conservatoires, elle choisit la Juilliard School de New York. Le jour où elle doit passer l’audition, elle prévient que le soir même, elle doit jouer dans sa première production professionnelle à Rhode Island. “Je n’ai que 45 minutes”, déclare-t-elle aux membres du jury, alors que l’audition dure trois jours. Elle doit expliquer sa situation, préciser qu’elle doit absolument prendre son train et termine sa défense en disant: “Vous devez vraiment me dire maintenant si je suis acceptée ou non.” Elle sera acceptée.

Débuts difficiles

Après Juilliard, l’actrice en herbe est impatiente d’entamer un nouveau chapitre de sa vie. Seulement, il y a un hic: tous les rôles pour lesquels elle auditionne sont trop restrictifs, même dans des productions “noires”. Les seuls rôles auxquels elle peut prétendre sont ceux de toxicomanes. Elle auditionne donc pour d’autres rôles, mais les responsables du casting la trouvent “trop foncée” et “pas assez jolie” pour un rôle principal dans une comédie romantique.

Par contre, elle décroche quelques rôles dans des pièces de théâtre, mais gagne à peine de quoi vivre, sans parler de rembourser la somme astronomique qu’elle a empruntée pour pouvoir faire ses études. Elle se nourrit des “doggybags” que lui donne un restaurant chinois voisin, un quotidien qu’elle agrémente d’une aile de poulet si elle a quelques sous en poche. Et elle dort sur un matelas à même le sol dans une chambre qu’elle partage avec d’autres.

Un beau jour, son agent lui demande de passer une audition pour le rôle de Vera dans “Seven Guitars” d’August Wilson. Vera est une femme au caractère bien trempé, qui doit décider si elle peut refaire confiance à son ex infidèle. Elle décroche le rôle et, après une tournée d’un an, fait ses débuts à Broadway. Sa prestation est récompensée par une nomination aux Tony Awards, mais sa vie n’est pas encore vraiment glamour.

En proie au sentiment de culpabilité qu’on ressent lorsqu’on fait mieux que ses proches, elle envoie à sa famille autant d’argent qu’elle peut. ” Sauver quelqu’un: voilà quel était mon objectif dans la vie. Vous arrivez à vous en sortir et, ensuite, vous allez aider les autres: c’était mon état d’esprit”, justife-t-elle.

En 2017, l’Oscar tant convoité est enfin attribué à viola davis pour son rôle dans la version cinéma de “Fences”.
©Getty Images

Sur le billard

Suit à son succès dans “Seven Guitars”, les rôles au théâtre s’enchaînent, jusqu’à ce qu’elle finisse par gagner suffisamment d’argent pour se payer une assurance maladie. Une opération pour lui retirer neuf fibromes utérins lui redonne l’espoir d’avoir des enfants. L’actrice est alors âgée de trente ans et n’a connu que deux relations, hélas sans lendemain, et n’a aucune perspective de rencontrer un homme avec qui s’engager.

Un de ses collègues de “A Raisin in the Sun” lui suggère de demander à Dieu de lui envoyer un homme gentil. Un beau soir, se disant “pourquoi pas?”, elle s’agenouille et prie: “Dieu, je sais que Vous êtes surpris. Je m’appelle Viola Davis. Je souhaite rencontrer un homme noir, ancien athlète, originaire de la campagne et qui a déjà des enfants.” Quelques semaines plus tard, sur le plateau d’une émission de télé, Julius Tennon (beau, divorcé, noir, originaire du Texas et père de deux enfants adultes) joue une scène avec elle: ils se marieront quatre ans plus tard.

Mais avoir des enfants à elle reste un défi. Elle repasse donc sur le billard pour, cette fois, faire retirer 33 fibromes. Les femmes de sa famille semblent maudites: deux de ses sœurs ont failli décéder d’une hémorragie après leur accouchement et ont dû subir une hystérectomie. Quelques années plus tard, Viola subit le même sort, de manière inattendue, lors d’une opération visant à réparer une trompe de Fallope enflammée. Inspirés par Lorraine Toussaint, une collègue actrice qui avait adopté un enfant parce qu’elle ne voulait pas que le mot “actrice” soit sa seule épitaphe, le couple Viola et son mari adoptent une petite fille prénommée Genesis.

Après des années de thérapie, Davis rétablit la relation avec son père, que les années ont changé: il est devenu un vieil homme doux qui essaie de réparer les erreurs du passé. Il consacre les dernières années de sa vie à son épouse, ses enfants et ses petits-enfants, comme si chaque jour était une occasion de se faire pardonner. Dans l’intervalle, Viola se voit proposer quelques films, mais aucun ne correspond vraiment à ce qu’elle recherche.

Meryl Streep

En 2007, l’actrice est choisie pour interpréter le rôle de Madame Miller dans “Doute”, ce qui dépasse les rêves les plus fous de la petite Viola de cinq ans: donner la réplique à Meryl Streep et être dirigée par John Patrick Shanley. Elle a enfin atteint le sommet et est nommée pour un Award. Le critique Roger Ebert a écrit à son sujet: “Son rôle dure environ dix minutes, mais c’est le cœur et l’âme de ‘Doute’. Si Viola Davis n’est pas nommée pour un Oscar, ce sera une forme d’injustice, car elle se retrouve face à l’actrice la plus réputée de cette génération et on assiste à la confrontation de deux égales. Une confrontation qui génère une puissance rare.”

Il n’y aura pas d’injustice: Viola Davis est nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, mais n’obtient pas l’Oscar. En 2010, elle décroche son deuxième Tony pour le rôle de Rose Maxson dans “Fences”.

L’année suivante, elle incarne dans “La couleur des sentiments” Aibileen Clark, une domestique qui travaille pour une riche blanche, qui raconte à une jeune journaliste blanche progressiste sa vie et la dureté des lois ségrégationnistes qui, dans les années 60 à Jackson, Mississippi, font des ravages. Le film est nommé pour quatre Oscars, dont celui de la meilleure actrice pour elle.

Après “La couleur des sentiments”, Davis remporte deux Tony Awards, deux Screen Actors Guild Awards et deux nominations aux Oscars, mais toujours aucune offre pour un rôle principal. Sa vie a changé, pas Hollywood: elle se sent toujours exclue en raison de sa couleur de peau.

Oprah Winfrey a interviewé Viola Davis suite à la parution de ses mémoires.
©Huy Doan/Netflix

C’est alors qu’arrive un appel de Shonda Rhimes qui, avec Peter Nowalk, lance une série sexy et soapy en primetime, “Murder”. Ils lui proposent le rôle principal, celui d’Annalise Keating. Jusque-là, l’actrice n’avait pour ainsi dire qu’interprété des rôles de femmes au caractère bien trempé, mais sexuellement limitées, comme si l’intensité de sa couleur de peau et sa sensualité étaient inversement proportionnelles. Une amie lui confie d’ailleurs qu’elle a entendu des acteurs noirs, hommes et femmes, déclarer qu’elle n’était pas suffisamment belle pour le rôle. Pour la première fois de sa carrière, elle ne parvient pas à laisser glisser ces remarques sur les rails de son indifférence: elle se bat et, à 47 ans, elle accepte le rôle d’Annalise, le personnage principal de la série. C’est une professeure et avocate renommée, mariée à un universitaire blanc. Elle a un amant noir qui travaille dans la police et est toujours en contact avec un ancien amant. On se demande si elle ne serait pas sociopathe. Un rôle complexe qui la met en danger, mais qu’elle mène au sommet: elle remporte un Emmy Award et un Screen Actors Guild Award pour cette première saison.

Cerise sur la gâteau, l’Oscar se profile. Elle décroche la lune pour son rôle dans la version cinématographique de “Fences”. Elle est ensuite approchée pour jouer un rôle récurrent dans “Suicide Squad” et continue à jouer des personnages dotés de la profondeur dont elle a toujours rêvé. Comme l’intrépide Veronica Rawlings dans “Widows” ou la diva râleuse Ma Rainey dans “Le blues de Ma Rainey”, un rôle qui lui a valu une quatrième nomination aux Oscars l’année dernière.

Parallèlement, Davis et son époux montent une société de production, JuVee Productions, pour développer leurs propres projets, dont “The First Lady”, une série dans laquelle on la verra bientôt et où elle tient le rôle de Michelle Obama. Ou “The Woman King”, une épopée historique sur l’armée exclusivement féminine du royaume du Dahomey, sorte de “Braveheart” au féminin.

Après son succès dans “Seven Guitars”, les rôles au théâtre se sont multipliés jusqu’à ce que Viola Davis puisse se payer une assurance maladie. Aujourd’hui, elle est l’une des actrices les plus célèbres d’Hollywood.
©AB+DM

Remonter le temps

Il y a quelques mois, j’ai accompagné Viola Davis sur son lieu de tournage, à une heure du Cap, pour les dernières scènes de “The Woman King”. Là, des dizaines de figurantes, toutes à la peau foncée ou noire, sont rassemblées au centre du plateau. Davis incarne Nanisca, la générale de cette armée de femmes, et elle vient d’être filmée en train d’exécuter une danse de la victoire avec ses guerrières. Elle porte une cape et une jupe à motifs d’un violet ecclésiastique, un collier de dents de requin et une luxuriante coiffure afro. Pendant que sa maquilleuse lui passe de la crème sur le dos, en prenant bien soin de ne pas effacer les cicatrices du maquillage, Davis regarde les danseuses et semble suivre les mouvements de leurs avant-bras et de leurs pieds. Ensuite, elle se lève et s’avance vers la caméra en dansant et en souriant, faisant tourner ses hanches en cercles précis, accompagnée par tous les membres de l’équipe qui crient en cœur “Ayyyeee!”.

Pour la plupart des acteurs, c’est la dernière scène. Les danseuses, majoritairement recrutées sur place, se mettent à chanter joyeusement en xhosa tout en s’étreignant. Je demande à la publiciste Phumzile Manana si ce chant a une signification particulière: “C’est juste pour l’ambiance!”, me répond-elle en riant.

Il aura fallu six ans à Viola Davis pour réaliser “The Woman King”, car les studios étaient réticents à l’idée de produire un film avec autant de femmes noires dans des rôles principaux. “Merci ‘Black Panther’: grâce à ton succès, on a compris que ce film était possible”, a déclaré la réalisatrice, Prince-Bythewood. “The Woman King additionne tout ce que l’on considère comme un obstacle: des femmes noires aux cheveux crépus et à la peau plus que foncée, et guerrières de surcroît”, a ajouté Davis.

Quelques minutes après cette scène finale, vêtue d’une robe noire et chaussée de crocs, Davis prononce un bref discours. “Ce qui est chouette dans ce que nous faisons, c’est que l’on peut remonter le temps”, a-t-elle déclaré. “Vous pouvez être qui vous voulez. Et, vous savez, l’imagination est pour les noirs la seule chose sur laquelle ils puissent compter.”

Alors qu’elle m’explique à quel point cela l’a impressionnée de voir ces femmes noires se transformer en guerrières, un océan de visages sombres arborant tresses et nœuds bantous l’écoute en silence. “Ce que la chenille appelle la fin du monde, le maître l’appelle papillon”, a-t-elle déclaré. “Nous avons été incomprises, limitées et invisibles pendant si longtemps. Mais aujourd’hui, on nous voit comme des papillons!”

“Finding Me”, de Viola Davis, HarperOne, 304 pages, 33 euros.

“Oprah + Viola: A Netflix Special Event”, disponible sur Netflix.

La diffusion de “The First Lady” n’est pas encore prévue en Belgique francophone.

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Viola Davis, de la pauvreté à la légende hollywoodienne

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