Reportage. À la découverte des terres claniques en Écosse

Les traces dans la terre, remarquées par le prêtre du coin, étaient l’unique preuve de l’infraction. Le vol a eu lieu sur South Uist, île des Hébrides extérieures, aux premières heures du 1er janvier 1990, pendant les festivités de Hogmanay. Le butin était un bas-relief héraldique du XVIe siècle qui commémorait le huitième chef de Clanranald. Les cinq années suivantes, personne n’a su où avait disparu cette relique pesant plus de 160 kilos.

Puis, en 1995, un couple qui vidait l’appartement londonien de son fils défunt a découvert la pierre. Si les parents ignoraient comment l’objet était arrivé là, ils ont soupçonné que son vol était le résultat d’une plaisanterie et ils l’ont emmené au British Museum. Un conservateur a déterminé que le bas-relief datait du bas Moyen Âge celtique et a contacté le Musée national d’Écosse, lequel a confirmé qu’il s’agissait bien de la pierre commémorative volatilisée.

C’est ainsi qu’un après-midi de l’été 1995, la pierre a été escortée jusqu’à ses terres ancestrales, où elle a été accueillie au son des cornemuses par la population lors de sa descente du ferry, installée dans un chariot de supermarché paré de tartan. Un bal traditionnel, appelé ceilidh, a suivi au musée Kildonan. Depuis, c’est là qu’elle est exposée en bonne place, sur un tissu au motif du clan Macdonald.

Les honneurs accordés à ce trésor héraldique rappellent qu’en dépit des vicissitudes des derniers siècles, la fierté liée à l’héritage clanique dans les Highlands et les archipels d’Écosse reste vigoureuse.

Fierté du nom et prestige militaire

Le clann (“progéniture” en gaélique) – une tribu fondée sur les liens de parenté et la protection mutuelle entre le chef, les lignées issues des fils cadets et les fidèles – était un pilier de la culture des Highlands. Au bas Moyen Âge, le clan MacDonald était à la tête d’un royaume quasi indépendant qui a inauguré un âge d’or pour la culture gaélique.

Le délitement de ce modèle a été suivi par des siècles de tourmente, fruit des luttes territoriales entre MacDonald, Campbell, MacNeil, MacLeod, Cameron, MacKintosh, MacLean et MacKenzie, parmi d’autres. Leur philosophie, qui repose sur la fierté du nom et le prestige militaire, a perduré bien après que l’ancien système clanique a commencé à se désintégrer.

Regain d’intérêt pour l’univers du tartan

Réprimés après les soulèvements jacobites [au XVIIe siècle], les clans ont ensuite été redécouverts à grand renfort de tenues en tartan pour les chefs, les poètes et les joueurs de cornemuse, à l’époque victorienne, qui entretenait une vision romantique des Highlands. Au début du XXe siècle, certains chefs de clan sont revenus pour reconstruire leurs châteaux et en faire un point de rassemblement au cœur des terres ancestrales. Après la Seconde Guerre mondiale, certains ont beaucoup voyagé pour présenter la réincarnation moderne du clan sous l’angle d’une communauté internationale. Le clan, tout comme d’autres caractéristiques de la culture des Highlands, a été intégré à l’iconographie nationale.

Aurélie Boissière/Courrier international

On comprend aisément la fascination que suscite le clan au vu de la popularité actuelle de la généalogie. “Les gens désirent connaître leurs origines, affirme Godfrey, lord MacDonald et plus haute autorité du clan Donald. Nous avons d’incroyables archives sur l’île de Skye et ce centre reçoit une quantité faramineuse de questions par courriel. Et des centaines de personnes qui ont pour patronyme MacDonald y viennent du monde entier.” Les bénéfices pour l’économie locale sont immenses et ils sont dopés par la multiplication des initiatives touristiques. Un prestataire propose des “excursions en terres claniques” et autres séjours à thème.

En 2021, le décès à 102 ans d’Alwyne Farquharson, baron d’Invercauld et Monaltrie, a suscité beaucoup d’échos dans la presse, qui s’est épanchée sur la vie du fascinant 16e chef du clan Farquharson. L’univers du tartan et des châteaux a de nouveau captivé le grand public à la sortie de la minisérie de la BBC intitulée A Very British Scandal [sur Prime], où figure un chef d’un autre genre ; son mariage avec la scandaleuse Margaret, duchesse d’Argyll, s’est révélé une manne financière indispensable pour empêcher la ruine du siège, le château d’Inveraray. Inspirée par ce regain d’intérêt, j’ai décidé d’en savoir plus sur le rôle qu’endosse aujourd’hui un chef de clan écossais.

Alwyne Farquharson a grandi dans le Yorkshire [dans le nord de l’Angleterre] et a renoncé au patronyme Compton après avoir hérité du titre par sa tante, en 1941 ; on lui prête aujourd’hui le record de longévité pour un chef de clan. L’affection que lui portait la communauté doit beaucoup à toute l’énergie qu’il a consacrée à préserver l’intégrité des terres des Farquharson, à redonner vie au domaine, à moderniser la résidence et à accueillir visiteurs et membres du clan à Invercauld, qui fait face au château de Balmoral [résidence écossaise de la reine d’Angleterre] de l’autre côté du fleuve Dee.

L’importance des rassemblements

Tout ce travail, notamment l’instauration d’un nouveau modèle économique assurant l’autonomie financière de la résidence ancestrale, est étroitement lié à son exubérante épouse américaine, Frances, ancienne rédactrice au magazine Harper’s Bazaar dont le réseau transatlantique a permis de convier, moyennant rémunération, de riches invités voulant fréquenter la haute société écossaise à Invercauld.

“J’étais très proche de l’oncle Alwyne, c’était un gars épatant”, témoigne son petit-neveu, Philip Farquharson, qui est devenu le 17e chef du clan en 2021 à l’âge de 40 ans. Il vit au nord de Londres avec son épouse vénézuélienne et leurs deux filles, et il travaille pour la commune. Lors d’un appel vidéo de chez lui, il m’explique qu’il a grandi à Londres mais qu’il passait ses vacances à Invercauld, au courant dès l’enfance que son oncle l’avait désigné comme successeur.

Lors des Highland Games du Perthshire, le 30 août 2014.
Lors des Highland Games du Perthshire, le 30 août 2014. PHOTO ANDY BUCHANAN/AFP

Comme d’autres avant lui, Philip a maintenant changé son nom pour adopter celui de Farquharson. Il a aussi succédé à Alwyne comme responsable des Highland Games du village de Ballater : cet événement a lieu en août [l’édition 2022 s’est tenue le 11 août, avec notamment une impitoyable course de côte], période où il y a aussi un rassemblement du clan.

“L’une des traditions les plus émouvantes est la procession au son des cornemuses jusqu’à Carn na Cuimhne, le cairn historique du clan, situé à la croisée des montagnes et du fleuve : nous y faisons une prière et rendons hommage aux proches récemment décédés.”

“Le kilt et les plumes d’aigle, c’est dépassé”

Philip a une résidence sur le domaine et il y vient régulièrement, mais il précise qu’il n’aura jamais les moyens de vivre dans le manoir, qui remonte au XVe siècle. Archiviste de formation, il a mis au jour des documents fascinants sur l’histoire d’Invercauld.

“Les Farquharson étaient en réalité des éleveurs de moutons, et non de grands seigneurs bardés de titres, mais ils ont consolidé leur pouvoir. L’un d’eux a épousé Isobel Stewart, héritière d’Invercauld, ils ont construit les tourelles qui protègent les sommets des collines et acquis une féroce réputation.”

S’il est fasciné par le passé, Philip apporte néanmoins une perspective moderne à son rôle de chef. “L’image stéréotypée du seigneur, cette silhouette vêtue d’un kilt en tweed et de plumes d’aigle, est dépassée ; je veux montrer que cette fonction reste pertinente aujourd’hui”, explique-t-il. Il estime avoir un double rôle : celui d’ambassadeur qui entretient un réseau au niveau local et à l’étranger – il y a des représentants du clan Farquharson aux États-Unis, au Canada, en Argentine, en Australie et en Nouvelle-Zélande ; et celui de propriétaire terrien, qui gère Invercauld comme une entreprise, avec l’aide de son conseil d’administration.

Hugh MacLeod, ancien cinéaste, est lui aussi un chef de clan entre tradition et modernité. Il a endossé son rôle de 30e chef du clan MacLeod en 2007, à 33 ans. Il partage son temps entre Londres et le château de Dunvegan, sur Skye – siège du clan depuis huit cents ans. Cet édifice gris à mâchicoulis s’élève au-dessus la mer sur un socle de basalte : on y accède par un pont en pierre et on y entre par deux tourelles octogonales.

La tenue décontractée de Hugh, un jean et une chemise de bûcheron, dénote un peu avec la pièce auguste où nous sirotons du Earl Grey sous le regard des ancêtres vêtus de tartan. Son affinité pour l’endroit n’est toutefois plus à prouver, au vu du travail qu’il accomplit pour lui donner un nouveau souffle. « L’essentiel, c’est de veiller à ne pas être le maillon faible », résume-t-il avant de citer la devise du clan, « Hold fast » [tenir bon].

Descendre cul sec une pinte de vin rouge

La North Room du château, autrefois utilisée comme caserne, contient aujourd’hui un éventail d’objets historiques inestimables en lien avec le clan, notamment une corne à boire cerclée d’argent, dans laquelle chaque chef doit descendre cul sec une pinte de vin rouge pour démontrer sa virilité. Le père de Hugh est le dernier à avoir respecté la tradition, en 1956 ; jusqu’à présent, Hugh y a résisté.

Hugh se dit “gérant du domaine” et explique que sa priorité, lorsqu’il a pris ses fonctions, a été de “changer l’image de Dunvegan”. “J’avais l’impression d’être le capitaine d’un pétrolier rouillé et sans gouvernail, sur le point de s’échouer, et je devais changer de cap.” Il s’est employé à faire de Dunvegan un site touristique patrimonial et le château a en effet accueilli 180 000 visiteurs en 2019.

La relation de Hugh avec son clan repose sur les réseaux sociaux : “C’est un autre mode de communication. Je ne vois pas la nécessité d’aller en avion à l’autre bout du monde [ce que faisaient ces prédécesseurs].” Il ne porte pas non plus son kilt et ses plumes d’aigle à moins d’y être obligé.

Une grande famille étendue

Pour certains, ces amitiés nouées avec leurs semblables ont été cruciales pour sauvegarder, restaurer et développer le siège du clan. À 23 ans, quand lord MacDonald est devenu le 34e chef héréditaire à la suite du décès soudain de son père, en 1970, les droits de succession ont failli le forcer à vendre la dernière parcelle des terres ancestrales de la Seigneurie des îles. Plusieurs membres haut placé du clan ont lancé une collecte de fonds et lord Macdonald et son épouse ont défendu cette campagne de financement en faisant le premier de nombreux voyages aux États-Unis. En trois mois, ils avaient récolté assez d’argent pour avoir un apport et un organisme, le Clan Donald Lands Trust, a pu acheter 8 900 hectares sur la péninsule de Slèite, sur l’île de Skye : ils ont ainsi inauguré le concept de rachat collectif. Les efforts sont concentrés sur le château d’Armadale et ses jardins, où un musée, des archives et un salon de thé ont depuis été créés grâce au soutien des membres du clan.

Nombre de chefs témoignent de l’épanouissement tiré des liens qui unissent un clan moderne. George MacMillan, ancien professeur de lettres classiques, a hérité du rôle de chef pour le clan MacMillan en 1986. Il se souvient que des inconnus frappaient à sa porte pour demander à rencontrer le chef. “Ils ne s’appellent même pas systématiquement MacMillan. Un Américain m’a dit : ‘Mon ancêtre MacMillan est mort en 1745.’ Un ou deux s’attendaient à être logés et nourris gratuitement, mais je pense qu’ils cherchent simplement à discuter avec quelqu’un du cru.”

Les Kincaid sont également une lignée ancienne qui s’identifie comme clan, originaire des environs de Glasgow. Leur chef actuelle, Arabella Kincaid of Kincaid, est née Lennox (la famille avec laquelle les Kincaid sont étroitement liés depuis des siècles), et elle a ensuite pris le nom d’épouse Inglis-Jones, mais elle a changé à nouveau lorsqu’elle a déclaré son appartenance au clan en 2001. “Comme j’avais grandi en Angleterre, je craignais qu’on me voie comme une impostrice, admet-elle. Mais la Clan Kincaid Association est une merveilleuse équipe et mon expérience y a été très touchante.”

Elle ajoute :

“En 2019, j’ai été invitée à ouvrir les Grandfather Mountain Highland Games, une manifestation qui dure trois jours [aux États-Unis], et ça a été une révélation. Il y avait 30 000 visiteurs. Au sein de ma famille, on ne doute aucunement que le clan au sens large relève de la famille étendue – et les familles sont tellement plus fortes quand elles sont unies.”

“Ce lien du sang, autrefois mesuré en sang versé, s’exprime aujourd’hui tout aussi passionnément, par la fierté conférée au patronyme, estime Donald MacLaren, chef du clan MacLaren et président du Conseil permanent des chefs écossais. Un lien de parenté, qui n’a pu être réprimé jadis, perdure aujourd’hui. Il restera irrépressible à l’avenir.”

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