Critique Calvaire : chantons sous le sang

Calvaire est une des grandes références du film de genre francophone. Réalisé en 2005, il est dans la lignée des quelques essais marquants de l’horreur trash franco-blege. On se rappelle de Haute-Tension (2003) du maître de l’horreur Alexandre Aja, de À l’intérieur (2007) du duo Alexandre Bustillo et Julien Maury ou encore de Martyrs (2008) de Pascal Laugier. 17 ans après sa première sortie, le calvaire de Fabrice Du Welz est réédité par Studio Canal dans sa première version Blu-ray. L’occasion de découvrir ou redécouvrir un survival sanguinaire de qualité, plus mature que jamais.

Fabrice Du Welz est un réalisateur et scénariste belge. Il se fait d’abord remarquer en 1999 avec son court-métrage Quand on est amoureux c’est merveilleux qui remporte le grand prix du Festival international du film fantastique de Gérardmer. Cinq ans plus tard, il réalise Calvaire (son premier long-métrage), sélectionné à la Semaine de la critique du festival de Cannes 2005. Il raconte l’histoire de Marc Stevens (Laurent Lucas), un jeune chanteur qui tombe en panne en pleine forêt. Il se voit recueilli dans une auberge tenue par Bartel (Jackie Berroyer). Seulement voilà… Le bon Bartel va séquestrer notre héros et lui en faire voir de toutes les couleurs, vu que lui voit en Marc la réincarnation de son ex-femme Gloria.

© Studio Canal

A première vue, Calvaire est un survival un peu rock et in your face d’un héros victime de péquenauds à la Massacre à la tronçonneuse. Le film dresse un portrait un peu grossier des personnages secondaires et on pourrait vite tourner au cliché des campagnards nevrosés. Pourtant, il est indispensable d’en avoir un visionnage actif pour élever le corps et le fond du film. Car en effet, de sa forme émane la force du film de genre, à savoir un sous-texte social.

La tragédie est l’imitation d’une action grave et complète, ayant une certaine étendue, présentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste séparément, se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d’une narration, et opérant par la pitié et la terreur la purgation des passions de la même nature.

Aristote – Poétique et Rhétorique

Lorsqu’on analyse l’œuvre de Fabrice Du Welz, on se rend vite compte qu’on pourrait l’assimiler à la tragédie antique tel que le définit Aristote. En effet, on retrouve une structure dramatique similaire. Mais surtout, sa définition permet d’établir une explication à la vanité des personnages qui entourent le héros, présenté dès la séquence d’ouverture comme une sorte de Divinité Lyrique.

© Studio Canal

Le film adopte un point de vue externe. On découvre alors en même tant que les spectateurs diégétiques le personnage principal de l’œuvre de Fabrice Du Welz, Marc Stevens, de sa préparation en loge, jusqu’à sa performance sur scène. Celui-ci représente et incarne la notion d’Artiste, en marge de la société. Il se métamorphose pour performer et pourrait faire appel au terme de Drag. Apparu en 1870, ce terme faisait référence aux acteurs habillés avec des habits « féminins ». Plus largement, on assimile ce terme à la création d’un personnage public, comme Mylène Farmer, Lady Gaga ou encore Michael Jackson par exemple. Le problème, c’est que le spectateur n’en est pas toujours forcément conscients.

© Studio Canal

Calvaire semble parler de la relation toxique entre l’Art et ses interprètes (au sens littéral du terme). Le film montre très rapidement que Marc Stevens est un objet obsessionnel pour ses admiratrices et admirateurs sous différents degrés de violence. Le réalisateur montre à plusieurs reprises son héros au travers de plusieurs miroirs, comme pour représenter les différentes perceptions de Marc Stevens. Les fans le veulent pour eux tous seuls et l’associent souvent à une forme de profond désir sexuel. L’Artiste se retrouve harcelé par le monde qui l’entoure, dans sa loge par des mains baladeuses d’une fan ; après un concert avec des photos dénudées offertes par une autre ; jusqu’à la rencontre avec l’antagoniste du film, Bartel, où tout va dégénérer pour de bon.

J’aurais voulu être un artiste (mais pas celui-là)

Calvaire semble traiter de manière imagé la relation entre les fans et les artistes. Plus les personnages passent du temps aux côtés de celui-ci, plus on va virer vers un fanatisme religieux. Rappelant Misery de Stephen King, l’artiste se retrouve enfermé dans un personnage dont il n’a plus aucun contrôle à cause du fanatisme démesuré des spectateurs. Le héros devient une marionnette qu’on force à se métamorphoser en une image que le public désire plus que tout.

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Littéralement, Mars Stevens est dénaturé à tel point qu’il n’est plus capable de performer, à en perdre sa voix. La projection des passions et des illusions de Bartel le font basculer dans une forme Christique et Divine. Le fanatique interprète égoïstement l’Art de son créateur, ne le veut que pour lui seul et l’interprétant comme la résurrection d’un être décédé. Il pense détenir l’unique et seule vérité, au point d’en oublier l’homme derrière l’artiste, au péril de la destruction de sa nature humaine.

© Studio Canal

Calvaire pourrait également rappeler ces notions de fanatisme, voire de religion, au travers de la direction photographique de Benoît Debie (qui a également collaboré avec Gaspard Noé sur de nombreux films). On découvre des lumières assez naturelles, évoquant parfois la peinture romantique, de par ses couleurs, mais également par les caractéristiques de ce courant artistique. On va alors parler des émotions, de la recherche d’interpeller le public, notamment par une représentation de scènes chocs.

© Studio Canal

On remarque également le travail du grain et de l’image, qui sont complexes et de plus en plus chargées à mesure que le film avance. On retient aussi un découpage à l’image du film, avec de nombreux rapports de force. Plongées et contre-plongées, comme si la caméra venait juger les personnages, jusqu’à une ultime caméra zénithale sur la climax du film, lorsque le calvaire du héros explose.

© Studio Canal

Fabrice Du Welz semble donc traiter des différences entre passion et obsession. La tragédie de l’œuvre pourrait parler de la vanité humaine et du possible danger de la projection des passions chez les autres. Le film est une œuvre complète, malgré sa forme assez frontale et grunge sur son global. La réédition de Studio Canal propose en bonus un entretien de trente minute de Fabrice Du Welz intérogé par le journaliste Marc Godin, ainsi que plusieurs essais caméras de l’époque. Cette nouvelle édition permet dans tous les cas une véritable relecture de l’œuvre, passant d’un souvenir un peu choc à une œuvre complète et passionnante, qui n’attend que l’intérprétation de son spectateur aguerri.

Calvaire est disponible en Blu-ray, DVD & VOD depuis le 17 août 2022 chez Studio Canal.

Avis


8



Fanatique

Calvaire est un des films “freaks” les plus curieux de ces vingts dernières années. Fabrice Du Welz est un cinéaste qui a laissé sa marque dans l’horreur franco-hexagonale, avec un film à la fois traumatisant mais riche de sens, si on se permet de lui en donner.

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