De Pie XII Franois, les papes d’une vie

Le 01 septembre 2022 –

(E.S.M.)

Le cardinal Robert Sarah, n en Guine en 1945, est un des plus
proches collaborateurs du pape Franois.
Spcialiste reconnu des arcanes du Vatican et de l’glise, crivain,
Nicolas Diat est l’auteur d’un livre de rfrence sur le pontificat
de Benot XVI, L’Homme qui ne voulait pas tre pape (Albin Michel,
2014). En 2015 Nicolas Diat a publi un entretien sur la foi, qu’il
a eu avec le Cardinal Robert Sarah.

Benot XVI et le cardinal Sarah
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De Pie XII Franois, les papes d’une vie

Le 01 septembre 2022 – E.
S. M.
– N dans la brousse africaine au sein d’une famille
coniagui qui ne possdait qu’une modeste case de briques, il a
quitt son village onze ans afin d’entrer au petit sminaire, avec
pour seul trsor une valise confectionne par son pre. Aprs avoir
t ordonn prtre dans un pays min par l’une des dictatures les
plus sanguinaires d’Afrique, il est devenu, trente-trois ans, le
plus jeune archevque du monde, et a lutt avec une nergie
formidable pour la libert de son peuple.
    Cet homme profondment spirituel se nomme Robert Sarah.
Jean-Paul II l’a appel Rome en 2001, Benot XVI l’a cr cardinal
en 2010, et Franois en a fait l’un de ses plus proches
collaborateurs en le nommant la tte de la prestigieuse
Congrgation pour le culte divin et la discipline des sacrements.
    La vie entire du cardinal est une sorte de miracle, une
succession de moments qui semblent impossibles sans l’intervention
du Ciel. Elle est construite sur le roc de la foi, le combat pour la
vrit de Dieu, l’humilit, la simplicit et le courage.
    Au fil d’un entretien exclusif, le cardinal, rput pour sa
libert de parole, livre ses rflexions sur l’glise, les papes,
Rome, le monde moderne, l’Afrique, l’Occident, la morale, la vrit,
le mal, et Dieu, toujours.

Le cardinal Robert Sarah, 77 ans, dune solide formation thologique
et biblique, est aujourdhui sans fonction depuis quil a t
congdi par le Pape Franois en 2021 de sa fonction de prfet de la
Congrgation pour le culte divin.

Tu es Petrus, et super hanc petram aedificabo Ecdesiam meam, et
portae inferi non pmevalebunt advenus eam. Et tibi dabo claves Regni
coelorum.
( Tu es Pierre, et sur cette pierre je btirai mon glise, et les
portes de l’enfer ne prvaudront point contre elle. Je te donnerai
les clefs du Royaume des Cieux. )
Matthieu 16, 18-19

   
NICOLAS DIAT: En 1945, vous venez au monde sous le pontificat du
pape Pie XII..
.

   
CARDINAL ROBERT SARAH : Lorsque j’tais enfant, je savais qu’il
existait un pape la tte de l’Eglise, car j’entendais son nom la
messe. Ce sommet inatteignable, j’tais persuad que je ne le
verrais jamais. J’imaginais le successeur de Pierre comme un homme
vivant en quelque sorte au paradis, ainsi que tous ceux qui
travaillaient autour de lui. Je les considrais comme des saints et
de vritables modles de vie chrtienne. Rome, si lointaine,
reprsentait un peu le Ciel…
   
Au petit sminaire de Bingerville, j’ai commenc mieux comprendre
la signification de la fonction pontificale. L-bas, j’ai appris la
mort du pape, le 9 octobre 1958, alors que nous avions peine
repris l’anne scolaire. J’ai eu peur car je comprenais que le moment
tait important pour l’glise. En outre, Pie XII tait trs
populaire en Afrique.
   
Ce pontife tait un homme d’une grande dignit. Le procs ouvert sur
son rle pendant la guerre me semble d’une injustice terrible. Loin
des polmiques idologiques, les historiens commencent leurs travaux
de recherche. Rcemment, j’ai beaucoup apprci le travail de
l’Anglais Gordon Thomas et du Franais Pierre Milza. Les tmoignages
des milliers de Juifs dont il avait personnellement ordonn la
protection dans les monastres de Rome, et jusqu’aux appartements
pontificaux du Vatican et de la rsidence d’t de Castel Gandolfo,
sont exceptionnels. Pie XII a voulu sauver des hommes qui taient
vous la mort. Son silence diplomatique tait motiv par le dsir
de ne pas aggraver le drame ignoble qui se jouait alors, Face des
dictateurs fous et dangereux, la parole peut parfois se rvler un
instrument contre-productif.
   
un autre niveau, j’ai pu moi-mme faire l’exprience de la
perscution dans la Guine de Skou Tour. Je sais donc d’exprience
que les rgimes rpressifs et sanguinaires sont des problmes
complexes, et qu’il ne suffit pas de s’exprimer publiquement pour
lutter contre une dictature.
   
En fait, le pape craignait que la politique de Hitler contre les
Juifs devienne encore plus barbare, et que les chrtiens polonais et
allemands subissent les contrecoups de cette ignoble violence.
   
Certes, je ne suis pas un spcialiste de cette question, et je ne
prtends d’ailleurs pas rsumer un sujet si difficile. L’horreur de
la Shoah demeure comme mystre d’iniquit.
   
Sur le plan ecclsial, ds son lection, par sa premire encyclique

Summi pontificatus
du 20 octobre 1939, Pie XII a voulu rappeler que
son premier devoir tait de tmoigner de la vrit : Le temps
actuel, vnrables frres, ajoutant aux divisions doctrinales du
pass ses nouvelles erreurs, les a pousses des extrmits d’o ne
pouvaient s’ensuivre qu’garement et ruine. Et avant tout il est
certain que la racine profonde et dernire des maux que Nous
dplorons dans la socit moderne est la ngation et le rejet d’une
rgle morale universelle soit dans la vie individuelle, soit dans la
vie sociale et dans les relations internationales : c’est–dire la
mconnaissance et l’oubli si rpandu de nos jours de la loi
naturelle elle-mme, laquelle trouve son fondement en Dieu, crateur
tout-puissant et Pre de tous, Suprme et absolu lgislateur,
omniscient et juste vengeur des actions humaines. Quand Dieu est
reni, toute base de moralit s’en trouve branle. Pie XII tait
dj confront aux prmices des problmes que nous connaissons, la
ngation de Dieu et le relativisme moral.
   
Je puis galement affirmer que Pie XII a t plus novateur que les
critiques en conservatisme, toujours faciles, veulent le laisser
penser. L’encyclique

Fidei Donum du mois d’avril 1957 sur le
renouveau de la mission, en partie inspire par l’exemple de Mgr
Marcel Lefebvre, alors archevque de Dakar et dlgu apostolique
pour l’Afrique franaise, fut trs importante pour le dveloppement
de l’vanglisation. Le Souverain Pontife a voulu rveiller l’pouse
du Christ en invitant les glises plus anciennes de l’Occident
s’engager dans un effort missionnaire et en encourageant les prtres
europens aller servir pour un temps dans un diocse de mission.
L’encyclique a t spcialement crite en vue de l’Afrique. cette
poque, cette terre manquait cruellement d’aptres et
d’vanglisateurs. Grce Pie XII, des prtres ont pu quitter leurs
diocses d’origine pour aider des rgions du monde qui en
manquaient.
En Guine, aprs le travail fondateur des spiritains, les prtres
que nous appelons depuis lors Fidei
Donum ont permis un
dveloppement considrable de la foi catholique.
Pour mon continent, la figure de ce pontife reste d’autant plus
historique qu’il a t le premier ordonner des vques africains,
en particulier Bernardin Gantin. Son souci d’une hirarchie
piscopale autochtone tait rel.
   

   


    En 1958, vous tes donc au sminaire lorsque Jean XXIII est lu pape
?

   
J’tais trs jeune le jour o Angelo Roncalli est mont sur le trne
de Pierre. Pourtant, j’ai peru assez rapidement la diffrence de
style qui pouvait exister avec son prdcesseur. J’avais aim la
figure noble et dlicate de Pie XII, et j’apprciais maintenant la
simplicit presque nave de Jean XXIII. Les commentateurs disaient
partout qu’il tait bon, proche du peuple, comme un pre de famille.
   
Par contre, je manquais encore de maturit pour comprendre l’ampleur
du concile voulu par ce pape. Je savais cependant que Mgr Tchidimbo
reprsentait mon pays, et qu’il se rendait rgulirement Rome pour
discuter avec les vques des autres pays du monde. S’il ne nous
parlait pas vraiment du contenu des dbats, je dois cependant
relater un vnement qui a marqu les fidles catholiques de
Conakry.
   
La cathdrale de Conakry avait un chur lgant et ouvrag, avec une
belle rplique du baldaquin du Bernin, entoure de trs beaux anges.
Au moment des premires discussions sur la rforme liturgique, Mgr
Tchidimbo est revenu Conakry en ordonnant la destruction du
baldaquin et du matre-autel. Nous tions en colre, incrdules
devant cette
dcision prcipite. Avec une certaine violence, nous passions sans
aucune prparation d’une liturgie une autre. Je peux tmoigner que
la prparation bcle de la rforme liturgique a pu faire des
ravages dans la population, en particulier chez les plus modestes,
qui ne comprenaient gure la rapidit de tels changements, ni mme
leur raison d’tre.
   
Incontestablement, il est assez regrettable que des prtres se
soient laisss aller de tels emportements idologiques personnels.
Ils prtendaient dmocratiser la liturgie, et le peuple fut la
premire victime de leurs agissements. La liturgie ne constitue pas
un objet politique que nous pourrions rendre plus galitaire en
fonction de revendications sociales. Comment un mouvement si trange
pouvait-il produire dans la vie de l’glise d’autres consquences
qu’un grand dsarroi des fidles ?
   
Pourtant, l’ide de Jean XXIII tait extraordinaire. La convocation
du concile rpondait vraiment aux besoins nouveaux d’une poque. Au
grand sminaire, en tudiant les diffrentes constitutions, nous
tions admiratifs devant le travail des Pres. Notre passion tait
comprhensible car de nombreux textes du concile sont
particulirement difiants. Je suis persuad que le pape Jean a
souhait que les fidles de l’glise puissent connatre une grande
intimit avec Dieu. Il voulait que les croyants entrent dans une
spiritualit plus profonde. En fait, la vision surnaturelle de
l’homme est la source de son programme de rforme. Le souci
d’adaptation aux temps modernes ne lui faisait jamais oublier la
ncessit transcendantale de l’action vanglisatrice.
   
Aussi sa dnonciation des prophtes de malheur est-elle juste.
Un certain pessimisme pouvait prvaloir dans l’glise. La lutte
contre le communisme sovitique et son expansion dans le monde
entier tait si difficile qu’elle donnait lieu une forme de
dfaitisme. Certains milieux ne croyaient peut-tre plus
suffisamment dans le pouvoir du Christ qui n’a jamais abandonn ses
disciples. Jean XXIII appelait au ralisme, et deux dcennies plus
tard, Dieu a envoy Jean-Paul II qui a vu la chute du mur de
Berlin…
   
Le concile voulait mettre en avant la part de beaut et de dignit
de ce monde. Nous ne devons pas regretter cette manire de
travailler des Pres. La reconnaissance des grandes uvres, quand
elles existent, n’a jamais impliqu de renoncer la vrit. Comment
l’glise pouvait-elle ne pas louer les progrs technologiques et
scientifiques de cette poque ? Pour autant, il relevait galement
du devoir ptrinien de poursuivre l’enseignement magistriel. Jean
XXIII, puis Paul VI, sont rests fidles ces deux aspects. La
vision positive du monde n’empchait pas Jean XXIII de constater
avec inquitude les signes de l’effacement de Dieu.


Ds lors, comment comprenez-vous le mot aggiornamento utilis par le
pape ds l’ouverture du concile ?

    L’aggiornamento est un instrument de rflexion pour situer l’glise
dans un monde changeant, dont certains secteurs conomiques,
mdiatiques ou politiques abandonnaient Dieu en s’enfonant dans un
matrialisme onirique, libral et relativiste. Comment l’glise
pouvait-elle mieux porter l’vangile dans des pays qui manifestaient
les signes d’une crise de la foi ? L’intuition de Jean XXIII fut
donc prophtique. Ce pape n’a jamais voulu abandonner la tradition ;
certains ont fantasm sur une rvolution, et ils ont cherch, avec
l’aide des mdias, imposer l’image d’un pontife rvolutionnaire.
Il s’agit d’une mprise politique qui ne sera pas sans consquence.
   
Benot XVI ne renona jamais rappeler combien le travail des Pres
avait pu tre amoindri par les interprtations mdiatiques de
Vatican II. Ainsi, la volont de Jean XXIII n’a pas t connue, mais
plutt idologiquement commente et interprte. Pourtant, les
textes des Pres sont le reflet fidle de l’intuition originelle du
pape Jean. Nous possdons un trsor prcieux auquel il est important
de se rfrer avec fidlit.


   
Vos souvenirs deviennent d’autant plus prcis avec Paul VI qu’il est
finalement le pape de votre jeunesse ?

   
Effectivement, je suis arriv Rome en septembre 1969. J’ai pu voir
Paul VI lorsqu’il est venu inaugurer un des btiments du collge
Saint-Pierre o je rsidais. Pour la premire fois, je touchais un
pape ! L’enfant de Guine vivait une forme de miracle…
   
Paul VI a d affronter des bouleversements d’une difficult hors
norme. Le monde changeait trs vite, et le concile n’apportait pas
l’approfondissement tant attendu. L’hermneutique progressiste
entranait mme les fidles vers des impasses. De nombreux prtres
ont abandonn le sacerdoce. Des couvents se vidaient et beaucoup de
religieux commenaient renoncer leurs habits de conscration.
Peu peu, l’esprit du temps faisait disparatre les signes
indiquant que la main de Dieu s’tait pose sur ceux qui avaient
vou leur vie au Seigneur. Il existait une impression diffuse que,
mme chez les personnes consacres, la prsence de Dieu tait
proscrite ! Pour le pape, ce fut une souffrance terrible.
   
La douleur ne l’a pas empch de rester ferme. Il savait mieux que
quiconque que le concile avait t suscit par l’Esprit-Saint. En
conduisant les travaux des Pres, Paul VI a montr une autorit et
une sret thologique particulirement enracines dans la foi. Le
pape a voulu prserver le dpt de la Rvlation des garements
rformistes ou rvolutionnaires d’idologues en chambre. Il a fait
tout ce qu’il pouvait pour repousser des attaques d’une grande
violence.
   
Ainsi, en juin 1967, son encyclique

Sacerdotalis caelibatus
sur le
clibat des prtres affronta avec rigueur la remise en cause de la
chastet des ministres du culte. Il crivait : Le clibat sacr,
que l’glise garde depuis des sicles comme un joyau splendide,
conserve toute sa valeur galement notre poque caractrise par
une transformation profonde des mentalits et des structures.
Cependant, dans ce climat o fermentent tant de nouveauts, s’est
fait jour entre autres choses la tendance, voire la nette volont,
de presser l’Eglise de remettre en question cette institution
caractristique. D’aprs certains, l’observance du clibat
ecclsiastique constituerait maintenant un problme ; elle
deviendrait quasiment impossible de nos jours et dans notre monde.
Cet tat de choses, qui meut la conscience d’un certain nombre de
prtres et de jeunes aspirants au sacerdoce et leur cre des
perplexits, et qui dconcerte beaucoup de fidles, Nous oblige
tenir sans plus de dlai la promesse faite nagure aux Pres du
concile : Nous leur avions signifi notre projet de donner plus
d’clat et de force au clibat sacerdotal, dans les circonstances
actuelles
.
   
En fait, Paul VI dcrtait avec fermet une confirmation du concile
de Carthage de 390, ainsi que l’antique tradition de l’Eglise
catholique sur le clibat consacr. La loi du clibat promulgue par
l’Assemble des vques africains est toujours reste en vigueur et
elle sera officiellement insre dans le grand recueil lgislatif de
l’glise d’Afrique, le Codex Canonum Ecclesiae Africanae, compil et
promulgu en 410, au temps de saint Augustin.


   
Nombreux sont ceux qui pensent que le clibat sacerdotal relve
d’une question purement disciplinaire. Quelle est votre position ?

   
Le pre jsuite Christian Cochini, auteur d’un livre remarquable,
Les Origines apostoliques du clibat sacerdotal1, crit avec
justesse : Lorsque, aprs de longues hsitations, Pie IV se dcide
faire connatre sa rponse aux princes allemands qui demandaient
Rome d’autoriser le mariage des prtres, son premier mot sur la
question sera pour citer le dcret de Carthage. Voici donc ce
document qui allait ainsi tre appel jouer un tel rle dans
l’histoire du clibat ecclsiastique : “pigone, vque de Bulle la
Royale, dit : dans un concile antrieur, on discuta de la rgle de
continence et de chastet. Qu’on instruise donc maintenant avec plus
de force les trois degrs qui, en vertu de leur conscration, sont
tenus par la mme obligation de chastet, je veux dire l’vque, le
prtre et le diacre, et qu’on leur enseigne garder la puret.
L’vque Geneclius dit : comme on l’a dit prcdemment, il convient
que les saints vques et les prtres de Dieu, ainsi que les
lvites, c’est–dire ceux qui sont au service des sacrements
divins, observent une continence parfaite, afin de pouvoir obtenir
en toute simplicit ce qu’ils demandent Dieu ; ce qu’enseignrent
les aptres, et ce que l’Antiquit elle-mme a observ, faisons en
sorte, nous aussi, de le garder. l’unanimit, les vques
dclarrent : il nous plat tous que l’vque, le prtre et le
diacre, gardiens de la puret, s’abstiennent du commerce conjugal
avec leur pouse, afin qu’ils gardent une chastet parfaite ceux qui
sont au service de l’Autel.” Ce texte est prcieux et d’une grande
importance. Il reprsente le document le plus ancien de l’glise sur
le clibat. Il fait mention des pouses des clercs et, notamment,
des pouses de ceux qui occupent les rangs suprieurs de la
hirarchie sacerdotale : vques, prtres et diacres. La plupart de
ceux-ci se trouvaient donc engags dans les liens du mariage. de
tels hommes, le concile africain de Carthage ne demande rien de
moins que de s’abstenir de tout rapport conjugal et d’observer une
continence parfaite. De plus, le document nous assure que cette
discipline n’est pas nouvelle. Les Pres du concile de Carthage
entendent seulement urger l’obligation de quelque chose qui a t
“enseign par les aptres et observ par l’Antiquit”. Cette loi est
unanimement accepte et confirme par toute l’glise en fidlit
l’enseignement de Jsus qui rcompense ceux qui quittent tout pour
le suivre : “En vrit, je vous le dis : nul n’aura laiss maison,
femme, frres, parents ou enfants, cause du Royaume de Dieu, qui
ne reoive bien davantage en ce temps-ci, et dans le monde venir
la vie ternelle” (Le 18, 29-30).
Et Jean-Paul II d’insister: “L’glise latine, en se rapportant
l’exemple du Christ Seigneur lui-mme, l’enseignement des aptres
et toute la Tradition qui lui est propre, a voulu et continue
vouloir que tous ceux qui reoivent le sacrement de l’ordre assument
ce renoncement “en vue du Royaume des Cieux”. Cette tradition,
toutefois, va de pair avec le respect des traditions diffrentes
d’autres glises. Elle constitue en effet une caractristique, une
particularit et un hritage de l’glise latine : celle-ci lui doit
beaucoup et est dcide persvrer dans cette vue, malgr toutes
les difficults auxquelles une telle fidlit pourrait l’exposer,
malgr les divers symptmes de faiblesse et de crise de certains
prtres. Nous avons tous conscience de porter un trsor dans des
vases d’argile ; mais nous savons bien que c’est un trsor”
(Jean-Paul
II, Lettre aux prtres, pour le jeudi saint 1979
).
   
Non, le clibat des prtres n’est pas responsable de la pnurie des
vocations dans certains pays du monde.
   
Dans ces cas prcis, et ailleurs, l’ordination d’hommes maris
serait un triste miroir aux alouettes, une illusion, une facilit
confondante.


   
En outre, Paul VI devait traiter un sujet que Pie XII avait voqu
dans un fameux discours aux sages-femmes. Et ce fut

Humanae vitae

   
Oui, en 1968, la publication de l’encyclique

Humanae vitae
a
provoqu un dferlement sans prcdent de critiques acerbes contre
l’enseignement de Paul VI sur le mariage et la rgulation des
naissances. Ce pape, avec une grande intelligence et une parfaite
fidlit l’enseignement de l’glise, voulait surtout souligner
deux aspects indissociables dans l’acte conjugal, l’union et la
procration : Cette doctrine, crit-il, plusieurs fois expose par
le magistre, est fonde sur le lien indissoluble, que Dieu a voulu
et que l’homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux
significations de l’acte conjugal : union et procration. En effet,
par sa structure intime, l’acte conjugal, en mme temps qu’il unit
profondment les poux, les rend aptes la gnration de nouvelles
vies, selon des lois inscrites dans l’tre mme de l’homme et de la
femme. C’est en sauvegardant ces deux aspects essentiels, union et
procration, que l’acte conjugal conserve intgralement le sens du
mutuel et vritable amour et son ordination la trs haute vocation
de l’homme la paternit. Nous pensons que les hommes de notre
temps sont particulirement en mesure de comprendre le caractre
profondment raisonnable et humain de ce principe fondamental
(Humanae
vitae
n.12)
.
   
Malgr les contestations, le pape n’a jamais voulu entrer dans la
logique d’un dbat fauss par la pense libertaire. Paul VI a publi
son texte, puis il est rest silencieux, en portant toutes les
difficults dans la prire. Jusqu’ sa mort, le 6 aot 1978, il n’a
plus crit d’encyclique.
   
Le successeur de Pierre savait qu’il tait fidle la vrit. Je
pense que Giovanni Battista Montini avait une confiance infinie dans
la sagesse de l’enseignement de l’glise ; pour lui, malgr les
souffrances temporaires, les modes passeraient. Le combat de ce
pontife est d’autant plus poignant qu’il vouait un grand respect
la libert de conscience. En achevant son texte, il a choisi de
s’adresser spcifiquement aux prtres en crivant : Chers fils
prtres, qui tes par vocation les conseillers et les guides
spirituels des personnes et des foyers, Nous nous tournons
maintenant vers vous avec confiance. Votre premire tche,
spcialement pour ceux qui enseignent la thologie morale, est
d’exposer sans ambigut l’enseignement de l’glise sur le mariage.
Soyez les premiers donner, dans l’exercice de votre ministre,
l’exemple d’un assentiment loyal, interne et externe, au magistre
de l’glise. Cet assentiment est d, vous le savez, non pas tant
cause des motifs allgus que plutt en raison de la lumire de
l’Esprit-Saint, dont les pasteurs de l’glise bnficient un titre
particulier pour exposer la vrit. Vous savez aussi qu’il est de
souveraine importance, pour la paix des consciences et pour l’unit
du peuple chrtien, que dans le domaine de la morale comme dans
celui du dogme, tous s’en tiennent au magistre de l’Eglise et
parlent un mme langage. Aussi est-ce de toute Notre me que Nous
vous renouvelons l’appel angoiss du grand aptre Paul : “Je vous en
conjure, frres, par le nom de Ntre-Seigneur Jsus Christ, ayez
tous un mme sentiment ; qu’il n’y ait point parmi vous de
divisions, mais soyez tous unis dans le mme esprit et dans la mme
pense.” Ne diminuer en rien la salutaire doctrine du Christ est une
forme minente de charit envers les mes. Mais cela doit toujours
tre accompagn de la patience et de la bont dont le Seigneur
lui-mme a donn l’exemple en traitant avec les hommes. Venu non
pour juger, mais pour sauver, il fut certes intransigeant avec le
mal, mais misricordieux envers les personnes. Au milieu de leurs
difficults, que les poux retrouvent toujours, dans la parole et
dans le cur du prtre, l’cho de la voix et de l’amour du
Rdempteur. Parlez avec confiance, chers fils, bien convaincus que
l’Esprit de Dieu, en mme temps qu’il assiste le magistre dans
l’exposition de la doctrine, claire intrieurement les curs des
fidles en les invitant donner leur assentiment. Enseignez aux
poux la voie ncessaire de la prire, prparez-les recourir
souvent et avec foi aux sacrements de l’Eucharistie et de la
pnitence, sans jamais se laisser dcourager par leur faiblesse.


   
Le 18 avril 1978, quelques mois avant sa mort, Paul VI fait de vous
le plus jeune vque du monde. Vous avez moins de trente-trois
ans…

   
En effet, et Jean-Paul II a confirm ma nomination en aot 1979. Je
ressentais une joie douloureuse, mais j’tais paisible. Pourtant, je
n’oubliais pas Paul VI ; en fait, j’tais un peu triste qu’il n’ait
jamais pu me voir archevque.
   
Lorsque le gouvernement a fait savoir au Saint-Sige que j’tais
trop jeune pour occuper une fonction piscopale, la Secrtairerie
d’tat a rpondu, en substance, pour contourner l’argument :
Certes, il est jeune, mais il a t form par la rvolution, et il
comprendra mieux les orientations et la politique de votre
gouvernement !
   
Comme prtre de paroisse, puis responsable du sminaire, j’tais
trs peu connu dans l’archidiocse de Conakry. Je ne faisais pas de
bruit et je ne cherchais rien de particulier. Pour Skou Tour,
j’tais une nigme…


   
En 1969, Paul VI est le premier pape effectuer un grand voyage en
Afrique.

   
Pour nous, ce fut inoubliable. En Ouganda, il eut cette phrase
dterminante : La nouvelle patrie du Christ, c’est l’Afrique.
Puis, il ajouta : Vous, Africains, vous tes dsormais vos propres
missionnaires !
   
Paul VI considrait que nous tions dsormais les premiers
responsables de l’vanglisation de notre continent, et il nous
encourageait plus d’audaces. Je pense qu’il a consacr notre
vocation. Certes, l’Afrique a connu une vanglisation tardive.
Mais, si nous lisons attentivement les textes sur la Rvlation,
nous constatons que le continent a toujours t associ au salut du
monde. Comment oublier l’Afrique qui a accueilli et sauv l’enfant
Jsus des mains d’Hrode qui voulait l’liminer ? Comment oublier
que l’homme qui a aid le Christ porter sa Croix jusqu’au Golgotha
fut un Africain, Simon de Cyrne ?
   
Nova Patria Christi Africa … Par cette parole historique, Paul
VI a voulu signifier avec clat combien l’Afrique tait
indissociable de l’histoire du salut. Aprs lui, dans l’exhortation
apostolique post-synodale

Ecclesia in Africa, de 1995, Jean-Paul II
a prononc une phrase qui nous engage demeurer crucifis avec le
Christ pour le salut du monde : “Vois, je t’ai grave sur les
paumes de mes mains
(Is 49,16). Oui, sur les paumes des mains du
Christ, perces par les clous de la crucifixion. Le nom de chacun
d’entre vous [Africains] est grav sur ces mains.
   
Ces deux papes ont appel l’Afrique pour qu’elle soit un apport la
vie spirituelle du monde entier. Dieu n’abandonne pas les Africains,
comme II n’abandonne pas l’humanit. Je pense que l’Afrique peut,
dans le temps de crise que nous traversons, donner avec modestie le
sens du religieux qui l’habite. L’Afrique peut rappeler l’glise
ce que le Seigneur attend de nous ; Dieu compte toujours sur les
pauvres pour faire face aux puissants. Le peuple africain, qui garde
son innocence, peut aider les socits en crise tre plus humbles,
plus raisonnables, plus respectueuses de la vie et du sens de la
nature. Car Dieu veut que nous retrouvions sagesse et humilit.
L’Afrique sait que Dieu pardonne toujours, l’homme quelquefois, mais
la nature jamais.               

 
   
Pour l’ancien prsident du conseil pontifical Cor unum, Paul VI
est-il donc le pape de l’encyclique


Populorum Progressio

?

   
Paul VI avait l’espoir que le monde puisse devenir meilleur. En
cette anne 1967, il crivait : Certains estimeront utopiques de
telles esprances. Il se pourrait que leur ralisme ft en dfaut et
qu’ils n’aient pas peru le dynamisme d’un monde qui veut vivre plus
fraternellement, et qui, malgr ses ignorances, ses erreurs, ses
pchs mme, ses rechutes en barbarie et ses longues divagations
hors de la voie du salut, se rapproche lentement, mme sans s’en
rendre compte, de son Crateur.
   
Le pape Montini croyait l’importance du dveloppement des peuples
pour sortir de la misre. Dans un pays riche, ce type de rflexion
peut sembler superflu. Comme Africain, je puis vous assurer que je
vois le problme de manire toute diffrente…
   
Dans la douleur de Paul VI, il y avait aussi une grande dception
devant l’indiffrence des pays occidentaux. La batification de ce
pape me semble une rponse clatante la souffrance qui fut la
sienne sur cette terre.
   
Paul VI a t un prophte.


   
Quels souvenirs prcis gardez-vous de Jean-Paul Ier ?

   
Le jour de sa mort, j’tais triste et je ne parvenais pas
comprendre. Pourquoi Dieu avait-Il choisi cet homme qu’il rappelait
si rapidement Lui ? En fait, j’avais le plus grand mal apporter
des lments de rponse cette interrogation. Mais je me suis
laiss envelopper dans la mystrieuse sagesse de l’ternel.
   
Comment Dieu peut-Il fconder un ministre ptrinien aussi bref pour
le rayonnement de l’glise ? La longueur d’une vie ne lui confre
pas elle seule sa vritable valeur. De la mme manire, un
pontificat trs bref peut constituer un moment dterminant dans la
vie de l’glise. Dieu a donn ces quelques semaines de l’t 1978
un clat merveilleux car Jean-Paul Ier possdait le sourire, la
simplicit et le rayonnement des enfants. Sa gentillesse tait si
profonde qu’elle devenait une puret blouissante. Face l’impuret
de certains, jusque dans l’glise, je pense qu’il n’est pas mort en
vain.


   
Comment comprendre l’lection de Jean-Paul II ?

   
Ce pape reprsente la gloire de la souffrance. Son pontificat est
prodigieux et crucifi la fois. Jean-Paul II a connu de grands
triomphes pour l’glise sur la scne internationale, politique ou
mdiatique. Sur le plan pastoral, son apport est primordial, en
particulier son dialogue avec la jeunesse qu’il a remise sur le
chemin de Jsus. Pour autant, il est rest un pontife associ la
Passion et la souffrance du Christ. Car, en union avec le Fils de
Dieu, les succs entranent toujours des preuves. Ce pape a vcu
pleinement la gloire mystrieuse du Christ, qui est celle de la
Croix o la victoire triomphe dans la souffrance.
   
Jean-Paul II a combattu les forces du mal avec une ardeur ingale.
Puisqu’il dfendait la vie, les puissances occultes ne pouvaient que
dclencher contre lui les torrents de la haine. La tentative de
meurtre du 13 mai 1981, et les lourdes squelles dues ses
blessures, si peu de temps aprs l’lection, sont la rponse des
forces du mal l’lection extraordinaire de cet homme.
   
Mais Dieu avait un projet que les ennemis de l’glise n’ont pas pu
interrompre. Jean-Paul II pensait que la Vierge avait dvi la balle
qui devait le tuer. Avec la force rare qui l’habitait, il a t un
combattant voulu par le Ciel pour dfendre la vie, la dignit de
toute personne humaine et la famille.
   
Lors d’un anglus, alors que Jean-Paul II tait trs affaibli par
une hospitalisation prouvante l’hpital Gemelli, le 29 mai 1994,
il a eu ces mots extraordinaires : Prcisment parce que la
famille est menace, parce que la famille est agresse, le pape doit
tre agress, le pape doit souffrir, pour que toutes les familles et
le monde entier voient qu’il existe un Evangile de la souffrance,
travers lequel nous devons prparer l’avenir, le troisime
millnaire des familles, de chaque famille et de toutes les
familles.
   
Jean-Paul II avait une conscience aigu du ministre du Christ qu’il
devait porter. Dieu a configur ce pape la souffrance de son Fils.
La lance qui traversa le Christ, et les clous de la crucifixion,
sont venus jusqu’au cur de Jean-Paul IL Le pape polonais a montr
qu’il n’y a aucun succs pastoral sans participation la souffrance
du Christ.


   
Qu’est-ce qui vous touche le plus chez ce pape ?

   
J’ai admir son extrme courage face toutes les temptes qui n’ont
jamais manqu pendant sa vie. La dernire lutte face au mal qui le
rongeait fut hroque. En refusant de se cacher et de nier la
destruction progressive de son corps, Jean-Paul II a voulu aider
tous les malades qui pouvaient puiser en lui un modle. Pour le
pape, les personnes qui souffrent sont dignes d’tre honores.
   
Je pense que ses derniers moments sur terre ont t une forme
d’encyclique non crite. Le pape portait l’vangile dans son corps
bris et plus lumineux que jamais. Alors que la maladie le
conduisait aux portes de l’ternit, il a tenu faire son dernier
chemin de Croix, ce vendredi saint 2005, dans sa chapelle prive.
Nous ne pouvions le voir que de dos. Dpourvu de toutes forces
physiques, il tait littralement accroch la Croix, comme pour
nous inviter ne plus rester centrs sur lui, mais sur le signe
qui rvle Dieu et son amour. Ce vendredi saint rsumait toute la
vie de Jean-Paul II, qui voulait tre totalement configur au
Christ, et vivre en profonde communion avec ses souffrances, lui
devenir conforme dans sa mort, afin de parvenir, si possible,
ressusciter avec lui d’entre les morts. Il ralisait ce que saint
Paul crit aux Corinthiens : Et nous tous qui, le visage
dcouvert, contemplons comme en un miroir la gloire du Seigneur,
nous sommes transforms en cette mme image, allant de gloire en
gloire, comme de par le Seigneur, qui est Esprit (2 Co 3,18). Le
dimanche 27 mars 2005, il tait dj entr dans le silence du
passage qui prpare le surgissement de la vie. Ce jour-l, il a
voulu nous dire une dernire parole de sa fentre, mais aucun mot
n’est sorti de sa bouche. Il tait entr dans le silence de Dieu.
Dans ce moment douloureux, nous avions l’impression d’entendre
Jean-Paul II murmurer : Je suis heureux d’tre clou sur la Croix
avec le Christ, mon flanc contre son flanc, mes mains contre ses
mains, mes pieds contre ses pieds, les mmes clous le traversent et
me traversent, nos sangs se mlent en un seul sang. Et malgr tant
de souffrances, une longue et pnible agonie, le mystre de la
tnacit apostolique de Jean-Paul II et de sa mort sereine nous
rappelle cette parole de saint Bernard : Le soldat fidle ne
ressent pas ses blessures quand il contemple amoureusement les
blessures de son Roi.
   
l’instant des dernires heures de sa vie, lors de l’anglus du
dimanche de Pques, les paroles qu’il ne parvenait plus exprimer
ne doivent pas nous attrister. Dieu voulait que sa propre Parole se
lise dsormais sur le corps supplici du pape.
   
Nous sommes parfois devenus une glise si livresque et acadmique
qu’il ne nous est pas facile de comprendre la vrit de ce
tmoignage de la souffrance du corps. La Croix du Christ n’est pas
une thorie mais une douleur pouvantable et un signe d’amour. La
parole ne se donne pas seulement grce la Parole de Dieu, mais
galement travers l’incarnation. Le corps de Jean-Paul II portait
le message du Christ pour l’humanit.
   
Le pape qui avait tant crit sur le corps de l’homme tait dsormais
accroch au corps supplici du Christ.


   
Quel souvenir gardez-vous de votre premire audience avec Jean-Paul
II ?

   
Ma nomination est intervenue en aot 1979. Dans les semaines qui ont
suivi, je suis venu Rome pour saluer Jean-Paul II et lui exprimer
ma gratitude pour sa confiance. Avec l’vque du troisime diocse
de Guine, nous avons demand une audience. Dans la mesure o Skou
Tour ne voyait pas d’un il favorable ma nomination, cette
rencontre avec le pape tait trs importante. notre arrive au
Vatican, en septembre 1979, les services de la Secrtairerie d’tat
nous ont dit que le pape ne pourrait pas nous recevoir en audience
prive en raison d’un agenda surcharg… Pour nous, vis–vis du
gouvernement guinen, la chose tait impensable. Nous devions
absolument revenir en Guine avec une photo de notre entretien avec
le pontife ! Sans une rencontre avec Jean-Paul II, Skou Tour
aurait mpris notre autorit piscopale puisque le pape lui-mme ne
prenait pas la peine de nous rencontrer. .. J’ai suppli l’entourage
du pape, mais rien ne semblait possible. Par chance, le nonce en
poste Dakar, Mgr Giovanni Mariani, se trouvait Rome. J’ai pu
changer avec lui pour exposer mon problme. En fin connaisseur du
rgime autoritaire de Skou Tour, il comprit rapidement l’ampleur
du malentendu. La situation tait grave car Skou Tour tait
parfaitement capable de nous mettre en prison si le pape ne nous
offrait pas une reconnaissance.
   
Le nonce m’a alors conseill d’crire en urgence au pape en
prsentant la spcificit et la dangerosit de ma situation. Il
s’est personnellement engag pour que ma missive arrive dans les
mains du Saint-Pre. Un jour plus tard, alors que je me trouvais
chez les surs marianistes, Monteverde Nuovo, le secrtariat du
pape m’a tlphon pour m’informer que Jean-Paul II nous attendait,
Mgr Philippe Kourouma et moi-mme, pour clbrer, ds le lendemain,
la messe avec lui. Vous pouvez imaginer mon tonnement et mon
exaltation… sept heures du matin, nous l’avons retrouv dans sa
chapelle prive. J’tais port par une motion inimaginable. J’ai
beaucoup pri pour les hommes et les femmes qui avaient fait de moi
le chrtien, le prtre et l’vque qui se trouvait, contre toute
attente, dans la chapelle du pape, en particulier ma famille d’Ourous,
les spiritains, et Mgr Tchidimbo qui avait t tant abm par neuf
annes de prison.
    
Puis, aprs l’office, le pape nous a demand de prendre le petit
djeuner avec lui. Au moment de nous quitter, il a voulu que nous
puissions raliser toutes les photos ncessaires. Ce matin de
septembre, j’ai pass plus d’une heure avec Jean-Paul IL Pendant la
collation, il m’a demand mon ge. Je lui ai dit que j’avais
trente-quatre ans. Il est alors parti dans un grand clat de rire et
il s’est exclam : Mais alors, vous tes un bb vque ! Un vescovo Bambino
! Incontestablement, j’tais alors le plus jeune
vque du monde…


   
Quelle serait, selon vous, la meilleure manire de rsumer le long
pontificat de Jean-Paul II ?

   
Toutes ces annes si fcondes peuvent se rapporter aux trois piliers
de sa vie intrieure que furent la Croix, l’Eucharistie et la Sainte
Vierge, Crux, Hostia et Virgo . Sa foi extraordinaire ne
cherchait pas ailleurs que dans les outils les plus ordinaires de la
vie chrtienne les fondements de sa force.
   
Avant d’tre lu pape, lorsqu’il venait Rome, Karol Wojtylfa
logeait chez son grand ami le cardinal Deskur. La nuit, ce dernier
trouvait souvent son ami par terre sur le marbre froid de sa
chapelle prive. Il restait en adoration jusqu’au petit matin, sans
dormir. Inquiet pour son ami, Andrzej Deskur a fait retirer le
marbre pour poser un plancher de bois, moins inconfortable…
   
Au quotidien, la simplicit de ce pape tait dsarmante. N’imaginons
pas que les vertus des hommes de Dieu sont inatteignables.
Jean-Paul II vivait dans l’intimit de Dieu, sans quitter les hommes
qu’il ctoyait. La relation de confiance qu’il a eue avec le
cardinal Joseph Ratzinger fut immense, en mme temps que ces deux
gants demeuraient d’une humilit dsarmante.
   
Sans en avoir une vritable conscience, nous avons march avec un
saint qui est dsormais un protecteur de l’glise au Ciel.


   
Comment caractriseriez-vous la relation entre Jean-Paul II et
Joseph Ratzinger, son prfet de la Congrgation pour la doctrine de
la foi ?

   
Je pense qu’il existait une telle syntonie entre les deux hommes
qu’il leur tait devenu impossible de se sparer l’un de l’autre.
    Jean-Paul II a toujours t merveill par la
profondeur intellectuelle et l’vidence du gnie thologique de
Joseph Ratzinger
. De son ct, le cardinal tait fascin par
l’immersion en Dieu de Jean-Paul II
   
Ces deux successeurs de Pierre ont eu la mme vision des dfis qui
se posaient l’glise : la ncessit d’une nouvelle vanglisation,
le dialogue entre la foi et la raison, la lutte contre la culture
de mort , selon les mots de Jean-Paul II, et la rsistance contre
les formes d’oppression idologiques, du communisme au relativisme
libral. Ils voulaient surtout amener chacun de nous construire
une vritable vie intrieure.
   
Les cultures du philosophe polonais et du thologien allemand, de
l’ascte sportif et du professeur bndictin, taient diffrentes.
Mais les papes se retrouvaient dans le trfonds de leurs
spiritualits. En fait, ils possdaient une mme mystique : Dieu
Lui-mme a sans doute voulu rapprocher ses deux fils.
   
Le grand lien des papes Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II, et
Benot XVI demeure la souffrance. Jean XXIII aussi a beaucoup
souffert. Il disait, en ouvrant les bras : Je souffre avec
douleur, mais avec amour. Lorsque des amis l’interrogrent, au
moment de l’ouverture du concile, il rpondit : Ma part moi, ce
sera la souffrance.
   
II n’y a pas de ministre ptrinien sans partage de la Croix du
Christ.


   
Comment interprtez-vous toutes les difficults auxquelles Benot
XVI a d faire face ?

   
Pendant les longues annes o il est rest la Congrgation pour la
doctrine de la foi, Joseph Ratzinger a toujours voulu dfendre la
vrit rvle par Dieu, garde et diffuse par la tradition et le
magistre. Ds lors, certains mdias ont cherch sans relche le
placer dans la catgorie des conservateurs inflexibles, passistes
et intolrants.
    Je me souviens que le jour mme de son lection, des voix se
sont fait entendre pour exprimer leur dsapprobation face
l’lection du cardinal Ratzinger. Ils oubliaient combien le collge
des cardinaux lecteurs s’tait port si rapidement sur le bras
droit de Jean-Paul II… L’lection d’un pape est toujours un acte
de foi.
    Souvent, en pensant Benot XVI, j’entends cette phrase de
saint Paul Timothe : J’ai combattu jusqu’au bout le bon combat,
j’ai achev ma course, j’ai gard la foi
(2 Tm 4, 7)
. Je crois que
ce successeur de Pierre a t au bout de bien des batailles, de tout
ce qu’il pouvait donner l’glise et aux fidles dans l’ordre
spirituel, humain, thologique, intellectuel ou thologique. Au
fond, ce pontificat ressemble un magnifique livre ouvert vers le
Ciel, une merveilleuse intelligence tourne vers Dieu seul. Joseph
Ratzinger a toujours eu l’humilit des fils de saint Benot, rsume
par la devise Ora et labora . Quaerere deum , chercher Dieu,
est la vraie synthse du pontificat de Benot XVI.
    Peut-tre certains – l’intrieur et l’extrieur de
l’glise -n’ont-ils jamais accept les intuitions fondamentales de
Benot XVI, la lutte contre l’esprit relativiste, la dnonciation
des possibles drives dictatoriales du scularisme, le combat contre
les retournements anthropologiques, l’approfondissement de la place
de la liturgie. Benot XVI a souffert lorsque les loups se
dchanaient, Ratisbonne, pendant l’affaire Williamson, au cours
de la crise appele Vatileaks . Pourtant, ds 2005, il tait
lucide. Lors de sa messe d’intronisation, ne demandait-il pas :
Priez pour moi, afin que je ne me drobe pas, par peur, devant les
loups ? En particulier, il tait trs meurtri lorsque sa pense
tait travestie, dforme par les journaux, au point de devenir
l’exact contraire de son raisonnement propre. Peut-tre cet homme
doux et humble n’a-t-il jamais voulu se dfendre. Mais le Christ
s’est-il dfendu une seule fois contre ses dtracteurs et les loups
qui l’ont encercl au Jardin des Oliviers ?
    Comment imaginer que le texte qu’il pronona lors du chemin
de Croix au Colise, en mars 2005, puisse laisser indiffrent ?
Benot XVI n’a jamais eu peur de la vrit. En retour, les attaques
mondaines furent d’une violence sans limites.
    Si nous sommes la recherche de la vrit, Benot XVI est un
guide exceptionnel. Si nous prfrons le mensonge, le silence et
l’omission, Benot XVI devient un problme inacceptable…


    Selon vous, qui tait l’homme Benot XVI ?

    Joseph Ratzinger n’a pas chang aprs son lection. Il
restait un homme d’une grande sensibilit, pudique et rserv. S’il
avait l’impression qu’il avait offens son interlocuteur, Benot XVI
cherchait toujours lui expliquer les raisons de sa position. Ce
pape tait incapable d’un acte autoritaire ou tranchant. Il
incarnait la tendresse, la douceur, l’humilit et la bont
respectueuse de Dieu
.
    L’autorit d’un pape est spirituelle, thologique, pastorale
mais galement politique. Le Vatican est un tat, qui entretient des
relations diplomatiques avec de nombreux pays dans le monde, et le
pape doit ncessairement montrer une grande rigueur administrative
et une vritable fermet dans la gestion des personnes.
    Pourtant, je ne crois pas que le respect de l’autre et la
richesse spirituelle de ce pape l’aient empch de donner la mesure
politique de sa fonction.
    En fait, sa vision de Dieu et de l’homme fut si profonde que
je suis certain – et je l’espre – qu’il sera un jour, par la grce
de Dieu, canonis, vnr comme un grand saint et proclam docteur
de l’glise.


    Benot XVI a-t-il eu raison de renoncer au sige de Pierre ?

    Lorsque j’ai appris le choix de Benot XVI, je me trouvais au
Congo-Kinshasa, o je prchais une retraite pour les vques. Pour
moi, la dcision du pape a reprsent une grande souffrance, un
terrible tremblement de terre. Je ne peux cacher l’ampleur de la
dception qui fut la mienne. Aprs quelques jours, j’ai accept avec
confiance et srnit cette renonciation car je savais, dans la
lumire de la foi, que le pape avait mri cette dcision genoux
devant la Croix. Benot XVI a remis sa charge avec la conviction
d’tre en accord avec la volont de Dieu. Toute sa vie, il a cherch
Dieu ; II lui montrait encore une fois le chemin.
    Le pape mrite s’est install dans une maison que Jean-Paul
II avait dvolue des religieuses contemplatives priant pour le
Saint-Pre.
    Aujourd’hui, c’est Benot XVI qui prie pour l’glise.


    Pensez-vous qu’il existe une grande diffrence entre Benot
XVI et Franois ?

    De beaux esprits orgueilleux se plaisent rcrire le
conclave de 2005 en plaant le cardinal Bergoglio comme le
challenger de Joseph Ratzinger. Certes, des cardinaux avaient mis
beaucoup d’espoirs dans la possibilit de voir l’archevque de
Buenos Aires succder au pape polonais. Mais le cardinal Bergoglio
ne voulait absolument pas se trouver dans une confrontation avec
l’ancien bras droit de Jean-Paul II. II avait une vritable
admiration pour l’intelligence et la droiture de Ratzinger. Entre
ces deux hommes, il y a incontestablement de grandes diffrences de
style, un homme rserv, avec la sensibilit d’un bndictin, d’un
ct, et un pasteur de terrain, un jsuite, de l’autre, mais leurs
visions fondamentales de l’glise peuvent converger.
    Aujourd’hui, le pape Franois est conscient de la complexit
de sa tche et ne cesse d’implorer nos prires.


    Que vous inspire le nom de Franois comme pape ?

    Le pape Franois pense que le fondateur des franciscains peut
nous aider commencer une rforme profonde de notre vie
spirituelle. Saint Franois aimait tant Jsus qu’il a eu le
privilge de s’identifier absolument Lui, jusqu’ porter les
stigmates de sa Passion. En attirant nos regards sur saint Franois,
le pape nous invite imiter le Poverello d’Assise de manire
porter, nous aussi, partout et toujours, les souffrances de la mort
de Jsus (2 Co 4, 10 ; Ga 6, 17). C’est ainsi que saint Paul,
cherchant s’identifier au Christ, pouvait dire : En ce moment je
trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je
complte en ma chair ce qui manque aux tribulations du Christ pour
son Corps, qui est l’glise (Col 1, 24). Pour le Saint-Pre, les
chrtiens ne peuvent jamais esprer que la voie exigeante et aride,
seme d’embches, de Jsus.
    Saint Franois a vcu, lui aussi, une poque de crise
morale, spirituelle et politique. L’glise semblait s’crouler.
Jsus a demand Franois de rparer son glise ; il ne s’agissait
pas de la petite glise de San Damiano, mais de toute l’glise du
Christ, en ruine, symbolise et reprsente par la basilique
Saint-Jean-de-Latran, que le pape Innocent III a vue en rve,
penche, prte      s’crouler, et qu’un petit
moine soutenait de ses paules pour l’empcher de tomber.
Aujourd’hui, comment nier qu’il existe un dlabrement moral chez
certains hommes d’glise ? Le carririsme et la tentation des
mondanits dont parle si souvent le successeur de Pierre sont des
maux bien rels. Certains s’imaginent qu’ils sont ns de
l’imaginaire du pape. Hlas, le narcissisme clrical n’est pas qu’un
thme littraire. La maladie peut tre profonde.
    Pour provoquer un sursaut, nous devons d’abord redresser
notre vie intrieure. L’glise dpend de la puret de nos mes.
    Enfin, saint Franois fut un grand vanglisateur. Il est
all jusqu’au Maroc et en Egypte pour tenter de convertir les
musulmans. La mission restait inscrite en lettres d’or dans le fond
de sa mmoire. Il a voulu que l’vangile soit sa seule lumire. La
Parole de Dieu est au cur de sa rgle.
    Franois se situe dans ce grand sillage. Je retrouve chez lui
le vritable lan missionnaire de saint Ignace de Loyola. Le
fondateur de la Compagnie de Jsus ne rechignait jamais discerner
le bien du mal, et le pape Franois n’hsite pas non plus le
faire.


(Extrait de “Dieu ou rien” du Cardinal Sarah, ed. Fayard)
 

Sources :  E.S.M.

Ce document est destin l’information; il ne
constitue pas un document officiel

Eucharistie sacrement de la misricorde –

(E.S.M.) 01.09.2022

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De Pie XII Franois, les papes d’une vie

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