Tuer des sorciers dans Hogwarts Legacy, ça n’est pas cohérent avec l’univers d’Harry Potter ? Et alors ?

Révolution gobeline, élevage d’animaux… C’est ça la vie d’étudiant à Poudlard ?

Il fait bon vivre à Poudlard n’est-ce pas ? Vive les banquets, les jolies décorations de Noël et les cours de sorcellerie en tout genre. Une vie d’étudiant sympathique avec quelques petits bonus en plus ! Quand on dit ça, vous vous imaginez passer le plus clair de votre temps à faire des devoirs, vous amuser avec vos camarades, peut-être subir quelques heures de colle, avoir des amourettes, des embrouilles de lycéens… Bref, la vie sans conséquence d’un gamin de 15-16 ans. Et bien dans Hogwarts Legacy : l’Héritage de Poudlard, vous serez surtout amené à mater une dangereuse révolte, à apprendre des sortilèges censés vous emmener directement jusqu’à la case prison et à faire se reproduire des créatures comme un vrai petit éleveur. Notez que dans le lot, on retrouve tout de même des bêtes classées XXXX (comme le Grapecorne), ce qui correspond à “Dangereux / Exige une connaissance spécialisée / Maîtrise possible par un sorcier expérimenté”. Un sorcier expérimenté ? À tout juste 15 ans ? Vraiment ?

Vous l’aurez compris, si on prend une posture raisonnable, cela n’a pas vraiment de sens. Mais tout comme le scénario d’Harry Potter donnait de l’importance à de simples adolescents se retrouvant être presque les seuls à gérer un conflit qui les dépasse largement. Quand on y réfléchit, voir un jeune garçon lancer des Expelliarmus à tout-va face à un mage noir tentant de le tuer, c’est assez représentatif de cette incohérente situation : un étudiant de cet âge n’a rien à faire dans une intrigue pareille. Et c’est pourtant autour de ça que s’est construit le monde des sorciers de JK Rowling. Poudlard n’a jamais été une école comme les autres répondant à des quelconques normes de sécurité. On parle tout de même d’un établissement qui accueille des élèves à partir de 11 ans et qui garde, en ses murs, des formes dangereuses de magie, des trolls, des chiens à trois têtes, un basilic meurtrier, des passages secrets qui en font une véritable passoire facile à infiltrer et j’en passe… D’une certaine façon, reprocher aujourd’hui à la licence de défier les lois de la logique lycéenne, c’est tout de même un peu tard.

Tuer sans aller en prison

En revanche, il y a un point sur lequel la saga Harry Potter entre en conflit avec les propositions d’Hogwarts Legacy : les Sorts Impardonnables. Pas besoin de s’y connaître dans l’univers d’Harry Potter pour se douter que ces sorts n’ont absolument rien à faire dans une école visant à éduquer les jeunes sorciers. À vrai dire, si vous êtes arrêtés pour avoir jeté l’un d’entre eux, c’est un aller simple immédiat pour Azkaban qui vous attend. Alors certes, pour cela encore faut-il se faire attraper ou qu’il y ait des témoins. En prenant cela en compte, certains affirment déjà que voir un jeune sorcier tuer et torturer des gens à tout-va, ça n’a rien de bien choquant. Après tout, si vous avez choisi la voie de la magie noire, c’est assez logique non, c’est RP ? Et tant que vous ne vous faites pas choper, qui pourra vous envoyer en prison ou vous faire virer de l’école ? C’est comme pour toute petite bourde : pas vu pas pris.

Sauf que non, utiliser un Sort Impardonnable, ce n’est pas une simple connerie de lycéen. C’est même plutôt difficile à vrai dire. Il faut vraiment, profondément, vouloir infliger les pires souffrances à son adversaire. Ainsi, Harry n’avait initialement pas réussi à jeter le sortilège Doloris sur Bellatrix Lestrange dans Harry Potter et l’Ordre du Phénix. Envie de se défendre et simple colère d’adolescent ne suffisent pas à alimenter des sorts aussi puissants et dévastateurs. Il faut de la haine, de la vraie, et pas sûr qu’un gamin de 15-16 ans en est assez en stock pour jeter à tout-va des sorts de ce genre. Même de grands mages noirs tels que Voldemort n’avaient, à cet âge, tué ainsi qu’une poignée de personnes, et des personnes particulièrement proches par dessus le marché. Et même si notre sorcier était l’exception qui confirme la règle, les conséquences seraient alors terribles.

C’est la première fois que tu lances un Sortilège Impardonnable, n’est-ce pas, mon garçon ? Il faut vraiment vouloir la souffrance de l’autre, Potter ! Et y prendre plaisir. La juste et sainte colère n’aura pas beaucoup d’effet sur moi.

Bellatrix Lestrange dans Harry Potter et l’Ordre du Phénix

A priori, choisir la magie noire aura un impact sur l’histoire et son dénouement. Mais si on veut être dans la raison pure et dure, cette dernière devrait s’arrêter dès le premier Sort Impardonnable lancé. Pas vu pas pris disait-on, sauf qu’un mineur lançant un tel sortilège devrait logiquement être automatiquement pris la main dans le sac. Connaissez-vous la Trace ? Ce sortilège est placé sur tous les sorciers mineurs afin de surveiller leur activité magique jusqu’à leurs 17 ans. En effet, ils ne sont pas autorisés à utiliser la magie en dehors de l’école. S’ils le font, un rapport est directement envoyé au Service des usages abusifs de la magie du ministère de la Magie et des sanctions peuvent être retenues, selon les circonstances et la gravité du sort utilisé. Néanmoins, même dans les écrits de JK Rowling, la Trace semble fonctionner de façon un peu aléatoire, afin de coller aux besoins de la trame narrative établie en amont. D’Hermione à Fred, ils sont nombreux à avoir utilisé la magie alors qu’il n’était pas autorisé à le faire, et ce sans jamais être inquiété. De plus, dans le lore, la Trace n’est pas évoqué avant au moins le début des années 1900. Si on leur laisse le bénéfice du doute, on peut se dire qu’elle a été instaurée après les événements d’Hogwarts Legacy, peut-être même pour répondre aux tueries perpétrées par un simple étudiant de cinquième année dans les années 1890, qui sait.

Certes, ce qu’on a vu est un exemple un peu particulier. Il s’agit en effet d’une arène spécifique (et uniquement accessible pour ceux ayant mis un peu plus la main au porte-monnaie) permettant justement de tester les différents Sorts Impardonnables sans les avoir nécessairement appris. Mais cela n’empêche rien au fait qu’il sera possible, sous certaines conditions, de jeter Avada Kedavra en combat. Et vous pouvez retourner le problème dans tous les sens : utiliser ainsi les Sortilèges Impardonnables, ce n’est pas cohérent ! Et d’un autre côté, ils nous auraient terriblement manqué s’ils n’avaient pas été présents. Comment emprunter le chemin de la magie noire sans passer par quelque chose d’aussi emblématique et visuelle que les Sorts Impardonnables ? Surtout que choisir de les apprendre ou non permet d’offrir une rejouabilité au titre, avec la possibilité de faire plusieurs runs pour tester les différents styles de combat. En somme, pour le jeu, la présence des Sorts Impardonnables s’annonce comme une bonne chose. Et n’est-ce pas ça, après tout, le plus important ?

Entre lore et jeu

Si on veut être pointilleux, Hogwarts Legacy nous donne de nombreuses occasions pour cela. Prenez le vol à balai par exemple. Pour justifier le fait que plus vous volez haut moins vous avancez vite, les développeurs ont sorti la carte du “oui mais à l’époque, les balais n’étaient aussi développés qu’à l’époque des films/livres”. Alors certes, on n’est forcément pas sur un Nimbus 2000, mais tout de même… Au moment d’Hogwarts Legacy, les premières courses de balais ont plus de 900 ans et le quidditch 600. Avec ces chiffres en tête, l’excuse des développeurs paraît un peu bancale. Tout comme celle concernant les hameaux dispersés autour de Poudlard, car “regardez ce ne sont pas des villages mais des hameaux, puisqu’on sait que Pré-au-Lard est le seul village de sorciers aux abords de Poudlard”. Mais que ce soit pour l’un ou pour l’autre, une bonne raison se cache derrière ces petites incartades.

Pour le premier, l’idée est de pouvoir découvrir tous les éléments de décors ainsi que les secrets à découvrir, que des choses qui passeraient inaperçues si on se contentait de survoler de loin la région. Pour le second, c’est encore plus évident : sans hameau les alentours de Poudlard manqueraient cruellement de vie (en d’autres mots, on s’emmerderait terriblement). Et c’est là qu’on commence à approcher le cœur du problème. C’est très bête à dire, mais Hogwarts Legacy est un jeu et il doit être considéré comme tel. En tant que joueuse d’Assassin’s Creed, je suis particulièrement au fait de la nécessité de trouver un compromis entre le gameplay/rythme du jeu et le matériau de base. On pointe souvent du doigt le manque de fiabilité historique des jeux de la licence d’Ubisoft, mais les modifications qui sont sciemment apportées vont (normalement) dans le sens de l’expérience de jeu. Que ce soient les changements de perspective ou les exagérations historiques, tout est pensé pour marquer plus profondément le joueur, en lui permettant de s’émerveiller devant la grandeur des pyramides d’Egypte ou de suivre un scénario aux antagonistes emblématiques.

Et certes, j’évoque là Assassin’s Creed, mais c’est valable pour la plupart des jeux. Personne ne s’indigne du côté exploitation forcée des Pokémon, le tout orchestré par des gamins à peine sortis de l’école. On se fiche éperdument du fait que Geralt de Riv pourrait se tirer de bons nombres de situations juste en utilisant Axii. Croire que les jeux ne s’octroient pas quelques libertés dans leur propre univers, c’est se voiler la face. De façon générale, peu sont les jeux ne trichant pas un peu pour rentrer dans les clous du divertissement. Et s’ils ne le faisaient pas, ils seraient très certainement décriés. Car oui, être trop cohérent c’est parfois s’oublier en tant que jeu. Si Red Dead Redemption 2 a été applaudi pour de nombreuses raisons, son aspect “trop réaliste” en a malheureusement rebuté plus d’un. Tout comme certains joueurs ont beaucoup de mal avec les titres qualifiés d’œuvres d’art car justement ils s’éloignent plus ou moins de l’aspect jeu.

Alors oui, Hogwarts Legacy fera des concessions sur le lore, impossible de faire autrement. Sinon, on s’ennuierait à mourir, c’est aussi simple que ça. Si Hogwarts Legacy était un simulateur de vie lycéenne, on passerait la plupart de notre temps en permanence, en cours ou en retenue. Les gens que l’on ne connaît pas ne passeraient pas leur temps à essayer de nous proposer des quêtes à tout-va. On aurait des examens. On pourrait redoubler. Que des éléments de vie qui ne sont pas franchement palpitants à découvrir en jeu. Même Persona 5, dont une bonne partie de l’action se passe au lycée, apporte des éléments aussi absurdes que fantasques, car sinon ce serait l’ennui le plus total.

Alors heureusement qu’Hogwarts Legacy n’est pas une simulation mais un jeu d’aventure, se déroulant d’ailleurs dans un univers déjà bourré de trous et d’incohérences. Est-ce vraiment si grave d’en rajouter quelques-unes ? Est-ce que cela gâchera l’expérience de jeu ? Au contraire, ces incartades sont justement faites pour la sublimer. Si vous voulez du lore à outrance, prenez un livre ou épluchez le wiki de l’univers. Personnellement, je compte bien vivre pleinement l’aventure que me proposera le jeu et l’attend plus au tournant sur son gameplay que sur son respect du lore (déjà bien chaotique à la base).

Et pour vous ? Ces incohérences sont-elles rédhibitoires ?