Angola : les enfants des rues de Luanda, visages d’un pays miné par les inégalités

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Des enfants sans-abri à Luanda, en 2007.

Au pied des immeubles de luxe et des tours ultramodernes du centre de Luanda, des cireurs de chaussures d’une dizaine d’années attendent un client. A proximité, trois adolescents slaloment entre un 4×4 flambant neuf et une voiture de sport pour mendier quelques pièces à un feu rouge. Plus loin, d’autres improvisent une chorégraphie devant les salariés d’une compagnie pétrolière dans l’espoir de s’offrir quelque chose à manger.

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Dans la capitale angolaise, les enfants des rues se rassemblent souvent par groupes de cinq ou six. Dans la journée, ils tentent de survivre au milieu des artères saturées de la ville. La nuit, ils se rassemblent sur les ronds-points ou dorment sous les ponts de cette cité tentaculaire d’environ 10 millions d’habitants.

Malgré la manne pétrolière, la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale

Comme le rappellent ces jeunes vagabonds, l’Angola est l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Malgré la manne pétrolière – le pays est devenu fin août le premier producteur africain, devant le Nigeria –, la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. La faute à une économie insuffisamment diversifiée et à un système de corruption à grande échelle qui a permis de détourner des milliards de pétrodollars pendant des dizaines d’années. Le tout amplifié par la crise économique qui a suivi la pandémie de Covid-19.

« Les policiers nous battent »

A Luanda, l’une des villes les plus chères du monde, l’extrême précarité des « meninos da rua » (« les enfants des rues », en portugais) tutoie la richesse ostentatoire de certains quartiers. Des îlots de pauvreté se développent entre les « compounds », ces zones sécurisées où vivent la plupart des expatriés, et notamment près de la Marginale, ce long boulevard bordé de restaurants chics et de palmiers le long de l’océan Atlantique.

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De nombreux enfants des rues viennent du bidonville de Sambizanga, dans le nord de la capitale. Dans ce labyrinthe de ruelles défoncées se dresse depuis 1991 la Casa Magone, un havre de paix où des grappes de gamins peuvent venir se reposer ou jouer au baby-foot dans la journée. « Les enfants qui viennent vivent de la mendicité ou des ordures qu’ils récupèrent dans les décharges, d’autres travaillent sur les marchés ou en lavant des voitures, et de nombreuses jeunes filles se prostituent, explique Adejame de Freitas Cadette, directeur de ce centre installé dans un bâtiment d’une dizaine de pièces. Ici, tout le monde peut manger et se faire soigner. »

Des enfants du centre d’hébergement de la Casa Magone, dans le quartier de Sambizanga, à Luanda, en août 2022.

Franchir le portail de la Casa Magone n’engage à rien sur le long terme. « C’est uniquement s’il veut quitter l’univers de la rue que nous proposons un dispositif à l’enfant », assure Adejame de Freitas Cadette, lui-même ancien « menino da rua ». Ce processus comprend plusieurs étapes : la recherche de sa famille, puis une éventuelle réinsertion au sein du foyer. Le jeune qui souhaite s’engager professionnellement peut aussi suivre une formation. Le centre propose des cours pour apprendre la couture, la coiffure, la cuisine…

« Toutes les histoires de ces enfants sont différentes, mais ils ont en commun la souffrance », indique Madalena Mendes, éducatrice depuis six ans à la Casa Magone. Moises, 15 ans, a quitté le domicile de sa mère parce qu’il voulait « l’aider financièrement ». Alors il a cherché des petits boulots dans la rue. « Mais c’est très difficile car les policiers nous chassent, nous battent, raconte-t-il. Les grands [les enfants plus âgés] nous volent et nous obligent à nous droguer. Je connais des gens qui sont morts parce qu’ils ont été percutés par des voitures après avoir sniffé de l’essence. Moi je reste dans la rue car je veux soutenir ma maman. »

Tuberculose et paludisme

Nucho, 10 ans, est un jeune cireur de chaussures comme on en voit des dizaines dans le centre-ville. Il ne peut pas retourner chez lui « à cause d’une voisine, une sorcière », qui dit qu’il est « un enfant maudit ». A Sambizanga ou à Palanca, dans l’est de Luanda, la sorcellerie revient comme une cause fréquente de rejet des enfants. « S’il y a un décès ou une maladie grave qui s’abat sur la famille avant ou après une naissance, on va accuser le nouveau-né de porter malheur », explique Joao Facatino, missionnaire et directeur du centre d’hébergement Arnaldo-Janssen (Cacaj), qui a ouvert ses portes en 2003 à Palanca sur un terrain offert par le diocèse et un groupe pétrolier britannique.

A Sambizanga ou à Palanca, la sorcellerie revient comme une cause fréquente de rejet des enfants

« Parfois, on retrouve des enfants abandonnés devant notre portail. Philosophiquement, il faut toujours chercher une cause à un malheur », estime Joao Facatino. Financé par des entreprises, des particuliers et la paroisse, le Cacaj héberge aujourd’hui 65 anciens enfants de la rue, âgés de 7 à 14 ans. Tous suivent un cursus scolaire. « Quand ils arrivent ici, ils souffrent de maladies comme la tuberculose ou le paludisme, mais aussi de blessures. Il y a aussi les problèmes psychologiques, car ils ont parfois subi des chocs traumatiques », poursuit le missionnaire, qui évalue le nombre d’enfants des rues à 4 000 à Luanda. « Ils sont parfois agressifs, ont du mal à se concentrer et à accepter les règles, indique Ferdinand Castel, éducateur. Mais au fil des mois, ils réapprennent à vivre en groupe et à se faire confiance. »

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Certains ont aujourd’hui des rêves plein la tête. Fabio, 16 ans, explique « être devenu complètement fou en vivant dans la rue » pendant neuf mois, « à cause de la violence qui y règne et des mauvaises conditions de vie ». Après trois ans dans le centre, il veut devenir cuisinier et assure déjà savoir faire « le meilleur riz au poisson de tout l’Angola ». Quant à Janilson, 14 ans, après cinq années passées dans la rue avec son frère et une bande d’une quinzaine d’enfants, il a repris les études et veut devenir ingénieur dans le domaine pétrolier : « Lorsque je regarde mon pays, je me dis qu’il a besoin de moi et que je peux participer à son développement. »

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