Afrique : Pourquoi la croyance à la sorcellerie reste presqu’intacte chez les Africains depuis des générations ?

Les intellectuels africains doivent mobiliser leurs énergies pour décrypter le langage des confréries de sorciers et les indices laissés par elles. C’est la conviction de Bali Nébié, enseignant à la retraite et écrivain, qui estime dans la tribune qui suit que c’est la seule voie qui s’offre à eux pour démystifier la sorcellerie qui, au XXIème siècle, constitue un obstacle majeur au développement socio-économique et politique du continent noir.

« La sorcellerie, considérée comme une pratique qui confère à un individu des pouvoirs surnaturels, a existé dans toutes les sociétés humaines. Si sur certains continents, elle a pris des formes voilées et subtiles de nos jours, en Afrique, surtout dans sa partie subsaharienne, la pratique a peu évolué dans sa forme en dépit des avancées fulgurantes des sciences et des technologies pendant ces deux derniers siècles.

En Afrique subsaharienne, la sorcellerie est indissociable de l’existence des confréries, structures probablement héritées de l’application d’une méthode millénaire à laquelle avaient toujours eu recours les classes dirigeantes pour rassurer leurs populations confrontées aux calamités souvent naturelles (épidémies de maladies infectieuses, accidents cardio-vasculaires, noyades, foudroiements, sécheresses, vents violents, troubles nerveux, etc.) : la méthode du « bouc émissaire ».

En effet, les classes dirigeantes, confrontées à ces calamités dont elles-mêmes ignoraient les causes, calmaient la colère des populations en leur livrant des « coupables » qui n’étaient autres que les personnes indexées comme étant des « fauteurs de trouble » par les confréries (contestataires de l’ordre social, rivaux des dirigeants, égoïstes, marginaux, rebelles etc.) ; et malheureusement de nos jours, de pauvres personnes du troisième âge sans soutien devenues de trop lourdes « charges » pour leur famille.

Dans les villages, les sorciers étaient organisés en sociétés secrètes ou confréries. L’Afrique comptait une demi-douzaine de confréries dont les plus répandues et les plus redoutables étaient les confréries des hommes-lions et celles des hommes-léopards ou hommes-panthères.

Les confréries étaient animées uniquement par des hommes compte tenu des nombreuses contraintes liées à la nature et aux activités de ces sectes. Les femmes n’étaient que des jouets entre leurs mains : elles pouvaient servir de boucs émissaires dans les procès en sorcellerie. Sur le plateau mossi au Burkina Faso, ces boucs émissaires étaient invariablement des femmes généralement du troisième âge.

Les garçons sélectionnés par les Anciens pour faire partie de la secte devaient être moralement et physiquement irréprochables. Si certaines confréries exigeaient le versement d’un droit forfaitaire en nature et en espèces, d’autres par contre, telles que les confréries des hommes-lions et des hommes-léopards exigeaient le don d’une vie humaine. Chaque néophyte avait un parrain à qui il devait allégeance de façon absolue. La devise des sectes était : “solidarité absolue entre les initiés et respect absolu du secret”.

Les confréries se donnaient pour mission de défendre les traditions et d’instaurer l’ordre, la discipline et la justice au sein des communautés. Une sorte de brigade des mœurs. Leurs ambitions étaient d’exercer une influence sur la vie sociale, religieuse et politique des communautés de façon souterraine. Pour ce faire, elles infiltraient les organes décisionnels des communautés et contrôlaient ceux chargés de la répression. La sanction appliquée en cas de violation d’un interdit variait en fonction de la gravité de la faute commise : amendes en nature ou en espèce, bannissement et peine de mort. Les deux dernières sanctions étaient strictement contrôlées par les confréries.

Au Cours de leur formation assurée par de vieux Maîtres érudits, les néophytes s’ouvraient petit à petit aux mystères de la vie. Ils apprenaient à connaitre véritablement la nature et les lois de l’univers. Ils découvraient le gouffre qui séparait la réalité de la vie, des contes qu’on leur débitait sur les « pouvoirs » des sorciers. Ils apprenaient alors à trouver des explications rationnelles aux phénomènes dits mystérieux et à faire la différence entre la Légende et l’Histoire d’une communauté. Ils gardaient jalousement ces connaissances acquises qui leur donnaient le sentiment de « puissance » et de supériorité par rapport aux autres membres de la communauté.

La méthode de prédilection utilisée par les confréries pour atteindre leurs objectifs était celle du « bouc émissaire » ; et les techniques étaient la peur, la mystification, le chantage et la répression. Elles avaient fait de la peur un puissant instrument de domination des consciences des membres des communautés. Elles savaient que la peur tirait sa source de l’inconnu, du mystère. Et comme dit Guy de Maupassant, « on n’a vraiment peur que de ce qu’on ne comprend point ».

La sorcellerie était présentée comme étant l’inconnu, le mystère, la chose inaccessible aux Hommes ordinaires. Les sorciers devenaient du coup pour les membres de la communauté, de redoutables et potentiels prédateurs. Personne ne pouvait leur échapper. La mort, présentée comme un épouvantail terrible, rôdait partout. Et pour éviter toute complicité entre les membres des communautés, elles les mettaient en conflit les uns contre les autres.

Les confréries se nourrissaient de mystifications et, en vraies opportunistes, elles étaient promptes à s’attribuer la paternité des phénomènes tout à fait naturels sur lesquels elles n’avaient aucune influence tels que la foudre, les orages, les vents violents, les épidémies de maladies infectieuses, la sècheresse, etc.

Toutes les idées qui entouraient la sorcellerie étaient conçues et diffusées par les membres des confréries. Ils créaient dans chaque village un environnement de peur permanente qu’ils entretenaient par l’exécution de scénarii surtout la nuit. Ainsi, étaient conditionnées et mises en coupe réglée les communautés.

Pour perpétuer ce système de domination des consciences des populations pendant des générations, les confréries ont utilisé le système éducatif. Selon Gunther Anders « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente…Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées »

Les classes dirigeantes africaines, par l’entremise des confréries, appliquaient cette recette avec succès depuis des millénaires. En effet, les réactions des membres des communautés vis-à-vis de tout ce qui concernait la sorcellerie étaient presqu’intactes depuis des générations. Elles avaient instauré un système éducatif fondé sur la répression de la curiosité chez l’adulte et l’étouffement de la curiosité chez l’enfant.

La première étape de ce système éducatif consistait à étouffer chez l’enfant dès le bas âge, la curiosité. Dans le processus d’apprentissage chez l’enfant, étaient proscrits les mots “comment” et “pourquoi”. Les confréries avaient compris très tôt que la curiosité était la base de l’acquisition des connaissances alors que pour mener à bien leurs missions, elles devaient maintenir les populations dans l’obscurantisme.

L’enfant idéal était celui qui savait écouter et exécuter les ordres qu’il recevait des adultes. Les parents, pour protéger leurs progénitures, perpétuaient inconsciemment ce système éducatif. Ils savaient par instinct ou par expérience, qu’être curieux était porteur de dangers dont ils ignoraient la nature et la provenance. Ils réprimaient par conséquent de façon systématique la curiosité chez leurs enfants.

La deuxième étape consistait à inculquer à l’enfant des dogmes du genre :

 « Tout ce que disent les vieux est vérité absolue » ;

- « Il existe des personnes dotées de pouvoirs surnaturels illimités, de façon innée ou acquise : ce sont les sorciers, les devins et les évocateurs des âmes de défunts » ;

- « Seules les divinités peuvent protéger les membres de la communauté contre l’action maléfique des sorciers »

- « La dépouille mortelle, dans certaines conditions, a le pouvoir infaillible d’identifier le coupable » ;

- « Il existe des fétiches qui ont le pouvoir infaillible de détecter les sorciers » ;

- “Les âmes des personnes décédées des suites d’accidents hantent tous les lieux où leur dépouille séjourne.”

- etc.

Dans ce système éducatif, les enseignements étaient dispensés par tous les membres de la communauté encadrés par les Vieux. Les illustrations étaient des contes, des légendes et de l’histoire présentés comme étant des réalités vécues par des Vieux.

Ces illustrations mettaient toujours en exergue le sort réservé aux éventuels rebelles et autres contestataires : invariablement la MORT. La remise en cause d’un de ces dogmes était le plus grave des crimes que pût commettre un membre de la communauté. Et fait exceptionnel, toute la famille du coupable subissait la sanction. Ainsi était distillée de façon permanente la PEUR qui était ensuite inoculée aux membres de la communauté.

Un enfant éduqué dans un environnement communautaire de ce type, en devenant adulte, ne pouvait se comporter autrement que comme le chien de Pavlov conditionné pour réagir de façon précise à un stimulus donné. La croyance à la sorcellerie ayant été assimilée par les membres de la communauté sous forme de dogmes, il était quasi impossible pour ces derniers de s’en défaire sans bénéficier d’une aide appropriée. En effet, les dogmes se gravaient dans leur subconscient comme un logiciel qu’on installait sur un disque dur. Malgré eux, leur personnalité s’identifiait à ces croyances qu’ils niaient souvent avec véhémence ; mais, ils étaient toujours trahis par leurs comportements et attitudes quotidiens qui en étaient fortement imprégnés.

Quand on faisait allusion à la « sorcellerie » en leur présence, les expressions « Pourquoi ceci…? » et « Comment cela…? » disparaissaient automatiquement de leur langage. Le mot « sorcier » (=excitant conditionnel) déclenchait chez eux une résurgence de la peur enfouie dans les profondeurs du subconscient entrainant la paralysie du cerveau. Ainsi le système les rendait bornés et dépourvus de tout esprit critique. Les personnes instruites n’échappaient pas à ce dressage mental. Comme le dit l’auteur dans Le Roi du Djadjo « … les Intellectuels exécutent sagement et avec application les injonctions reçues des villageois, convaincus que ces derniers détiennent entre leurs mains, leurs « racines » ». Et le Professeur Boa Thiémélè Ramsès, dans « La sorcellerie n’existe pas » renchérit : « La croyance à la sorcellerie agit sur les esprits comme une torpille paralysante ».

En effet, interrogés sur ces dogmes, les Africains instruits, dans leur large majorité, commençaient à bafouiller pour terminer toujours par « Vous savez, nous sommes en Afrique ! » ou encore « Vous savez, l’Afrique a ses mystères ! », etc., comme si le continent africain était situé sur une planète différente de la Terre.

Cette formule lapidaire de « L’Afrique a ses mystères », justifiait des comportements et attitudes qui défiaient le simple bon sens. Sinon, comment comprendre que des personnes instruites pussent accepter un seul instant cette absurdité de la dépouille mortelle qui serait capable de faire mouvoir des hommes qui la portaient. Et pourquoi cette soumission aveugle à des us et coutumes en déphasage avec l’évolution de la société ? « Parce que c’est la tradition ! », répondraient des gens. Une parfaite illustration de la démission et de la paresse intellectuelles de la part de l’élite africaine dénoncées par le Professeur Boa T. Ramsès. Une culture figée est vouée à disparaitre. L’élite africaine doit veiller à débarrasser constamment les éléments caractéristiques de la culture africaine des scories afin de préserver les fondamentaux.

Aucun des pouvoirs « surnaturels » attribués aux sorciers ne peut résister à une analyse critique sérieuse. Le drame est que même les grands Scientifiques africains ne se risquent à une telle démarche et pour cause ? La crainte d’être anéantis par les forces « invisibles » des sorciers ; de grands pouvoirs « surnaturels » qui hélas ! se sont brutalement volatilisés dès les premières attaques terroristes dans certains pays.

Si la grande ouverture des communautés africaines au monde extérieur a été fatale à la survie des confréries dont les membres se sont mués en mercenaires criminels ou vendeurs d’illusions, les impacts des actions de ces sectes sur la vie communautaire sont restés malheureusement intacts : la peur du sorcier est, jusqu’à ce jour, omniprésente dans tous les secteurs d’activités, compromettant ainsi de façon profonde le développement des pays africains.

Pour désamorcer un piège, il faut en connaitre le fonctionnement. Les Intellectuels africains se retrouvent aujourd’hui confrontés à un gros problème : l’accès au monde des initiés leur a été refusé dès leur inscription à l’école coloniale. En effet, dans chaque village, cohabitaient deux mondes : le monde des profanes représenté par les populations laborieuses réduites à jouer les rôles de marionnettes d’une part et celui des initiés, une infime minorité, qui tirait les ficelles d’autre part. Tout enfant admis à l’école coloniale perdait automatiquement la possibilité d’intégrer un jour le monde des initiés (à quelques exceptions près) parce qu’en embrassant une culture étrangère, il devenait incontrôlable par les confréries.

Il est grand temps que les Intellectuels africains mobilisent leurs énergies pour décrypter le langage des confréries et les indices laissés par elles. Il parait évident, que ce soit la seule voie qui s’offre à eux pour démystifier la sorcellerie qui, au XXIème siècle, constitue un obstacle majeur au développement socio-économique et politique du continent noir. »

Bali NEBIE

Enseignant à la retraite/ Ecrivain

Tel : +(226)66158655

Mail : bedoa@gmx.fr

Chevalier de l’Ordre National

Sources :

- La Sorcellerie n’existe pas. (Essai).BOA Thiémélè Ramsès : Ed. du Cérap, 2015

- Le Roi du Djadjo. (Roman) Bali NEBIE : Editions Kraal, 2012

- La Sorcellerie, un géant tigre de papier. (Essai). Bali NEBIE : Editions Poun-yaali, 2021

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