Chamanisme : Journal d’une quête de vision

Sept jours et sept nuits seule, sans manger, boire, ni parler. Pour atteindre un état modifié de conscience pouvant susciter des visions, notre reporter s’est “donnée” complètement. De ce rituel chamanique, elle ressort éblouie par la beauté de la nature, et remplie de force intérieure, de confiance et de joie.

Lorsque j’ai entendu parler de la quête de vision pour la première fois au Brésil, j’ai été immédiatement séduite. J’arrivais à une époque charnière de ma vie où certes l’écriture resterait un moyen de transmettre des messages, mais où d’autres facettes de moi demandaient aussi à s’exprimer. Cette expérience m’aiderait à les faire émerger. J’ai donc « gravi la montagne » une première fois, quatre jours, en 2016, et renouvelé l’expérience cette année, sept jours et sept nuits.

Jour 1

Un hamac avec moustiquaire, une couverture, un tapis de sol, une bâche pour me protéger du soleil et de la pluie, de la corde, de la ficelle, une tenue de rechange et une japamâlâ, un chapelet de cent huit graines pour réciter et compter les mantras. Me voilà prête pour « gravir la montagne » une deuxième fois ! Nous commençons par la hutte de sudation, cérémonie sacrée de purification marquant le début de notre processus de transformation dans le ventre de la terre mère. C’est également le moment où nous nous engageons à faire vœu de silence. Je m’enfonce ensuite avec les autres « expérienceurs » dans le Cerrado, cette savane entre l’Amazonie et le littoral, attendant que le chaman attribue à chacun un « lieu de pouvoir » isolé afin d’y être « planté ». Notre périmètre – à peine quelques mètres carrés par personne – sera délimité par une barrière symbolique : un simple fil de coton auquel chaque participant aura soigneusement noué, selon la tradition lakota, trois cent soixante-cinq petites bourses de tissus garnies de tabac, représentant nos prières pour demander guidance et protection.

Rester cloué au même endroit : c’est justement ce qui, l’an dernier, pour ma première quête de vision, m’avait donné du fil à retordre. Même si la soif s’était bien sûr fait sentir, surtout par des températures avoisinant les quarante degrés sans une goutte de pluie, je me suis aperçue que, durant ces quatre jours, j’avais surtout souffert de mon manque de patience. Je me suis revue batailler contre le temps qui, à mon goût, ne passait pas assez rapidement. J’étais dans l’attente du dernier jour, pressée d’en finir. Or, batailler contre le temps, c’est lutter contre des moulins à vent. Et faire fi du moment présent. Je ne m’apaisais que lorsqu’enfin je lâchais prise et… cessais d’attendre ! Cette année, promis, je ne tomberai pas dans le même piège. Je compte sur ma nouvelle botte secrète : les mantras !

Au moment où je commence l’installation de mon campement, une averse vient me tremper. Restons zen. Je dois vite accrocher ma bâche pour me mettre au sec. Je m’endors avant la nuit, bercée par le chant de la pluie sur la toile en plastique.

Jour 2

Je remarque un creux dans ma bâche un peu lâche, avec assez d’eau pour me désaltérer. Je me lève d’humeur guillerette. Après un bain de soleil matinal, je commence à chanter – en silence ! – des mantras, en égrenant ma japamâlâ. « Om bhur bhuvahasvaha, tat savitur varenyam… » (Om : le son primordial, à l’origine de la création. Bhur : la terre, ce qui est grossier. Bhuvaha : l’atmosphère, l’éther, le monde subtil. Svaha : le ciel, le monde au-delà de bhuvah, le monde causal. Tat : « cela », qualifiant l’ultime réalité qui ne peut être décrite. Savitur : représentation du divin, savitri, le pouvoir vivifiant contenu au sein du soleil. Varenyam : adorer.)

Oh non, pas eux ! Dans cette nature paradisiaque, un inconvénient majeur : la présence de moucherons particulièrement agaçants, qui entrent dans les orifices – yeux, narines, oreilles. Comme l’an dernier, je vais devoir passer une partie de mes journées cachée sous un foulard. Joie.

Fin d’après-midi, je me délecte du spectacle que m’offre la nature. Surplombant les collines, trois aigles jouent avec les courants. Un gigantesque papillon bleu métallisé vient me saluer, et une envolée d’aras turquoise et jaune passe au-dessus de moi en jacassant. Je m’endors sous un magnifique ciel étoilé, remerciant la terre mère de me nourrir par tant de beautés.

Jour 3

Ce matin, j’ai la tête qui tourne et des douleurs dans le dos. Tiens, où est donc passée ma tong droite ? Je la retrouve abandonnée derrière un buisson, la semelle rongée de moitié, la lanière tailladée en petits morceaux. Obligée de continuer l’aventure pieds nus ! La visite nocturne de ce rongeur facétieux se révèle plutôt cocasse. Cela me rappelle toutefois que cette nature sauvage abrite des espèces bien plus redoutables, comme le serpent corail, le jaguar tacheté ou le loup à crinière, et que, dans cette histoire, je peux y perdre bien plus qu’une tong ! Une pensée que je chasse illico afin de maintenir un état d’esprit positif. Confiance. J’effectue quelques étirements pour soulager mon dos. En vain. Pff ! encore quatre jours ! J’attrape ma japamâlâ et, à nouveau, récite des mantras pour discipliner mon mental. Après avoir répété « om mani padme om » (« l’éveil existe dans tout ») cent huit fois, l’efficacité est garantie : je souris béatement en ressentant l’amour partout. Dans chaque plante, chaque arbre, chaque insecte… Quatre jours finalement, c’est quoi ? Rien !

Dans la nuit éclate un violent orage. Je suis cernée par les éclairs, et ma bâche s’agite furieusement à chaque rafale de vent. Soudain, la toile convulsivement se met à danser. Un rivet a sauté. Je cherche à tâtons une bobine de ficelle dans mon sac. Par miracle, je parviens à limiter un dégât des eaux dans mon hamac. L’humidité a cependant infiltré mes os. Me viennent en mémoire les écrits d’Alexandra David-Néel racontant comment, pour surmonter le froid, les moines tibétains, par des exercices de respiration et de visualisation, réussissent à activer en eux un feu intérieur au point de faire sécher leurs vêtements mouillés, même sous la neige. C’est le moment d’expérimenter, à mon tour, le pouvoir de l’esprit sur le corps. Je respire profondément et imagine un brasier. J’arrive à peu près à me réchauffer ! Un autre miracle.

Jour 4

 La pluie et le vent ont enfin cessé. Pas mes douleurs de dos. Et toujours ces étourdissements. Je n’ai pas spécialement faim, mais mon mental commence à piaffer : qu’est-ce que tu fais ici ? Qu’est-ce que tu veux te prouver ? Je m’oblige à prier pour récupérer des forces. Retrouver la foi. J’ai mal, aidez-moi ! Besoin de m’adosser à un arbre. Rapidement, mon cerveau bascule en mode thêta (rythme cérébral de relaxation profonde, état de rêve ou de semi-éveil). J’ai l’impression que l’arbre me parle. Pas avec des mots, avec son esprit. « Cura, cura. » Je sens des vibrations entre mes omoplates comme un massage d’ondes électromagnétiques de basse fréquence. Une demi-heure plus tard, mes douleurs ont disparu !

Je me sens revitalisée. Envie de danser, de célébrer la pluie. Qu’à cela ne tienne ! Je me mets à tournoyer et à frapper le sol avec mes pieds. Cette nuit, la femme sauvage en moi s’est réveillée !

Jour 5

 Je n’ai rien avalé depuis cinq jours, pourtant je redouble d’énergie. Après avoir démêlé mes longs cheveux avec un bout de bois, et dessiné des mandalas par terre, j’entame mon rituel quotidien jusqu’à entrer dans une transe extatique, durant laquelle j’entends distinctement des instruments de musique qui m’accompagnent et des voix qui chantent en chœur avec moi !

Avant la nuit tombée, le chaman vient m’apporter un morceau de pastèque. Cadeau inespéré que je savoure jusqu’à l’écorce. Un vrai délice ! La lune, presque pleine, est auréolée d’un arc-en-ciel. Je me couche le cœur joyeux.

Jour 6

Un coléoptère aux ailes ornées de dessins tribaux m’a tenu compagnie toute la matinée. Des colibris sont venus butiner mes prières, confondant sans doute mes bourses de tabac avec des fleurs d’hibiscus. Je m’amuse à observer les arbres pour y trouver des visages, des personnages… En fin de journée, les aras, annonçant leur passage de leurs cris stridents, ont poursuivi leur course vers le soleil couchant. Ce soir, grâce au vent soufflant dans ma direction, j’entends les battements de tambour frénétiques du chaman et les voix des apoios, ces volontaires venus nous soutenir. Situé à un kilomètre environ, le campement « vigie » – présent jour et nuit – est en pleine effervescence pour nous envoyer de bonnes ondes, en chantant et en priant les esprits protecteurs autour d’un feu sacré qui restera allumé jusqu’à la fin de la quête de vision.

Jour 7

Ce matin, tout est humide. J’ai froid. J’active mon radiateur intérieur en visualisant cette fois un beau soleil. Dehors, il fait gris, mais dedans c’est grand bleu ! J’entends alors une mélodie sur laquelle se posent des paroles. « Eu quero ser umpassaro », « je veux être un oiseau ». Ce chant inédit dont j’ignore la provenance semble constituer l’expression de mon essence, de ma connexion au sacré. Mes soucis sont si loin ! Plus rien ni personne pour assombrir mon humeur. Je suis heureuse. En fait, je sais être heureuse. Suffit de le visualiser ! Après cette expérience, mon défi sera de parvenir à maintenir ce beau temps dans mon monde intérieur, malgré la grisaille et les tempêtes extérieures.

C’est la pleine lune. Au moment de m’endormir, j’ai des visions cauchemardesques d’hommes enchaînés, hurlant à la mort. Jamais je n’ai vu chose aussi effrayante ! C’est alors qu’un Indien au panache arc-en-ciel – que j’ai déjà rencontré lors de ma première quête de vision – apparaît, et souffle à travers moi pour éloigner ces énergies sombres et éviter qu’elles ne m’affectent davantage. Puis il m’enseigne à ramener de la couleur et de la lumière dans les situations les plus obscures. J’apprendrai plus tard que cette terre a été autrefois le lieu de passage d’esclaves africains qui, après s’être enfuis de la ville voisine, sont morts de faim et d’épuisement.

Jour 8

Ma quête de vision s’achève. En fin de matinée, l’équipe du chaman vient me chercher. Je quitte mon havre de paix la gorge serrée après avoir remercié ce lieu enchanteur qui m’a accueillie. J’espère être capable de pérenniser cet amour, cette joie, cette foi, cette force intérieure et cette confiance qu’il m’a procurés. Une hutte de sudation attend les « expérienceurs » pour symboliser cette phase de renaissance. Plus que jamais les mantras et le pouvoir de l’esprit intégreront mon quotidien. Tout comme cette femme sauvage à qui j’offrirai désormais plus d’espace pour s’exprimer pleinement.

Un rite de passage pour contacter son pouvoir intérieur

Jeûner seul en silence pour se rencontrer, connaître ses émotions et savoir les gérer. S’exposer aux forces de la nature pour en recevoir les enseignements et gagner en puissance intérieure. Contempler la beauté environnante, méditer, prier et, doucement, glisser dans ce que les Amérindiens appellent le « temps de rêve ». Un état modifié de conscience pouvant susciter des visions. Héritage des Indiens sioux lakotas d’Amérique du Nord, ce rite de passage ancestral est basé sur un processus de mort et de renaissance symboliques. Car pour voir au-delà des yeux et dialoguer avec le « grand mystère », on doit se donner complètement. Jeûne sec, silence et isolement favorisant l’ouverture à la dimension sacrée de l’existence.

Dans le chamanisme, la quête de vision est considérée comme une « voie médecine », dans le sens où elle permet de contacter son pouvoir intérieur et son potentiel de guérison. Elle révélait autrefois les « hommes et femmes médecine », qui allaient aider leur communauté et l’humanité à « guérir », en facilitant l’émergence de leur nature essentielle : l’amour et leur capacité à s’émerveiller.

Cette retraite fait partie des rites sacrés de la « voie rouge ». Rouge comme le cœur. On peut effectuer quatre jours seulement, ou s’engager à réaliser, en quatre ans minimum, le « chemin » complet, et « gravir la montagne » quatre, sept, neuf et treize jours. Chaque quête étant liée à une direction, à une dimension de l’être humain – émotionnelle, spirituelle, physique, mentale – et à une qualité à intégrer.

Comme toute expérience spirituelle, elle n’est pas à effectuer avec n’importe qui et dans n’importe quelles conditions. Il ne s’agit pas d’un exercice de survie à la Koh-Lanta, mais de connexion avec son être profond et avec le sacré.

Recommandations : il est indispensable d’être bien encadré, et de choisir avec soin ses accompagnants, en échangeant au préalable avec eux et en faisant appel à son intuition.

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