Ils sont allés aux frontières de la mort

Hallucination du cerveau ou manifestation réelle de la conscience ? Les médecins ont planché sur ces expériences que la science n’arrive toujours pas à expliquer. En 1975, le philosophe et médecin américain Raymond Moody sera le premier à se pencher sur ce mystère de la conscience. Il est devenu une référence. Pendant vingt ans, il a recueilli des témoignages, seul moyen d’étude, et publié plusieurs ouvrages sur le sujet. Malgré d’autres recherches poussées, les expériences de mort imminente gardent leurs secrets. Du cortège d’une étrange procession dans un petit village de Galice, au bureau d’un médecin qui a collecté des centaines de témoignages troublants, « Sud Ouest » a recueilli ce rapport particulier à la mort pour tenter de lever une partie du voile autour de ces expériences qui fascinent.

L’étrange pèlerinage des « morts » d’As Neves

À As Neves, en Espagne, tous les 29 juillet, ceux qui ont frôlé la mort remercient Santa Marta de Ribarteme de les avoir sauvés lors d’un rituel unique au monde

La canicule a épargné ce petit coin de Galice au milieu de l’été. À As Neves, dans la province espagnole de Pontevedra, le 29 juillet 2022, la fièvre monte sans l’intervention des rayons ardents du soleil. Tous les ans, à la Sainte-Marthe, le village entre en ébullition. Des centaines de personnes venues de tout le pays se réunissent autour du sanctuaire de Santa Marta de Ribarteme. Ces fervents catholiques viennent lui rendre gloire. Eux ou leurs proches ont frôlé la mort et les prières à la Sainte ont été entendues. Selon l’Évangile de Saint-Jean, elle aurait assisté à la résurrection miraculeuse de son frère Lazare de Béthanie, mais aussi à celle de Jésus lui-même. Santa Marta a le pouvoir de faire sortir les morts de leur tombeau.

Le miracle est traduit de façon littérale en Galice. Chaque 29 juillet, les « revenants » s’allongent dans des cercueils ouverts et sont portés en procession par la foule sur un petit parcours autour du sanctuaire. Pas en 2022. L’Église, hostile à certaines croyances séculaires des Galiciens, a profité de l’interruption de la fête pendant deux années de pandémie pour revoir les règles. Les « ataudès », les cercueils, sont dorénavant formellement interdits. « C’est du paganisme, de la superstition, justifie le curé d’As Neves, le père Javier. Lazare a été ramené à la vie. On ne ressuscite pas si on continue de vivre. Le cercueil ne sert qu’au moment où on est mort. »

Selon l’Évangile de Saint-Jean, Santa Marta de Ribarteme a assisté à la résurrection de son frère Lazare et à celle de Jésus.


Selon l’Évangile de Saint-Jean, Santa Marta de Ribarteme a assisté à la résurrection de son frère Lazare et à celle de Jésus.
Photo Sophie Carbonnel/Sud Ouest

La population grince des dents. Comment l’Église ose-t-elle transformer une tradition si ancienne qu’on ne sait même pas quand elle a commencé ? « La presse s’en est faite l’écho, raconte un membre du comité des fêtes d’As Neves. Beaucoup de personnes ont téléphoné pour vérifier que c’était vrai. Je ne comprends pas qu’on s’attaque aux traditions. C’est une des plus vieilles processions de Galice. Ces personnes ont frôlé la mort et veulent remercier Santa Marta. C’est une marque de foi. »

La tradition veut que les personnes ayant frôlé la mort s’allongent dans des cercueils ouverts. La pratique a été interdite par l’Église en 2022.


La tradition veut que les personnes ayant frôlé la mort s’allongent dans des cercueils ouverts. La pratique a été interdite par l’Église en 2022.
Photo Carlos Hernández Fernández

50 euros la location de cercueil

Santa Marta a sauvé mon frère. J’ai grandi avec cette croyance

L’événement attire chaque année des dizaines de médias du monde entier. Une année, un animateur de télévision australien, Darren McMullen, a loué un cercueil et s’est fait porter en procession. Il en a tiré un documentaire pour la chaîne National Geographic « pas vraiment élogieux, estime Almudena, une jeune maman madrilène originaire d’As Neves. Il nous a fait passer pour des fous. Ça a fait scandale en Espagne. » L’Église veut maîtriser son image. « Ce n’est pas un spectacle, pas un show », défend-elle. Elle qui a baigné dans cette tradition depuis son enfance, ne manquerait pour rien au monde le 29 juillet. « J’ai l’espoir que les cercueils reviennent l’an prochain. » Il y a quelques années, sa mère s’est allongée dans l’un d’eux. « Elle l’a fait pour son fils qui, très malade, a failli mourir. Ce sont les membres de notre famille qui l’ont portée pendant la procession. Santa Marta a sauvé mon frère. J’ai grandi avec cette croyance. »

En Galice, la mort est très ritualisée. Carlos, docteur et professeur en sciences sociales à l’université de Madrid en a fait sa thèse. « Ce rituel d’As Neves est unique au monde, dit-il. On joue les morts pour remercier d’être vivant. On simule un enterrement pour célébrer la vie. Ça peut être pour soi-même, pour des proches ou… pour des animaux. Une année, une dame l’avait fait pour remercier Santa Marta d’avoir sauvé son chien malade. Ça, l’Église n’en veut plus. »

Les participants portent la statue de Santa Marta à tour de rôle. Pour eux, c’est un honneur.


Les participants portent la statue de Santa Marta à tour de rôle. Pour eux, c’est un honneur.
Photo Sophie Carbonnel/Sud Ouest

Son épouse, Sophie, psychologue à Madrid, est née dans un petit village voisin d’As Neves. Elle reconnaît que les Galiciens ont leurs propres pratiques, plus proches des croyances populaires que de la foi chrétienne. « Ici, on croit aux sorcières, aux fantômes. J’ai un cousin qui ne sort que les soirs de pleine lune. Oui, on est très croyants mais avec une dose de superstition. Tout le monde vient à la Santa Marta. Avant, les cercueils mis à disposition étaient très vieux. Ils dataient des années 50. Et puis un jour, une société galicienne en a offert des neufs, tous beaux, matelassés en soie. On pouvait les louer entre 50 et 70 euros. Ceux qui n’avaient pas de famille devaient également payer des porteurs. »

La procession s’élance du sanctuaire avant d’y revenir une trentaine de minutes plus tard.


La procession s’élance du sanctuaire avant d’y revenir une trentaine de minutes plus tard.
Photo Sophie Carbonnel/Sud Ouest

Une marche sur les genoux

Malgré l’absence de cercueils, il y a foule ce 29 juillet 2022. Toute la matinée, les messes se succèdent sous un chapiteau monté pour l’occasion. « L’église est devenue trop petite », explique le père Javier. À midi, la procession s’élance au rythme des tambours. On chuchote dans les rangs. En tête du cortège, la statue de Santa Marta est portée en gloire, entourée de cierges. Chacun prend le relais sur le parcours. Les visages transpirent, la douleur et la ferveur sont visibles. Certains le font pieds nus, ou dans la souffrance comme une pénitence en marchant sur les genoux.

Cette fête, c’est un peu comme Noël. Toute la famille et les voisins s’y retrouvent.

En une trentaine de minutes, Santa Marta fait le tour du village, passe entre les stands de jambon, de souvenirs made in China ou devant un Bob l’Éponge gonflable, et revient sur son socle dans l’église. Les participants se bousculent pour caresser l’effigie. Ça porte bonheur. « Cette fête, c’est un peu comme Noël. Toute la famille et les voisins s’y retrouvent. »

Les cercueils ont été interdits cette année, mais pas la marche sur les genoux. Ce pénitent le fait pour un membre de sa famille qui a été très malade.


Les cercueils ont été interdits cette année, mais pas la marche sur les genoux. Ce pénitent le fait pour un membre de sa famille qui a été très malade.
Photo Sophie Carbonnel/Sud Ouest

Au milieu de la foule, les journalistes de la télévision espagnole se frayent un chemin et pointent le micro sous le nez de tous les participants. Difficile sans les cercueils de savoir qui a frôlé la mort cette année. « Viva Santa Marta de Ribarteme ! », leur fait-on dire en trinquant face caméra. Si la procession met habituellement en scène cercueils et dévotion, elle n’en est pas pour autant macabre. « En Galice, quand on a de l’argent, on achète son cercueil et sa place au cimetière très tôt, explique Carlos. Il faut être prêt. Les anciens gardaient leur boîte bien rangée dans la maison. » Et si malgré les prières, la maladie ne part pas, « c’est que Santa Marta l’a décidé ! Nous n’avons pas peur de la mort ici, confirme Sophie. Tous les 29 juillet, on installe une fête foraine à As Neves, les gens boivent, mangent du poulpe, rient, chantent et au milieu de tout ça passent les cercueils. C’est ça la Galice. » En 2020, le pèlerinage de Santa Marta de Ribarteme a été déclaré d’intérêt touristique par la région de Galice, sans savoir que deux ans plus tard, elle serait vidée de ses cercueils.

Le cortège traverse la fête foraine dans un silence de morts. Étrange image où le folklore côtoie les traditions.


Le cortège traverse la fête foraine dans un silence de morts. Étrange image où le folklore côtoie les traditions.
Photo Sophie Carbonnel/Sud Ouest

« J’ai cru que j’étais folle »

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Les Emistes, comme on les surnomme, vivent tous, sans se connaître, une expérience similaire et développent des « perceptions sensorielles ». Rencontre avec Haris et Sylvie, deux rescapés

Ils ne se sont jamais vus, n’ont pas entendu parler de l’un ou de l’autre mais ils se comprennent. Haris Husakovic, 33 ans, habite dans l’agglomération de Genève, en Suisse. Sylvie Gérard, 59 ans, vit au cœur de la Provence, à Puimichel. À 334 kilomètres de distance, à des époques différentes de leur vie, ils ont vécu une expérience similaire. Ils ont failli mourir.

Haris ouvre la porte de son appartement depuis sa cuisine à l’aide de sa montre intelligente. L’homme de 33 ans est hyperconnecté. Il accueille le visiteur avec un sourire sincère, le regard franc. Derrière les gadgets informatiques pour lesquels il se passionne, se cache une autre forme de connectivité, celle de l’esprit. À l’âge de 16 ans, Haris a vécu une expérience de mort imminente. Et toute sa vie a changé.

Son histoire est celle d’un enfant immigré de Bosnie, fuyant la guerre de Yougoslavie avec son père et sa grand-mère. En 1996, la famille s’installe à Genève où Haris grandit comme la plupart des jeunes de son âge malgré son handicap de naissance. « Je suis né très prématuré, je souffre de problèmes d’équilibre. Je me déplace en fauteuil roulant. » À 16 ans, Haris doit encore subir une opération, « une intervention bénigne des pieds, un basique en orthopédie », raconte-t-il. L’adolescent n’est pas inquiet, il en est déjà à sa 14e ou 15e intervention. Il pèse alors 48 kilos, mais l’anesthésiste lui injecte par erreur une dose plus forte qu’indiquée, « comme si je pesais 68 kilos » . Haris fait un arrêt cardiaque.

Haris est né très prématuré. Il se déplace en fauteuil roulant. Lors d’une énième opération à l’âge de 16 ans, il vit une expérience de mort imminente.


Haris est né très prématuré. Il se déplace en fauteuil roulant. Lors d’une énième opération à l’âge de 16 ans, il vit une expérience de mort imminente.
Photo Sophie Carbonnel/Sud Ouest

Je n’avais pas peur, tout me paraissait logique. Je pouvais être partout à la fois

« Je me sens sortir de mon corps par la tête, raconte-t-il avec précision. J’observais la scène d’en haut, je me voyais. J’ai mis quelque temps à comprendre que ce type-là, c’était moi. Je me suis même dit ‘‘il a l’air mal en point celui-ci !’‘. Je n’avais pas peur, tout me paraissait logique. Je pouvais être partout à la fois, j’ai pensé à mon père et ma grand-mère, et je me suis immédiatement retrouvé avec eux dans la salle d’attente. Quand je comprends enfin que c’est moi le mec sur la table d’opération, je me désintéresse de cette scène. Je me sens subitement attiré vers l’arrière, dans un tunnel au bout duquel se trouve une toute petite lumière, comme une conscience universelle. Je suis comme aspiré par cette lumière, à une vitesse folle. Je me sentais extrêmement bien, entouré d’amour. J’avais l’impression de faire partie d’elle. Je communiquais avec elle, sans parler, j’avais envie de franchir le ‘‘passage’‘. Mais elle m’a fait comprendre que j’avais encore plein de choses à faire. Je voyais des petits moments de ma vie qui n’avaient pas forcément compté pour moi, mais je ressentais le mal que j’avais pu causer. Et puis j’ai violemment été aspiré par l’arrière, je savais qu’il était temps de revenir et j’ai réintégré mon corps, difficilement, comme si j’entrais dans un gant trop serré. »

De l’incompréhension

Sylvie Gérard, elle, tenait un snack dans l’Allier, à Monetay. Elle avait 30 ans. Un matin de mars, elle décide d’aller acheter de la peinture. « Sur la grande route nationale, je veux tourner à gauche et je suis percutée de plein fouet par une voiture. » Sylvie est en morceaux, défigurée, victime d’un terrible traumatisme crânien. « Tout d’un coup, je me suis mise à tout voir, l’accident, la voiture, la nature, mon snack. J’avais une vision à 360°. Je ne me suis pas tout de suite reconnue. Je me suis dit, ‘‘oula, ça a dû taper fort !’‘. J’étais bien, je me trouvais dans un endroit agréable. Je voyais une clarté au fond, vers laquelle je me dirigeais et puis une douleur violente a tout arrêté. » Sylvie Gérard vient d’être réanimée par les pompiers.

Sylvie a mis des années à accepter son EMI. Elle a développé une hyper-sensibilité.


Sylvie a mis des années à accepter son EMI. Elle a développé une hyper-sensibilité.
Photo Sophie Carbonnel/Sud Ouest

J’étais bien, je me trouvais dans un endroit agréable. Je voyais une clarté au fond, vers laquelle je me dirigeais et puis une douleur violente a tout arrêté.

Sur le moment, Haris et Sylvie partagent le même sentiment d’incompréhension. Ni l’un ni l’autre n’a entendu parler d’expérience de mort imminente. « Hospitalisée à Clermont-Ferrand, je ne comprenais pas, se souvient la quinquagénaire. J’avais subi un choc violent, j’avais des problèmes de mémoire. J’ai cru que j’étais folle. » Haris ne raconte pas son expérience tout de suite. « Au bout de deux semaines, j’en ai parlé à mon chirurgien que je connaissais bien. Il a alors fait venir l’anesthésiste à qui j’ai à nouveau décrit le phénomène. Je lui ai rapporté exactement les mots qu’il a prononcés à ce moment-là. Il est devenu blanc comme la table. »

Plus peur de la mort

Les deux Emistes ne sont alors plus les mêmes. Trois mois et demi après son arrêt cardiaque et son expérience, Haris sort de l’hôpital et entame une vie nouvelle. « Je n’avais plus du tout peur de la mort. Je ne voulais plus faire de mal. Ça ne marchait plus trop avec ma compagne, j’ai arrêté cette relation, je me suis ouvert aux autres. » Il envoie balader ses études d’informatique. « J’avais soif de connaissances. »

Sylvie aussi n’angoisse plus face à la mort mais reste ébranlée. « C’est difficile à comprendre. J’ai mis 20 ans pour l’accepter. J’ai repris le snack après huit mois à l’hôpital mais je n’en pouvais plus. » Sylvie se tait, « je vivais avec ». Elle décide de changer radicalement de vie sans l’expliquer à ses proches, fait une formation d’aide-soignante, et déménage en Provence. Elle est aujourd’hui aide médico-psychologique en Ehpad à Oraison. « Je parle à mes patients, je les rassure vis-à-vis de la mort. »

Je suis revenue transformée. Je ressens le mal des autres, je soigne les douleurs physiques et morales. Je peux savoir s’ils sont malades ou s’ils vont mourir…

“Les EMI sont bien réelles” : des chercheurs américains publient une étude

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs et de médecins de plusieurs universités des États-Unis ont publié, dans “Annals of the New York Academy of Sciences” en février 2022, une déclaration, évaluée par des pairs, sur l’étude scientifique de la mort et des expériences de mort imminente. “Une conséquence involontaire des progrès de la recherche sur les cellules souches, des neurosciences et de la science de la réanimation a été de permettre des connaissances scientifiques sur ce qui arrive au cerveau humain en relation avec la mort, résument les scientifiques. La science de la réanimation a permis de redonner vie à des millions de personnes après que leur cœur s’est arrêté. Ces survivants ont décrit un ensemble unique de souvenirs liés à la mort qui semblent universels. Nous avons passé en revue la littérature, en mettant l’accent sur la mort, les expériences remémorées en relation avec l’arrêt cardiaque, le syndrome post-réanimation, et des phénomènes connexes qui donnent un aperçu des mécanismes potentiels, des implications éthiques et des considérations méthodologiques pour une enquête systématique. Nous avons identifié également les problèmes et les controverses liés à l’étude de la conscience et de l’expérience remémorée d’un arrêt cardiaque et de la mort chez des sujets qui ont été dans le coma, en vue de normaliser et de faciliter les recherches futures.” Ils en viennent à conclure que ces phénomènes ne “correspondent pas à des hallucinations, des illusions ou des expériences induites par des drogues psychédéliques”. Des études d’électroencéphalographie ont montré l’apparition d’une activité gamma et de pointes électriques en relation avec la mort, preuve d’un état de conscience accru. Aujourd’hui, la mort est réversible grâce aux progrès de la médecine. La science se trouve à un croisement. Elle ne peut rien réfuter ni certifier.

Celui qui va l’aider à prendre conscience de ce qui lui est arrivé est son médecin généraliste, le Dr Jean-Pierre Jourdan. Installé à Oraison, il n’est autre que le directeur de la recherche médicale de l’International Association for Near-Death Studies (IANDS) en France. Ça, Sylvie ne le sait pas quand elle va le consulter pour un mal de dos. « Il a un sixième sens pour ce genre de choses. Il a compris ce que j’avais traversé, il a mis des mots dessus et tout s’est mis en place. Ça a tout débloqué. Depuis, je comprends mieux ce qu’il s’est passé. C’est mon identité. J’en parle plus facilement. Je me bats pour dire que c’est réel. Entendre ‘‘c’est le cerveau qui fabrique tout’‘, ce n’est pas acceptable. »

Revenir transformé

Si l’expérience est en elle-même difficile à comprendre, ce qu’elle laisse est encore plus déstabilisant. « Je suis revenue transformée, partage Sylvie. Je ressens le mal des autres, je soigne les douleurs physiques et morales. Je peux savoir s’ils sont malades ou s’ils vont mourir… Ça me fait la même chose avec la nature. Si je vois un arbre qui souffre, qui a soif, je le sens. Il faut pouvoir le porter. Ce n’est pas un don. Quand mon mari a eu son cancer, j’ai tout de suite su qu’il était condamné. »

Vers 22 ans, Haris découvre qu’il est devenu « sur-empathique ». « Dans le bus, dans la rue, dans un restaurant, quand je croisais le regard de quelqu’un, j’arrivais à me connecter à lui. Je ne savais pas comment ni pourquoi, mais si la personne ne baissait pas les yeux, ça devenait de plus en plus intense. J’éprouvais un grand bien-être. Un jour, une femme avec qui il y a eu cette connexion est venue me voir et m’a dit « je ne sais pas ce que vous faites, mais ça me fait du bien. » J’ai enfin compris. » Haris distribue de l’amour, de la douceur, un shoot de bonheur. Le trentenaire peut aussi calmer les douleurs par une forme de magnétisme. « Je pense que j’ai développé ces facultés parce que je me suis ouvert à l’amour, aux autres. Ce n’est pas du paranormal. Ce n’est pas un don, on ne m’a rien donné, je l’ai seulement réveillé. On peut tous le faire. Aujourd’hui, je suis très heureux, je ne regrette rien. »

Sylvie non plus ne regrette pas cet accident qui a failli la tuer. « C’est une renaissance. Pour rien au monde, je ne voudrais changer ma vie. » Ils ne se sont jamais sentis aussi vivants.

Le passage entre la vie et la mort selon Platon

Platon

“Si on perd la mémoire, c’est le néant”

1663952921 363 Ils sont alles aux frontieres de la mort

Anne Merker est professeure de philosophie antique à l’université de Strasbourg, ancienne doyenne de la faculté de philosophie et directrice du centre de recherches en philosophie allemande. Elle a publié “La vision chez Platon et Aristote” (Academia, 2003), “Une morale pour les mortels – L’éthique de Platon et d’Aristote” (Les Belles Lettres, 2011, prix Joseph-Saillet 2013, Académie des Sciences morales et politiques), “Le principe de l’action humaine selon Démosthène et Aristote – Hairesis, prohairesis” (Les Belles Lettres, 2016) et “Aristote, une philosophie pour la vie” (Ellipses, 2016).

Depuis 3 000 ans, l’être humain se questionne : qu’y a-t-il après la mort ? Aux alentours de 385 avant Jésus-Christ, le philosophe grec Platon n’échappe pas à cette interrogation. Dans le livre X de « La République », il raconte le mythe d’Er, un personnage fictif qui, mort au combat, se retrouve en compagnie d’autres âmes. Après des punitions et des récompenses selon la vie menée précédemment, toutes les âmes doivent choisir un nouveau corps, humain ou animal, impliquant un nouveau type de vie. Au terme d’un long voyage, les âmes boivent l’eau du fleuve Sans-Souci dans la plaine de l’Oubli. La réincarnation se fait dans un tremblement de terre et un éclat de tonnerre. Er ne boira pas l’eau du fleuve, il a le rôle d’observateur. Il est renvoyé sur terre pour devenir le messager de l’au-delà.

« Er est un personnage très mystérieux, explique Anne Merker, professeure de philosophie antique à l’université de Strasbourg et ancienne doyenne de la faculté de philosophie. Comme toujours, Platon invente et s’amuse en disant des choses profondes et sérieuses. Dans ce récit, on considère que la mort a vraiment eu lieu. On passe la frontière. Le paradoxe, c’est qu’on retrouve des sensations corporelles alors qu’on est censé être dégagé du corps. Ça reste un mythe qui parle avec les sens et au sens autant qu’à l’intelligence. »

Est-ce que Platon y croyait ? « Il s’est inspiré de Pythagore, poursuit l’universitaire. Dans le mythe, Er doit conserver la mémoire. C’est un thème fondamental. Les âmes qui boivent l’eau de l’oubli dans le fleuve Sans-Souci ont très soif. Elles se trouvent dans un paysage de frontière, de no man’s land. Celles qui ne boiront que modérément n’oublieront pas tout. Elles garderont la possibilité d’une réminiscence. Une tradition orphique disait « Qui sait si vivre n’est pas mourir et si mourir n’est pas vivre ? »

Entre les lignes, Platon fait passer lui-même un message. « La philosophie, c’est s’éveiller hors de la matière, hors de son corps. Vivre, c’est avoir un acte de pensée libérée de l’ensevelissement du corps. Philosopher, c’est finalement s’exercer à la mort et à sa délivrance. »

La théorie de la 4e dimension

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Le Dr Jean-Pierre Jourdan étudie les expériences de mort imminente depuis 40 ans. Il a recueilli plus de 400 témoignages et en a tiré une explication qui défie les lois de la physique et les certitudes scientifiques

À Oraison, dans les Alpes-de-Haute-Provence, il reçoit dans son antre, une pièce sombre aux canapés en cuir élimés, entouré de mille et un instruments de musique, dans une odeur de tabac blond. Ses petits yeux ronds transpercent. Il n’aime pas l’approximation. Chemisette légère et tatanes aux pieds, Jean-Pierre Jourdan n’a pas le look habituel d’un docteur en médecine. Il l’assume, il fait partie de ceux qui ont fait un pas de côté, sans perdre l’esprit scientifique.

À la retraite depuis quelques années, il s’est entièrement consacré aux recherches qu’il mène depuis 40 ans. Invité dans de nombreuses conférences, le Dr Jourdan est LE spécialiste français des phénomènes créés par les expériences de mort imminente (EMI). Il préside l’International association for near-death studies (IANDS, association internationale pour l’étude des états proches de la mort) en France. Ses recherches ont été publiées dans des revues scientifiques internationales. Il a également écrit deux ouvrages sur la question (1) et présidé deux thèses.

Le Dr Jean-Pierre Jourdan travaille sur les EMI depuis 40 ans.


Le Dr Jean-Pierre Jourdan travaille sur les EMI depuis 40 ans.
Photo Sophie Carbonnel/Sud Ouest

Tout commence au début de sa carrière, dans les années 80, lorsqu’une patiente un peu particulière vient le voir à son cabinet médical à Oraison. Le Dr Jourdan est un jeune médecin à la formation « classique ». Les expériences de mort imminente n’ont jamais été une passion, il n’en a d’ailleurs presque pas entendu parler. Cette femme ne dit rien, mais le Dr Jourdan sent bien qu’elle porte un poids immense, quelque chose qui l’a transformée, qu’elle n’arrive pas à accepter, qui la ronge. « Un jour, elle me raconte qu’elle a fait une hémorragie lors d’une césarienne. Elle était donnée pour morte. »

Son esprit, peut-être un peu moins cartésien que celui de ses confrères, met la patiente en confiance. Elle raconte alors s’être réveillée hors de son corps, baignée d’une lumière bienveillante, un sentiment de bien-être absolu, tous les signes d’une expérience de mort imminente. Le destin du médecin de campagne en sera transformé.

Un questionnaire mis au point

Toutes les personnes qui disent avoir vécu des EMI et qui se signalent à IANDS France sont soumises à un questionnaire élaboré par le Dr Jourdan et les membres de l’association. Il permet de vérifier la véracité des propos, mais aussi de recueillir une description précise des phénomènes vécus. “La majorité des personnes à qui nous l’avons proposé l’ont trouvé d’une grande aide pour retrouver ou remettre en ordre certains souvenirs plus ou moins enfouis, précise le Dr Jourdan. L’étude approfondie des témoignages est le seul moyen que nous ayons pour avancer. Une étude superficielle serait insuffisante si nous voulons un jour en retirer quelque chose d’utile pour la connaissance.” On y retrouve l’échelle de Greyson, premier moyen d’évaluation clinique des propriétés psychométriques des expériences de mort imminente. Elle a été développée en 1983, et permet de les distinguer des autres états de conscience, tels que des hallucinations narcotiques.

« Pas une hallucination »

« Je suis curieux. Ce n’est pas à moi de dire ce qui est possible ou ce qui ne l’est pas. Ces personnes racontent une expérience extraordinaire, qui a changé leur vie. Il y a pire comme sujet d’études ! » Le Dr Jourdan va complètement se passionner pour ces recherches. Il lit, interroge, organise des groupes de parole, devient président de IANDS France, recueille des centaines et des centaines de témoignages, qui le mènent à une conclusion : l’existence d’une conscience fondamentale, différente de la conscience cérébrale. « Ces personnes ont des perceptions objectives alors que dans 99 % des cas, elles sont inconscientes. Le cerveau peut être dans n’importe quel état, suite à un arrêt cardiaque, une overdose, une noyade, une asphyxie, ou une simple méditation… mais l’expérience est la même. Elle est indiscernable quelle qu’en soit la cause et n’est liée à aucun état cérébral particulier. » Pour lui, l’expérience est authentique, elle ne relève pas d’une hallucination créée par le cerveau.

Mais comment cela est-il possible ? « Ça se passe ailleurs », répond-il. Oui, mais où ? Dans la majorité des cas, les personnes ont une vision globale pendant leur EMI. Elles peuvent entendre les conversations comme si elles étaient spectatrices de leur propre réanimation, les murs sont transparents et les distances inexistantes, elles peuvent voir la salle d’attente de l’hôpital, le garage à vélo derrière la salle d’opération, le magasin des parents à 300 km de là. Évidemment, ces « souvenirs réels et non imaginaires » vérifiés a posteriori déconcertent les médecins. Comment un individu à l’électroencéphalogramme plat peut-il voir, entendre, se déplacer et mémoriser comme s’il était conscient ?

Plus de temps ni d’espace

Le Dr Jourdan a donc établi une théorie validée par les physiciens et les astrophysiciens, et publiée dans des revues spécialisées : l’existence d’une dimension supplémentaire. « Nous sommes tous focalisés sur ce que l’on voit, ce que l’on vit, et ce que l’on aime. Mais nous sommes une conscience plus large. L’univers est immense. Ça n’a rien de paranormal. Les EMI ne représentent pas un nouvel état modifié de conscience, cette catégorie étant liée à un fonctionnement cérébral particulier, mais sont probablement un indice en faveur de l’existence d’une composante jusqu’à présent inconnue, une conscience fondamentale transcendant temps et espace qui ne remplace pas celle que nous connaissons, mais en fait partie intégrante et surtout l’élargit. »

Pour résumer, au moment de l’EMI, nous retrouverions cette conscience fondamentale aux capacités décuplées dans une nouvelle dimension englobant notre espace-temps.

Un dessin simpliste réalisé par le Dr Jourdan montre la vision qu’a notre conscience hors de notre corps. On peut se voir étendu sur un canapé avec une vue globale.


Un dessin simpliste réalisé par le Dr Jourdan montre la vision qu’a notre conscience hors de notre corps. On peut se voir étendu sur un canapé avec une vue globale.
Reproduction Dr Jourdan

Ces EMI donnent un sens à la vie sur terre

Ce terrain d’études est monstrueux. La seule matière du médecin relève du témoignage. Il travaille néanmoins avec des neurologues qui ne réfutent pas ses théories. « J’ai étudié les points communs, les changements après l’expérience. Ces EMI donnent un sens à la vie sur terre. Quand ils ‘‘reviennent’‘, les expérienceurs veulent aider les gens, ont un désir profond de faire le bien. Ils en débordent. Je suis comme un archéologue qui trouve un os. J’essaye de comprendre. Ce qu’ils ramènent de leur expérience, c’est l’importance de l’Amour. Ce qui compte n’est pas d’avoir mais d’être. » L’EMI porterait finalement mal son nom. « C’est une expérience de vie. Personne n’est revenu de la mort. »

(1) « Deadline » aux Éditions Pocket et Michel Lafon, et « Le grand secret » aux Éditions Michel Lafon.

« Si on parlait de ça dans les années 70, on pouvait facilement être interné ! »

Spécialiste de la prise en charge des personnes ayant vécu des expériences de mort imminente, le psychologue Jonathan Matile les aide à accepter ce qui est souvent vécu comme un traumatisme

Jonathan Matile exerce depuis 2017. Beaucoup de ses patients n’arrivent pas à accepter ce qu’il leur est arrivé.


Jonathan Matile exerce depuis 2017. Beaucoup de ses patients n’arrivent pas à accepter ce qu’il leur est arrivé.
Photo Sophie Carbonnel/Sud Ouest

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