« Appelez-moi Cassandre », de Marcial Gala : une « Iliade » cubaine

« Appelez-moi Cassandre » (Llamenme Casandra), de Marcial Gala, traduit de l’espagnol (Cuba) par François-Michel Durazzo, Zulma, 278 p., 21,70 €, numérique 13 €.

Quand, parmi tous les personnages de la mytho­logie grecque, on peut se prendre pour Ulysse terrassant le Cyclope, ou pour Antigone défiant son oncle Créon, pourquoi s’imaginer en Cassandre ? Cassandre, ou la figure la plus antihéroïque qui soit : condamnée à prévoir l’avenir sans être crue de personne. De tous, elle est sans doute celle dont le langage est le moins utile, la capacité à changer l’ordre du monde la plus dérisoire. C’est pourtant bien à elle, la fille d’Hécube et de Priam, roi de Troie, que s’identifie le narrateur du deuxième roman du ­Cubain Marcial Gala.

Le jeune Raul, habitant de Cienfuegos, une ville côtière du sud de Cuba, se croit en effet sa réincarnation depuis que, tout petit, il a lu l’Iliade. Ses prévisions sont, comme il se doit, des plus sombres. Enrôlé dans l’armée à 17 ans pour aller faire la guerre en Angola, aux côtés du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA, soutenu par l’URSS et Cuba), contre l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita, appuyée par l’Afrique du Sud), ce très beau jeune homme aux traits féminins sait qu’il n’en reviendra pas. Il sera, de fait, assassiné deux ans plus tard, en 1984, par le ­capitaine de son régiment, qui, après en avoir fait son objet sexuel, l’accusera d’avoir entaché son honneur.

Une adresse directe à Zeus

La tragédie est là, implacable, énoncée dès les premières pages d’Appelez-moi Cassandre, dans une adresse directe à Zeus. Mais elle n’empêche pas Marcial Gala de tisser, à partir d’elle, un récit bouleversant, où l’amour et la mort, les ténèbres et la lumière, l’accablement et l’espoir se mêlent étroitement, comme dans un splendide poème épique où s’entrechoquent les passions et les ego.

A travers son jeune protagoniste, le ­romancier – né à La Havane en 1965 et aujourd’hui exilé à Buenos Aires – ­revient à Cuba pour brocarder l’absurdité de cet épisode relativement méconnu de la guerre froide que constitue l’engagement des troupes cubaines en Afrique, de 1975 à 1988. Cette opération de grande envergure a marqué toute la génération de l’auteur, comme celle du romancier Leonardo Padura, de dix ans plus âgé (Ce qui désirait arriver, Métailié, 2016). Marcial Gala, qui a littéralement échappé à la dernière minute à la conscription, évoque ici l’impréparation de ces « soldats de plomb » ou « de pacotille », plus habiles à jouer au base-ball ou à pousser la chansonnette lors de leurs pauses qu’à se battre sur le terrain. Surtout, c’est le décalage entre les idéaux révolutionnaires de leurs aînés et leurs propres préoc­cupations qui se fait jour. « Nous sommes venus jusqu’ici, dans le trou du cul du monde, pour honorer notre héritage internationaliste et rendre au centuple tout ce que d’autres peuples ont fait pour nous quand nous en avions besoin, c’est clair ? », formule ainsi le capitaine en tentant de convaincre ses hommes du bien-fondé de leur mission.

Il vous reste 39.41% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

We wish to say thanks to the author of this post for this awesome web content

« Appelez-moi Cassandre », de Marcial Gala : une « Iliade » cubaine

Find here our social media accounts as well as the other related pageshttps://nimblespirit.com/related-pages/