Quels secrets se cachent dans la musique du passé, et comment les révéler ?

Les œuvres musicales de l’époque médiévale et de la Renaissance peuvent nous sembler claires et évidentes dans leur interprétation et dans leurs intentions, mais elles regorgent de secrets et d’énigmes subtilement cachés par leurs créateurs. Depuis plusieurs décennies, de nombreux musicologues se tournent vers la musique du passé dans l’espoir de déceler ses secrets, à la lumière de techniques d’analyse cryptologique, telles que la gématrie et la numérologie.

Une musique tirée des voyelles

Au cours des XVe et XVIe siècles en Europe, une nouvelle expérimentation musicale prend forme parmi les compositeurs de madrigaux, en quête d’une représentation allégorique ou symbolique plus raffinée à travers leurs créations musicales. À cela s’ajoute l’intrusion du compositeur dans sa propre création, de plus en plus fréquente au cours du XVe siècle, signalant l’avènement de la fierté de l’artiste et l’affirmation de l’auteur. On remarque dès lors fréquemment l’inscription cryptique du nom du compositeur dans l’œuvre musicale elle-même, selon des procédés qui se complexifient avec le temps.

L’un des premiers exemples d’une sorte de cryptographie musicale fut le « soggetto cavato dalle vocali » (« sujet tiré des voyelles »). Technique détaillée par le compositeur et théoricien Gioseffo Zarlino dans son ouvrage Le istitutioni harmoniche de 1558, le soggetto cavato est une technique de composition par laquelle le thème d’une œuvre est déterminé par les voyelles du que souhaite cacher le compositeur. En prenant par exemple les voyelles du nom du dédicataire d’une œuvre et les transposer en musique avec la solmisation des notes, il est possible de transcrire en musique un mot ou message caché.

Ainsi, le “cantus firmus” (thème principal) de la Missa hercules dux Ferrariae de Josquin des Prés, l’un des premiers exemples du soggetto cavato édité en 1505 et dédié au Duc de Ferrare Hercule Ier d’Este, est en réalité une suite musicale tirée des voyelles, à savoir ré ut ré ut ré fa mi re (hErcUlEs dUx fErrArIaE).

Hommage musical digne d’un monarque de la Renaissance, rendu immortel à travers la musique, la technique du soggetto cavato permet également de mettre en valeur les talents de composition du créateur. Cependant, si le soggetto perd en popularité au cours des XVIe et XVIIe siècles, les énigmes numérologiques en musique ne cessent d’amuser les plus grands compositeurs.

La gématrie et la numérologie, outils de base

La musique d’antan est autant une affaire de sentiment musical que de nombres et de calculs. Nous trouvons par exemple la trace récurrente du nombre 7 dans les compositions médiévales et de la Renaissance, nombre d’importance symbolique majeure dans la théologie occidentale, représentant notamment la perfection et l’exhaustivité, mais également les sept douleurs de la Vierge Marie.

Mais il existe des outils d’enquête encore plus raffinés que la simple addition du nombre de notes ou d’altérations. L’une de ces techniques d’analyse, fréquemment utilisée dans la recherche du symbolisme en musique, est la gématrie. Il s’agit d’une procédure d’étude littéraire par laquelle on assigne aux différentes lettres d’un mot une valeur numérique selon leur position dans l’alphabet (a=1, b=2 etc). On additionne ensuite ces nombres afin d’essayer d’y trouver un sens supérieur.

En appliquant cette méthode d’analyse aux œuvres musicales des XVIe et XVIIe siècles, on découvre, par exemple, que les 64 notes du cantus firmus de la Missa L’homme armé super voces musicales de Josquin des Prés constituent un hommage à Johannes Ockeghem. En effet, en traduisant le nom Ockeghem en valeurs numériques avec la gématrie, on obtient 64 : O (14) C (3) K (10) E (5) G (7) H (8) E (5) M (12) = 64. À noter que les lettres I et J ne furent comptées comme une seule et même lettre jusqu’en 1524, faisant ainsi O, K, M les 14eme, 10eme et 12eme lettres de l’alphabet

S’il pouvait subsister un doute sur le lien entre le nombre 64 et le compositeur Johannes Ockeghem, le musicologue Jaap van Benthem révèle en 1982 que le cantus firmus de l’œuvre pour 5 voix de Josquin des Prés, La déploration de la mort de Johannes Ockeghem, hommage musical à Ockeghem sous-titré Nymphes de bois, contenait précisément 64 notes.

Cette découverte permet également de mieux comprendre l’épellation du nom de Johannes Ockeghem, dont les variantes sont nombreuses, de “Okeghem” à “Okgam” !

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L’étude des valeurs numériques présentes dans toute œuvre musicale, à savoir le nombre de notes dans une phrase, le nombre de mesures dans un mouvement, le nombre d’altérations dans l’armure d’une œuvre, peut donc conduire à s’interroger sur l’importance de la récurrence de certains nombres particuliers, donnant matière à réflexion.

Nul autre compositeur n’inspirera autant de théories cryptologiques que Jean-Sébastien Bach. Grand amateur d’énigmes musicales, ce dernier inscrit dans nombreuses de ses œuvres sa signature musicale si bémol-la-ut-si bécarre (B-A-C-H). Fasciné par la numérologie, le compositeur ne s’arrête pas là. Il poussera la codification de son nom encore plus loin en additionnant le placement alphabétique des lettres de son nom afin de créer le “chiffre Bach” de 14 (2 + 1 + 3 + 8). Cette signature numérologique du compositeur se retrouve régulièrement dans sa musique, ainsi que son inversion 41 (le total de “JSBACH” par les procédures de la gématrie).

Une fois ce numéro en tête, certains musicologues enquêteurs commencent à le voir partout, même en comptant les boutons de la veste du compositeur dans son portrait des années 1750, surnommé le portrait “Volbach” !

Détail du fameux "Volbach Portrait". 14 boutons effectivement, si l'on ne compte que la rangée de droite...
Détail du fameux “Volbach Portrait”. 14 boutons effectivement, si l’on ne compte que la rangée de droite…

– Volbach Portrait

Le danger des fausses pistes

Attention à ceux qui seraient tentés de voir un mystère cryptique à résoudre dans chaque mesure d’une œuvre musicale. Ces intentions symboliques sont rarement précisées par le compositeur… alors la prudence est de mise ! L’envie de résoudre les secrets d’une œuvre et d’y trouver une signification plus profonde fascine les chercheurs et musicologues depuis plus d’un siècle, mais ces enquêtes apportent parfois plus de questionnements que de réponses.

Par exemple, l’inspiration supposée de la forme du motet Nuper rosarum flores de Guillaume Dufay suscite de nombreux débats musicologiques depuis presque trois décennies : les rapports proportionnels de l’œuvre seraient calqués sur ceux de la cathédrale de Florence.

En 1436, le pape Eugène IV consacre la nouvelle cathédrale de Florence, la Santa Maria del Fiore. L’achèvement de son dôme est un exploit majeur pour la cité toscane, qui attendait l’achèvement du projet depuis plus d’un siècle. À l’occasion de ce grand événement, le compositeur franco-flamand Guillaume Dufay est chargé de composer une œuvre – le fruit de son inspiration sera le motet Nuper rosarum flores.

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En 1973, le musicologue Charles Warren affirme avoir découvert un lien entre les proportions isorythmiques de ce motet et les proportions architecturales de la cathédrale. Cette découverte sera ensuite réfutée par le musicologue Craig Wright, qui relève plusieurs défauts dans l’analyse architecturale de Warren. Il suggère plutôt que la structure proportionnelle particulière de la pièce serait inspirée de la description du temple du roi Salomon, tel qu’il est décrit dans les Saintes Écritures.

Une autre hypothèse encore, présentée par l’historien des beaux-arts Marvin Trachtenburg, affirme que les arguments de Warren et de Wright sont tous les deux partiellement corrects, et que l’œuvre serait en réalité un croisement de trois influences distinctes.

Il est probable que l’origine de l’œuvre de Dufay reste un mystère jamais élucidé, et certains s’en réjouissent. Le frisson que nous procure une œuvre se trouve parfois dans le fait de savoir que la musique contient une idée ou un secret qui nous échappe, situé au-delà du déchiffrement et de notre compréhension.

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