“Il n’est jamais trop tard pour entamer le dialogue!” Cette thérapeute azuréenne plaide pour un autre rapport aux ados

Plus d’un tiers des 16-25 ans se disent déprimés, angoissés. Pourquoi, selon vous?

L’époque n’est pas simple: covid, guerre… Sur le plan économique et écologique, c’est aussi compliqué. On est loin des Trente Glorieuses. À ce contexte s’ajoute le statut intemporel de l’adolescent. Il sort d’un milieu protégé dans lequel on lui fournissait tout et se rend compte qu’il va devoir se débrouiller seul dans la vie. C’est une prise de conscience qui interroge à toutes les époques. Par dessus, il y a le regard des parents parfois négatif, angoissé et qui est aussi lié au flux d’informations.

Il y a toujours eu des guerres, des actualités anxiogènes. La différence, c’est qu’il n’y avait pas cette information en continu sur l’événement. Il existe des raisons d’avoir peur mais rien ne sert de sans cesse appuyer dessus. Mais il est important de dire que l’épanouissement peut exister même dans un tel contexte.

La notion d’adolescence a-t-elle évolué avec le temps?

Elle commence beaucoup plus tôt: dès 11 – 12 ans, il y a déjà beaucoup de questionnements qui n’existaient qu’à 14 – 15 ans il y a une vingtaine d’années. En revanche, l’adolescence reste cette période de transition, cette naissance à autre chose. Et dans toutes naissances, il y a du merveilleux et du difficile. Mais ce n’est pas une période négative! L’ado est plein de rêves, de possibles, il a la vie devant lui. Par contre, si elle lui est présentée uniquement comme dangereuse, il va se dire qu’elle n’est pas sympathique…

Les neurosciences apportent une lecture nouvelle de cette période. Quelles sont les notions à connaître pour comprendre un ado?

Il y a des territoires dans le cerveau, dévolus aux différentes fonctions. Lorsqu’un nourrisson naît, son cerveau est très immature en nombres de neurones et en connexions neuronales. Il n’a même pas les fonctions d’un reptile: son cerveau reptilien n’est pas encore 100% créé.

Le cerveau limbique, dans lequel arrivent et sont gérées la mémoire et les émotions, commencera à être connecté vers 3 ans. L’enfant est alors capable de nommer une émotion, de reproduire: il a appris à parler et bien d’autres choses.

Le cortex, la partie qui réfléchit, ne peut être, en revanche, entièrement connecté avant 25 ans. La dernière partie du cerveau qui se connecte, c’est le cortex orbitofrontal: le centre de gestion des émotions.

L’ado, c’est donc naturel, est aussi beaucoup plus émotif, réactif, impulsif.

On ne reproche pas à un fruit de ne pas être assez mûr. Il ne l’est pas, point. Or, c’est ce qu’on reproche souvent à l’adolescent.

A l’adolescence, les parents peinent parfois à comprendre les réactions de leur enfant, à le reconnaître. Devient-il quelqu’un d’autre?

Il va se spécialiser. Et là encore, les neurosciences nous éclairent. L’adolescence, c’est le temps pour le cerveau de l’élagage synaptique. Quand l’enfant est tout petit, on parle de cerveau absorbant. Il regarde, s’imprègne et crée un tas de connexions. Tellement que le cerveau devient bouillonnant. Et là c’est trop. Entre 6 et 25 ans, il va donc perdre plus des deux tiers de ses connexions neuronales. Celles-ci vont se spécialiser, non pas en qualité mais en quantité. Comme un sentier en forêt: plus on marche à un endroit, plus le chemin se fait.

En pleine adolescence, il y a cette spécialisation des circuits neuronaux. Si bien que des habitudes qui sont prises à ce moment-là vont devenir beaucoup plus pérennes. C’est donc un moment charnière. Le rôle des adultes, c’est d’aider l’ado à muscler ses neurones. Non pas en disant: “Mais enfin, réfléchis !!”. Mais en l’amenant à se questionner: “Qu’est-ce que tu en penses?”, “Comment pourrais-tu faire ceci?”, “Quels sont les avantages à…?”, “Est-ce qu’on pourrait faire autrement?”… C’est toute la démarche d’accompagnement d’un ado: questionner plutôt que de lui dire comment penser.

Qu’est-ce que le détachement sécure, ce concept que vous avez théorisé pour accompagner les ados vers l’autonomie?

C’est l’inverse du maintien sous cloche de mes normes, de mes peurs, de mes injonctions de parent. On peut parler de nos valeurs, nos croyances mais l’idée est de laisser l’adolescent libre d’avoir les siennes. Tout en le questionnant, pas pour le faire changer d’avis mais pour ouvrir son esprit. A l’inverse, en lui plaquant ma façon de penser, il risque de faire tout le contraire, d’entrer dans une rébellion qui n’est pas une liberté.

Le détachement sécure, ce n’est pas non plus “fais ce que tu veux”, ce qui serait tout aussi insécure. C’est une maïeutique pour aider l’ado à comprendre qui il est et aussi à choisir.

La liberté, c’est le choix. Mais ce n’est pas un choix réactif. C’est un choix conscient, réfléchi. Un jeune qui n’est pas encore 100% mature, quand on lui demande ce qu’il veut faire plus tard, va peut être répondre: “Je veux passer à la télé” ou “Je veux devenir un footballeur”. Et on va lui rétorquer: “Oui, c’est ça! Commence par aller à l’école”.

En réagissant ainsi, on ne lui apprend pas à réfléchir et on n’écoute pas son rêve. Cela ne veut pas dire qu’il faut lui répondre: “Oui, tu vas aller à la télé”, “Bien sûr, tu seras footballeur”. Le mieux est de s’intéresser à son rêve: “Pourquoi tu veux devenir footballeur? Quelles sont les démarches dont tu aurais besoin? Selon toi, quels sont les avantages, les inconvénients?”. C’est-à-dire que je vais étudier le dossier avec lui sans vouloir chapeauter son rêve, car sinon il ne me parlera plus de ses rêves. Et c’est là que l’anxiété peut arriver…

A contrario, qu’est-ce qu’un détachement insécure pourrait entraîner?

De ne pas savoir établir des relations de qualité, faute d’un climat de confiance. Et du coup de remplacer la relation par du plaisir, pouvant conduire à des addictions. Le risque, c’est aussi que l’adolescent se replie sur lui-même en se disant: “Je suis nulle, puisque mes parents passent leur temps à me faire comprendre que je ne fais pas bien. Donc j’ai honte de moi. Et dans ce cas, ce que je fais de moi, je m’en fous. Je peux me comporter n’importe comment.” C’est là qu’arrivent les dangers. D’autant que l’adolescence est, par essence, l’âge de l’expérimentation.

Derrière le détachement sécure, il y a selon vous un enjeu sociétal?

L’enjeu, c’est: comment apporter moins de violence dans le monde? Car toutes les éducations autoritaristes prouvent à l’enfant que c’est le plus fort qui gagne. Adulte, on va alors rentrer dans la compétition, la loi de la jungle. Il me semble urgent de favoriser cette prise de conscience large d’une autre manière d’éduquer les enfants, sans abandonner l’autorité. Au contraire, l’autorité c’est beau. Ce qui ne l’est pas, c’est le pouvoir autoritariste. Et souvent les parents et les adultes en général (car cela peut aussi se passer en milieu scolaire) confondent les deux.

Comment rattraper le coup quand parfois l’éducation nous a échappé?

Il n’est jamais trop tard pour entamer le dialogue! Quand on est capable, en tant que parent, de s’interroger, de se remettre en question, c’est gagné. Il ne s’agit pas de se sentir coupable mais plutôt de dire à son enfant: “J’ai appris des choses, on va s’y prendre autrement…” Tout en restant solide, car c’est ce dont il a besoin. Par exemple, mon enfant me confie qu’il a fumé. L’idée n’est pas de lui dire, tel un copain: “Ah bon? C’était comment? Raconte !” Ni de le moraliser, comme on le fait trop souvent en criant: “Mais, c’est n’importe quoi !!!”, avec punition à l’appui. Plutôt d’être solide, en mettant des mots, en appelant un chat un chat: “Ce que tu fais, c’est une connerie. C’est dangereux pour toi, je vais t’expliquer pourquoi. Après, je ne peux pas t’empêcher de le faire mais on va essayer d’en parler, de comprendre…”

Nous, il nous arrive de faire des bêtises, bon sang! On les cache si on nous juge. Mais si on essaie de nous aider, cela devient un recours.

L’ado a besoin de pouvoir parler sans être jugé.

On peut néanmoins juger ce qu’il a fait : juger l’acte n’est pas juger la personne.

Il faut aussi essayer d’accorder un temps de qualité à son enfant. Si on en a plusieurs, c’est bien de temps en temps d’individualiser ces moments. Chaque enfant a besoin d’une relation unique avec son parent. C’est, par exemple, aller une fois de temps à autre au restaurant en tête à tête, ou des moments de jeu… Attention aussi à ce qu’on lui propose. A l’adolescence, les goûts évoluent.

Il y a cette idée de ne pas nier le monde de notre enfant : les réseaux sociaux, les jeux-vidéos?

C’est bien de s’intéresser à ce qu’ils font sur les réseaux sociaux: pas pour les fliquer mais pour comprendre leur intérêt et créer une relation avec eux. Je ne dis pas que ces réseaux sont formidables mais c’est leur monde. Une journée d’ado, c’est dur. Au collège, au lycée, ils sont surchargés de travail. A peine rentrés, on leur demande: “Tu as fait tes devoirs?” Ils ont besoin d’un moment pour souffler. Tiktok peut-être une soupape sans qu’ils y passent 3 heures. C’est comme un adulte qui rentre le soir et boit une bière. S’il en boit une caisse, en revanche, c’est embêtant…

Quelles clés donneriez-vous aux parents pour qu’ils aient confiance dans leur manière de faire?

Cette question est essentielle. J’insiste énormément sur le fait que des parents qui s’interrogent ne sont pas de mauvais parents. À partir du moment où on se pose des questions, c’est qu’on essaie de progresser. Et cette envie va nous servir à modifier des choses, pour notre enfant mais aussi pour nous. Car quand notre ado devient adulte, que c’est bon de continuer à avoir de bonnes relations avec lui.

Il faut rassurer les parents: on ne nous apprend pas à l’être.

On fait comme on peut, souvent avec un amour immense mais sans élément. On fait comme on a été élevé ou contre. Ce qui est très bon, c’est que tout ce qu’on découvre sur les neurosciences nous permet vraiment d’étayer notre manière de faire. Le tout, c’est de savoir qu’on progresse et de ne pas se stresser si on fait de temps en temps quelque chose de mal. Quand on fait une bêtise, c’est comme quand un enfant en fait une: ce n’est pas pour autant qu’on est un parent nul.

Vous dites qu’il faut donner aux ados “des repères plutôt que des cadres” et fustigez les punitions quand tout un pan de la société s’insurge contre le laxisme. Pourquoi?

On confond trop souvent la bienveillance avec le laxisme: ça n’a rien à voir! On n’est pas dans un monde de bisounours, il est important quand on est ado d’avoir autour de soi des adultes qui soient de vrais repères auxquels on puisse faire confiance. Mais la confiance ne s’exige pas, elle se construit.

Évidemment, toute société a besoin de règles pour fonctionner. Une famille aussi. Mais qui les édicte et pourquoi? Au nom de quoi et pour qui? Nous, adultes, si on comprend le sens d’une règle, on peut dire qu’elle nous embête mais on la respecte. Exemple: il est 3h du matin, je rentre, il y a un feu rouge mais personne sur la route. Je m’arrête quand même. Car je comprends que la société a besoin de feux rouges…

Mais un ado, qui n’a pas toutes les facultés de compréhension, quand on lui dit: “C’est comme ça, il y a des règles à la maison!”, ne peut pas comprendre leur sens s’il n’a pas compris d’abord le sens du vivre ensemble. Est-ce qu’on va imposer des règles ou plutôt faire en sorte qu’il comprenne que dans ce vivre ensemble il va y avoir à trouver une organisation pour que ça fonctionne? On peut alors coconstruire ces règles avec lui. Pour qu’elles soient comprises, il faut qu’elles soient justes, qu’il en capte le sens.

Il existe beaucoup de livres sur l’éducation dite “positive”, votre dernier s’y ajoute. Comment faire en sorte que ces textes ne provoquent pas un stress parental de ne jamais faire comme il faut?

L’erreur est humaine. Je pense que si soi-même on s’exige en parent parfait, on va aussi exiger que notre enfant le soit et ça, ce n’est pas humain. Ce qui est important, c’est de construire et la relation n’est pas simple. Être parent, c’est complexe. C’est la vie: y a des jours où il fait beau, d’autres où il pleut.

Je conseillerais aussi aux parents de prendre soin d’eux, de ne pas se sentir coupables s’ils ne répondent pas à toutes les sollicitations de leur enfant. On peut très bien lui dire: “J’ai besoin d’un moment à moi, de faire du sport, de voir mes copains…” Ce qui est important, c’est de revenir avec le sourire et sans culpabilité après.

Comment faire quand on perd patience, que l’adolescent dépasse nos limites?

On peut se pencher un peu sur son intériorité: “Qu’est-ce qui fait que je m’énerve?”, “Est-ce que c’est si important que ça?”… On a aussi le droit d’exister et de dire à son enfant: “Là, je n’en peux plus. J’ai besoin de souffler, on en reparle tout à l’heure au calme”. On ne règle jamais les problèmes à chaud. Dans le moment de crise, on ne s’écoute plus: c’est à qui va parler le plus fort. Si on perd patience, la base de la communication sans violence, c’est de ne pas attribuer à l’autre ce qu’on ressent. Car ce qui fait que je suis touché, c’est bien moi avec ma sensibilité. J’y ai droit à cette sensibilité mais je ne vais pas en accuser l’autre.

Vous dites aussi qu’il faut remettre de la joie dans l’éducation…

Oui, et de la légèreté, de l’humour aussi! Il y a toujours quelque chose chez un ado, même en crise, dont on peut s’émerveiller : ses envies, ses rêves. Etre joyeux, c’est aussi s’occuper de soi. On ne doit pas TOUT à son enfant. Vivre sa vie, même si des fois ça ne lui fait pas plaisir, comme c’est le cas parfois dans les couples séparés, ça lui donne le message qu’on a le droit de mener une existence qui ait du sens, dans laquelle la joie existe, dans laquelle on peut s’enthousiasmer.


*Colloque “Eduquer à la liberté par le détachement sécure” – 14 janvier 2023, de 9h à 18h, salle de la Licorne, à Cannes. En présence notamment de Boris Cyrulnik (neuropsychiatre), Catherine Gueguen (pédiatre), Frédéric Lenoir (philosophe), Philippe Meirieu (chercheur en éducation), Alice Guyon (docteure en neurosciences)…

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