Quand le chocolat suisse se fond dans la mondialisation

LETTRE DE GENÈVE

Un mythe suisse s’effondre. Et pas n’importe lequel puisqu’il associe chocolat et montagnes, deux des principaux totems de l’Helvétie. La célèbre barre à la nougatine Toblerone, élaborée dans la capitale fédérale, Berne, depuis 1908, va transférer une partie de sa production à Bratislava en Slovaquie d’ici à 2023.

La marque n’aura donc plus le droit de faire figurer son origine helvétique sur l’emballage, ainsi que le veut une loi sur la Swissness (« suissitude ») passée au Parlement en janvier 2017. Cette législation renforce la protection de la désignation « Suisse » et de la croix blanche, emblème qui dispose d’un très fort pouvoir d’attraction à l’étranger, où il passe pour un gage de solidité et de qualité. Le mont Cervin, autre icône nationale, ne devrait pas disparaître du paquet sous sa forme stylisée, l’exploitation de son image n’étant pas protégée de la même manière. En clair, dans un peu plus de douze mois, on pourra trouver dans les boutiques hors taxes des aéroports du monde entier (les principaux points de vente de la marque) des produits Toblerone se réclamant du bon air pur des Alpes sans jamais y avoir mis les pieds.

Et que se passera-t-il quand les consommateurs découvriront qu’ils ingurgitent un produit possiblement constitué de lait de bovins slovaques ? Selon Stefan Vogler, expert du rayonnement des marques et chargé de cours à l’Université d’économie de Zurich, l’impact devrait rester très faible. « On peut imaginer que cela créera un tollé en Suisse, mais les Suisses ne consomment que 10 % de la production de Toblerone, et ça se tassera très vite. Pour la marque, ce n’est donc pas un gros risque, je dirais même que c’est un marché négligeable. Et à l’étranger, c’est 90 % des ventes, la marque est déjà identifiée comme totalement suisse, alors peu importe que le chocolat soit produit sur le sol national ou ailleurs. »

Cynisme commercial

Derrière ce cynisme commercial assumé, la délocalisation vise à augmenter les marges du fabricant, propriété depuis dix ans de la multinationale alimentaire américaine Mondelez, un des poids lourds mondiaux de l’agroalimentaire – son portefeuille de marques comprend, parmi des dizaines d’autres, Biscuits Lu. Si le coût du cacao reste fixé par le marché mondial, qu’on le traite en Suisse ou en Slovaquie, celui du lait n’est pas le même dans les deux pays. Quant à celui du travail, il est encore six à sept fois moindre dans les Carpates.

Lire aussi : Une enquête ouverte contre Mondelez, propriétaire des marques Lu, Oreo et Milka, pour pratiques anticoncurrentielles

L’histoire de ce déménagement (« d’une partie seulement de la production », insiste à Vienne Livia Kolmitz, porte-parole de Mondelez pour l’Europe) est celle de toute la branche : jusqu’où maximiser les profits en comprimant les coûts, sans rien perdre de l’image de marque tout en quittant le pays dont elle est issue ? Mondelez a une certaine expérience dans le domaine, puisqu’il détient aussi Milka. Un produit que la terre entière perçoit comme helvétique (il est né dans le pays en 1901, sept ans avant Toblerone) alors que l’usine principale se trouve à Lörrach dans le Bade-Wurtemberg allemand, certes à quelques kilomètres seulement de la frontière suisse.

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