La banque et l’éthique

Pour beaucoup de personnes, la banque et l’éthique semblent appartenir à deux réalités irréconciliables : d’un côté, celle de l’argent, des biens matériels et de l’avoir ; de l’autre, celle de la frugalité, du désintéressement et de l’être.

Cette opposition plonge ses racines dans la nature de l’Homme et dans son histoire : tout d’abord dans la nature même de l’Homme, marquée par la tension permanente entre l’avoir et l’être ; et dans l’histoire des Hommes ensuite, jalonnée de l’effet d’attraction-répulsion que l’argent a eu dans leur mémoire, leurs dires et leurs écrits.

La condamnation du prêt à intérêt, une histoire qui vient de loin

Jugeons-en ! Dès l’Antiquité, Aristote, auteur de Éthique à Nicomaque, ouvrage exposant sa philosophie morale, a également écrit Politique, œuvre dans laquelle il livre l’une des critiques les plus sévères contre la pratique de l’intérêt car, selon lui, il est contraire à la nature que l’argent produise de l’argent.

Plus tard, l’Ancien Testament condamne sans équivoque l’usure dans l’Exode (XXII, 24) et dans Le Lévitique (XXV, 35-37). Dans l’un, il est écrit : « Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de mon peuple, au pauvre qui est avec toi, tu ne seras point à son égard comme un créancier, tu n’exigeras pas de lui d’intérêt. » Dans l’autre, il est écrit : « Si ton frère devient pauvre et que sa main s’affaiblisse près de toi, tu le soutiendras, fût-il étranger ou hôte, afin qu’il vive auprès de toi. Ne tire de lui ni intérêt ni profit, mais crains ton Dieu et que ton frère vive avec toi. Tu ne lui prêteras point ton argent à intérêt, et tu ne lui donneras point de tes vivres pour en tirer profit. » La condamnation du prêt à intérêt est aussi implacable dans Le Nouveau Testament, dans Luc (6:34-35). Fidèle aux Écritures saintes, Thomas d’Aquin, un des principaux maîtres de la théologie catholique, affirme au XIIIe siècle dans sa Somme théologique que : « Recevoir un intérêt pour de l’argent prêté est en soi injuste, car c’est faire payer ce qui n’existe pas, ce qui constitue évidemment une inégalité contraire à la justice. […] C’est en quoi consiste l’usure. »

En revanche, la branche protestante du christianisme a légitimé la pratique de l’intérêt en 1545, avec Jean Calvin, qui considère que la monnaie est une marchandise comme les autres. L’argent est selon lui un bien qu’on doit pouvoir prêter contre une rémunération, comme tout autre bien. Ce virage calviniste a été une véritable révolution en Europe et, plus tard, dans le monde, compte tenu de son impact sur le développement du capitalisme, comme le montre Max Weber dans son fameux ouvrage L’Éthique Protestante et l’Esprit du Capitalisme.

Calvin émet toutefois des limites à la pratique de l’intérêt. Pour lui, elle ne vaut ni pour le pauvre, ni pour celui qui emprunte pour se nourrir, mais pour celui qui s’endette pour investir.

L’islam condamne également la pratique du riba traduit par certains par « usure » et par d’autres, dont les théologiens de la finance islamique, par « intérêt ». Témoigne de cette condamnation la Sourate 2, Verset 275 du Coran[i]: « Ceux qui pratiquent l’usure se lèveront le jour de la résurrection tels des possédés touchés par Satan et cela parce qu’ils auront prétendu que le troc est assimilable à l’usure, alors que Dieu a permis le commerce et rendu l’usure illicite. Celui qui, exhorté par son Seigneur, s’interdira cette pratique conservera ses acquis usuraires antérieurs et son cas relève de Dieu. Ceux qui récidiveront, au contraire, ceux-là auront le feu pour séjour éternel. »

Dans ses Manuscrits de 1844, Karl Marx fait une critique implacable de l’argent et la cause d’une aliénation à nulle autre pareille parce que l’argent, qui était au départ moyen, est devenu au fil du temps finalité et valeur à l’aune desquelles tout est évalué.

A une époque plus proche de la nôtre, on a entendu un homme politique parler de l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes[ii]. Un autre de s’écrier dans l’effervescence d’une campagne électorale : « Mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance »[iii].

Quand des financiers peu vertueux déshonorent la finance

Cette méfiance vis-à-vis de l’argent et du prêt à intérêt, qui remonte à la nuit des temps, a été nourrie par des scandales ou crises mêlant pratiques intolérables et manquements éthiques.

Ces scandales sont consécutifs, pour les plus récents, à la forte financiarisation de l’économie à partir des années 1980, symbolisée par les « 3D », – décloisonnement, désintermédiation, déréglementation – auxquels s’est rajouté un quatrième D : la « dématérialisation ».

Ces scandales financiers aux antipodes de l’éthique ne concernent pas tous la banque, mais ils touchent tous la finance et nuisent à l’ensemble de la communauté financière.

Rappelons les énormes scandales financiers que le monde a connus : le scandale de la société américaine Enron en 2001, qui a provoqué la chute de celle-ci et entraîné l’écroulement d’Arthur Andersen, l’un des plus grands cabinets d’audit de l’époque ; le scandale financier de la société américaine Worldcom en 2002, d’une ampleur de 11 milliards de dollars ; celui de la société italienne Parmalat en 2003, l’une des plus grandes fraudes financières d’entreprise de l’histoire, pour un coût de 14 milliards de dollars.

Tous ces scandales sont le fait d’équipes de direction peu scrupuleuses, coupables de graves manipulations comptables, de faux en écritures, de présentation de comptes insincères afin de masquer des pertes ou pour présenter des bénéfices fictifs. Par leur ampleur et leur retentissement, ces scandales ont éclaboussé le monde de la finance dans son ensemble : les banques, les commissaires aux comptes, les agences de notation, les commissions des opérations de bourse, le fisc, tous incriminés pour leur absence de vigilance, voire pour leur complicité et leur silence.

Le secteur bancaire a aussi connu ses scandales et ses crises. En Afrique, les faillites retentissantes dans les années 1980 et 1990 des banques dont le capital et le management étaient dans les mains de l’État sont connues. Dans l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), une trentaine de banques ont toutes disparues à cause d’une crise, à la fois de liquidité et de solvabilité, née de la distribution du crédit, hors de toute règle de bonne gestion et de tout principe éthique, à des personnes physiques et morales qui ont été incapables d’honorer leurs obligations de remboursement. La faillite des banques dans l’UEMOA a coûté très cher aux États, donc aux contribuables : 25% du PIB pour la Côte d’Ivoire et 17% tant pour le Bénin que pour le Sénégal[iv].

En France dans les années 1990, les dirigeants du Crédit Lyonnais, banque d’État, ont eu, à l’image de certains de leurs homologues d’Afrique, une gestion hasardeuse des deniers qui leur ont été confiés. Le sauvetage de cette banque a coûté aux contribuables français 14,7 milliards d’euros[v]. La distribution du crédit aux « copains et aux coquins » coûte toujours cher à la collectivité.

La banque Barings, l’une des banques les plus prestigieuses du Royaume-Uni, est tombée en faillite en 1995, suite à des pertes occasionnées par des opérations spéculatives non autorisées, réalisées à partir de 1992 par Nick Leeson, un de ses traders vedettes à peine trentenaire. Rentables au début pour la banque, ces opérations ont finalement entraîné des pertes colossales, que Nick Leeson dissimulait astucieusement. La faillite de la Barings a provoqué une crise sans précédent au sein de la City et la disparition d’une banque prestigieuse, fondée au XVIIIe siècle et vieille de 233 ans. Elle a eu un retentissement énorme dans le monde et a déclenché une très grande inquiétude sur l’utilisation des produits dérivés. Elle a également mis à nu « la folie des marchés financiers » où des golden boys à peine trentenaires font couler des institutions financières vieilles de plusieurs siècles.

L’affaire Kerviel en France est un autre scandale bancaire qui a mis à mal la réputation de la Société Générale en 2008 et lui a fait perdre 4,9 milliards d’euros. Jérôme Kerviel, jeune employé de banque, a engagé la banque sur les marchés financiers jusqu’à 50 milliards d’euros, largement plus que les fonds propres de l’établissement. Après avoir engrangé des bénéfices, il a subi, comme Nick Leeson, une série de pertes qui ont amené la banque à découvrir ses agissements violant la réglementation, les procédures et l’éthique. L’affaire Kerviel serait la fraude la plus élevée de tous les temps causée par un rogue trader[vi].

Kweku Adoboli, jeune trader chez UBS Londres, a été également à l’origine d’un scandale bancaire de grande ampleur. Comme Jérome Kerviel, il a, en usant de faux, utilisé les fonds de la banque pour effectuer des transactions non autorisées, à hauteur de 12 milliards de dollars. Ses transactions frauduleuses ont entraîné pour la banque des pertes de 2 milliards de dollars, une baisse de sa valeur boursière de 4,5 milliards de dollars et une grave perte de réputation.

La crise financière mondiale de 2007-2008, appelée aussi crise des subprimes, s’est matérialisée à la fois par une crise de liquidité et une crise de solvabilité au niveau du secteur bancaire et de certains États, par la chute des marchés boursiers et finalement par une récession mondiale. Cette crise sans précédent est née d’une distribution inconsidérée de prêts immobiliers à des ménages aux revenus modestes et incapables de faire face aux échéances des crédits à taux variables qu’ils leur avaient été accordés. En définitive, cette crise financière mondiale a été provoquée, entre autres, par un déficit d’éthique des banques américaines qui ont endetté des ménages au-delà de leur capacité.

Le scandale du Libor, une manipulation des taux du Libor par d’importants groupes bancaires mondiaux, découverte en juillet 2012, a également entaché la réputation des banques impliquées et plus largement celle de toute la profession. Le Libor, taux d’intérêt de référence du marché monétaire interbancaire à Londres, est calculé en fonction des informations de taux que les banques se communiquent entre elles, sans aucun contrôle d’un organe indépendant. Certaines des banques concourant à sa détermination, parmi les plus importantes de la City (comme Barclays, UBS, Deutsche Bank, Citigroup, Royal Bank of Scotland, Lloyds Banking Group, JPMorgan Chase Bank of America, HSBC…), ont intentionnellement provoqué une distorsion de marché en leur faveur, en annonçant des taux inexacts.

Tous ces scandales touchant les entreprises et les banques, avec leur cortège de dommages financiers et moraux, ont amené les entreprises et leurs dirigeants à prendre la mesure de la place de l’éthique dans la conduite des organisations et dans leurs performances.

La mise en place d’une régulation bancaire plus rigoureuse et plus vertueuse

La répétition des scandales financiers et bancaires a amené les États, et plus particulièrement les autorités de régulation, à placer le contrôle, la rigueur et l’éthique au cœur de leurs préoccupations et à renforcer la règlementation bancaire à cet effet.

En France, la séparation entre les activités de banques de dépôts et celles de banques d’affaires, dénommée « la doctrine Germain », est née du krach financier de 1882 dit « krach de l’Union Générale ». La visée morale de cette séparation était de protéger la masse des déposants contre une utilisation de leurs dépôts dans des opérations plus risquées des banques d’affaires.

Aux États-Unis, la réforme de la règlementation bancaire de 1933, après le krach de 1929, s’est concrétisée par la Glass-Steagall Act. Elle a, d’une part, comme la « doctrine Germain », établi une incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et ceux de banque d’investissement et, d’autre part, accordé la protection de l’État fédéral sur les dépôts bancaires des particuliers.

Il est vrai que ce cloisonnement a été progressivement démoli par la politique des « 3D » mise en œuvre à partir des années Tchatcher et Reagan.

A l’échelle internationale, a été mis en place le Comité de Bâle, une initiative des gouverneurs des banques centrales du G10, en vue d’aider à l’amélioration de la stabilité du système bancaire international. Il est né en 1974 des suites de la faillite de la banque Herstatt, occasionnée d’avantage par un manque de contrôles des opérations financières que par un manque d’éthique. Instance chargée d’émettre les recommandations devant servir à l’élaboration par chaque régulateur de la règlementation bancaire de son pays ou de sa zone, le Comité de Bâle a émis en 1988 ses premières recommandations, appelées Bâle I, issues des réflexions entamées en 1974. Puis, en 2004, le nouveau cadre règlementaire, plus connu sous le nom de Bâle II, est né des réflexions entamées à la suite de la faillite de la banque Barings en 1995. La crise financière de 2008 a eu des effets dévastateurs sur les bilans des banques et plus généralement sur l’économie, mettant en évidence les faiblesses de la réglementation bancaire en matière de couverture des risques. De cette crise ont découlé les recommandations de Bâle III en 2010. La même année, l’Autorité de contrôle prudentiel a réformé le cadre règlementaire. L’objectif général visait à stabiliser et à renforcer le système financier dans son ensemble et le système bancaire en particulier. Pour ce faire, plusieurs leviers d’action ont été mis en place : le renforcement du dispositif mondial de fonds propres ; l’instauration de normes mondiales de liquidité ; la recommandation de la mise en place d’un dispositif prudentiel robuste, d’une gouvernance compétente, intègre et indépendante ainsi que d’une discipline de marché.

En Afrique, suite aux faillites massives de banques d’État, l’UEMOA et la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) ont chacune créé une autorité de supervision bancaire en 1990, à savoir la Commission Bancaire de l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA) et la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC). Ces deux Commissions ont instauré une réglementation de plus en plus contraignante et de plus en plus marquée par des principes éthiques. Dans l’UEMOA, les principales circulaires sont :

  • la circulaire n°01-2017/cb/c, relative à la gouvernance des établissements de crédit et des compagnies financières de l’UMOA, qui fixe les principes d’éthique et les règles d’organisation qui doivent régir le conseil d’administration, les comités spécialisés et la direction générale ;
  • la circulaire n°02-2017/cb/c, relative aux conditions d’exercice des fonctions d’administrateurs et de dirigeants au sein des établissements de crédit et des compagnies financières de l’UMOA ;
  • la circulaire n°03-2017/cb/c, relative au contrôle interne des établissements de crédit et des compagnies financières dans l’UMOA ;
  • la circulaire n°04-2017/cb/c, relative à la gestion des risques dans les établissements de crédit et les compagnies financières de l’UMOA, qui demande aux banques de développer la culture du risque, de mettre en place des stratégies, des politiques et des procédures permettant d’identifier, de mesurer, d’évaluer, de suivre, de déclarer et de contrôler ou d’atténuer l’ensemble des risques significatifs de l’établissement.

Dans les années 1990, l’investissement responsable et le financement responsable sont devenus une préoccupation majeure des institutions financières et des banques. La signature de la Déclaration des institutions financières sur l’environnement et le développement durable du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP) a donné plus tard naissance à la Finance Initiative (FI). UNEP FI vise à promouvoir une meilleure prise en compte des principes de développement durable dans les institutions financières, grâce à l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernence (ESG), dans les prises de décision d’investissement et de financement. Concrètement, ceci a amené des banques et des institutions financières, par exemple la SFI et l’AFD, à bannir toute intervention dans des secteurs ou entreprises attentatoires à l’environnement, au patrimoine culturel, à la dignité, à l’intégrité et la santé humaines, à la protection des enfants… Dans les listes d’exclusion figurent également le secteur de l’armement et celui des maisons de jeux, casinos ou toute entreprise équivalente.

Aux États-Unis comme en France, le besoin d’un surcroît d’éthique dans la gestion des entreprises s’est renforcé. Dans le premier pays, a été votée la loi Sarbanes-Oxley de 2002 visant à renforcer la transparence des documents comptables et à protéger les actionnaires et le public des pratiques comptables et commerciales frauduleuses. Dans le second, a été votée en 2003 la loi de sécurité financière qui met l’accent sur la responsabilisation accrue des dirigeants, le renforcement du contrôle interne et la lutte contre les conflits d’intérêt.

Une gouvernance intègre et compétente

La volonté des autorités de régulation de mettre en place, au sein des banques, un management efficace et éthique, a conduit à l’établissement de textes légaux et règlementaires robustes et contraignants, dont certains visent à doter les banques de conseils d’administration, d’équipes de direction et de personnel efficaces, c’est-à-dire compétents, expérimentés, intègres, indépendants et à l’abri des conflits d’intérêt.

Ainsi, par exemple, dans l’UEMOA, les conseils d’administration sont obligatoirement composés d’une majorité d’administrateurs non-exécutifs, donc ne participant en aucune manière au fonctionnement quotidien de l’établissement. En effet, le bon sens veut que ceux qui ont en charge la gestion de la banque ne soient par surreprésentés dans l’organe chargé de superviser leur propre gestion. En outre, le tiers des membres des conseils d’administration doit être composé d’administrateurs indépendants, c’est-à-dire des administrateurs non-exécutifs n’entretenant aucune relation avec l’établissement ou le groupe auquel il appartient ou n’étant sujets à aucun conflit d’intérêt, ni aucune influence venant d’une partie prenante de l’entreprise (direction, actionnaires, salariés, fournisseurs, clients, auditeurs externes, gouvernement, etc.). Tous les membres du conseil d’administration, qu’ils soient exécutifs ou non-exécutifs, doivent, en toute circonstance, exercer leurs fonctions en toute indépendance et avec diligence et loyauté envers la banque, dans le cadre des lois et règlements en vigueur.

Les conseils d’administration des banques doivent obligatoirement, conformément à la réglementation bancaire, mettre en place des comités spécialisés, notamment un comité d’audit, un comité des risques, un comité de rémunération et un comité de nomination. Ces comités sont composés exclusivement d’administrateurs non-exécutifs et majoritairement d’administrateurs indépendants. Les comités spécialisés ont pour mission d’assister le conseil d’administration dans ses fonctions de gouvernance et de supervision de la banque.

Les membres des directions des banques doivent posséder les compétences professionnelles, l’honorabilité, l’expérience et les qualités personnelles nécessaires pour assurer l’exercice de leurs fonctions. Ils doivent notamment, en vertu du nécessaire comportement éthique qui doit être le leur, communiquer avec transparence avec le conseil d’administration, s’assurer en permanence du bon fonctionnement des dispositifs de contrôle interne et de gestion des risques et œuvrer sans relâche pour l’adhésion de l’ensemble du personnel aux principes d’éthique et de professionnalisme ainsi qu’aux saines pratiques en matière de gouvernance.

Les membres des conseils d’administration des banques, ceux des directions et des personnels, doivent agir à tout moment dans le respect strict des obligations édictées par le régulateur :

  • l’obligation de diligence : c’est l’obligation de décider et d’agir de façon éclairée et prudente, comme le ferait une personne vigilante pour ses propres affaires ;
  • l’obligation de loyauté : c’est l’obligation d’agir en toute bonne foi dans l’intérêt de l’établissement ;
  • le devoir de mise en garde : c’est l’obligation qu’a le banquier d’informer son client sur les avantages de ses produits et services, mais aussi sur leurs inconvénients et leurs risques ;
  • l’obligation de vigilance : c’est l’obligation qu’a la banque d’être attentive pour déceler les irrégularités et anomalies dans les opérations des clients, afin de pouvoir les alerter ;
  • l’obligation de non-ingérence : c’est l’obligation pour la banque de ne pas s’immiscer dans la gestion des comptes d’un client ou interférer dans ses décisions de gestion, dès lors que celles-ci se font dans le respect des textes en vigueur. Il revient au banquier de savoir où s’arrête l’obligation de vigilance et où commence celle de non-ingérence.

Un dispositif prudentiel robuste et porteur de vertu

La première vertu d’une banque, c’est d’être solide financièrement. Sans solidité financière, une banque ne peut rien. Cette solidité est conférée au système bancaire par le respect d’un dispositif prudentiel robuste, dont les principales composantes sont :

  • des fonds propres renforcés : cela se traduit dans presque tous les pays par le relèvement du niveau de capital social minimum des banques et par l’adoption d’un ratio de solvabilité plus exigeant. En plus du ratio de solvabilité stricto sensu, des exigences complémentaires de fonds propres ont été établies, telles que le coussin de conservation, le coussin contracyclique et le coussin systémique. Ce sont des « coussins » dans lesquels les banques pourront puiser en cas de difficultés, de tensions, de conjoncture nationale ou internationale adverse ;
  • une gestion de liquidité améliorée : celle-ci se traduit par une harmonisation internationale en matière de liquidités à court terme et à long terme et par la mise en place de normes prudentielles dans ce domaine, à savoir le ratio de liquidité à court terme et le ratio de liquidité à long terme ;
  • une meilleure division des risques : les différents ratios de division des risques cherchent à limiter ou à prévenir les risques sur un client unique, sur un groupe de clients liés, sur un ensemble de clients dont le cumul des risques apparaît élevé ;
  • la surveillance et la limitation des crédits aux personnes participant à la gestion de la banque ou aux entreprises dans lesquelles ces personnes sont impliquées : il s’agit ici d’une règle de saine gestion et d’éthique, pour éviter les abus connus à d’autres époques.

Une lutte résolue contre le terrorisme et le blanchiment des capitaux

Aujourd’hui, presque partout, les régulateurs ont édicté des lois portant sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment des capitaux. Les banques sont particulièrement impliquées dans cette lutte. Situées au cœur des échanges financiers, elles sont tenues à diverses obligations, dont celles situées à la confluence de l’éthique et de la bonne gouvernance :

  • déclarer à un service placé sous l’autorité du Ministre de l’Économie, appelé CENTIF dans l’UEMOA, les opérations réalisées sur leurs livres qui pourraient provenir du trafic de stupéfiants ou d’activités criminelles organisées. Il s’agit notamment des opérations dont l’identité du donneur d’ordre est douteuse, des opérations effectuées à partir de capitaux dont les bénéficiaires ne sont pas connus ou encore des opérations effectuées par des personnes ou des organismes domiciliés dans un pays reconnu comme non coopératif dans la lutte internationale contre le blanchiment et contre le terrorisme ;
  • faire preuve d’extrême vigilance à l’entrée en relation avec les Personnes Politiquement Exposées (PPE) et avec les membres de leurs familles. Cette vigilance s’exerce aussi au moment de traiter leurs opérations. Les PPE, selon la loi, sont les personnes physiques qui exercent ou qui ont exercé d’importantes fonctions politiques ou publiques, nationales ou internationales, dans le pays concerné ou dans un pays tiers, et qui sont donc considérées de ce fait comme exposées à des risques plus élevés de blanchiment de capitaux.

Une gestion financière transparente

La transparence est une vertu, la transparence financière est une vertu cardinale. C’est pourquoi le troisième pilier de Bâle II est repris en grande partie dans le dispositif prudentiel applicable aux établissements de crédit et aux compagnies financières de l’Union Monétaire Ouest Africaine, sous le nom de « discipline de marché ». Cette dernière a pour objet d’amener les banques à une meilleure transparence financière, en exigeant d’elles qu’elles fournissent à leurs actionnaires, leurs clients et au grand public, sur les supports les plus accessibles, comme leur site internet, les informations pertinentes nécessaires à l’appréciation de leur situation financière, notamment l’adéquation de leurs fonds propres avec les normes réglementaires.

A cet effet, il est procédé à une uniformisation des pratiques bancaires en matière de communication financière afin de faciliter la lecture des informations comptables et financières des banques d’un pays à l’autre.

La mise en place de procédures et codes incitant à la bonne gouvernance

La mise en place de codes, politiques, chartes et procédures appropriés est indispensable à la fois pour la maîtrise des risques et pour un fonctionnement respectueux des principes éthiques et de la bonne gouvernance. Pour une banque, les procédures et codes les plus courants sont :

  • au plan de l’éthique, le code de déontologie et la politique de gestion et de traitement des conflits d’intérêts ;
  • au plan de l’activité de crédit, la politique et le manuel des procédures du crédit ;
  • au plan de la maîtrise du risque, la politique du risque et le manuel de gestion des risques ;
  • au plan du contrôle interne et de la conformité, la charte du comité de conformité ;
  • au plan de l’audit, la politique d’audit, la charte du comité spécialisé d’audit et le manuel de procédures y afférent ;
  • au plan de la gestion administrative, le manuel des procédures administratives, comptables et financières.

Le code de déontologie a une importance particulière parce qu’il doit définir les comportements acceptables et inacceptables au sein de la banque mais également viser à favoriser une culture de l’intégrité et de la responsabilité, dans le but de protéger les intérêts des clients et des actionnaires. La traque des comportements inacceptables et particulièrement non éthiques amène certains régulateurs et banques à protéger les lanceurs d’alertes. Dans l’UEMOA, l’article 44 de la circulaire n°01-2017/cb/c, relative à la gouvernance des établissements de crédit et des compagnies financières, précise : « L’organe délibérant doit veiller à la mise en place d’un dispositif interne de collecte d’informations sur les dysfonctionnements. Ce dispositif doit permettre à tout acteur de l’établissement de lui communiquer sans délai, directement, en toute confidentialité, et sans suivre la voie hiérarchique ou indirectement, par l’intermédiaire des fonctions d’audit interne ou de conformité, les pratiques contraires au code de déontologie ainsi que tous faits, gestes, actions ou circonstances, pouvant porter atteinte aux intérêts ou à la réputation de l’établissement. » Bien sûr, il est précisé que le dispositif doit protéger l’anonymat des lanceurs d’alertes et interdire toute forme de représailles.

La protection des clients

L’influence des mouvements consuméristes, le développement de la conscience éthique des banques et la volonté des autorités publiques ont amené le secteur bancaire à faire de la protection de la clientèle une priorité.

Protéger la clientèle, c’est combattre sans relâche les dérives commerciales préjudiciables aux clients et lutter contre l’asymétrie d’information qui existe entre des professionnels bien formés et bien informés et des clients qui le sont naturellement moins. En effet, les clients ne sont pas toujours en mesure d’évaluer correctement les avantages, les inconvénients et les risques d’un produit, comme sont en mesure de le faire les professionnels.

Pour ce faire, dans les pays les plus avancés en matière de protection des clients, diverses dispositions légales, accompagnées de sanctions contre les banques, sont prises, notamment celles concernant les points suivants : le droit au compte du client, l’information précontractuelle du client, l’information complète du client pendant le contrat, la détermination du taux effectif global, la fixation d’un délai de rétractation du client, la détermination d’un taux d’usure, le plafonnement de certains frais, le traitement des situations de surendettement, la lutte contre les pratiques commerciales mensongères, le traitement des réclamations, les mécanismes de prévention du surendettement, etc.

Si l’éthique et la banque ont semblé et semblent encore pour certains appartenir à deux univers irréconciliables, il m’apparaît que le secteur financier et le secteur bancaire ont significativement intégré l’éthique dans leur gouvernance, sous les effets combinés des épreuves infligées par les crises et les scandales financiers, de la pression des autorités publiques et des mouvements consuméristes et tout simplement de l’élévation de la conscience éthique des banquiers.

Par Mamadou SENE, ancien directeur général de banque, auteur de « La banque expliquée à tous – Focus sur l’Afrique »

[i] Le Coran, traduit et commenté par le Cheikh Si Hamza Boubakeur, Maisonneuve & Larose, 1995

[ii] Déclaration de François Mitterrand dans son discours d’Epinay, 1971.

[iii] Déclaration de François Hollande lors du meeting du Bourget, le 22 janvier 2011.

[iv] Gerard CAPRIO, Jr. & Daniela KLINGEBIEL, « Bank Insolvencies, Cross-country Experience », Policy Research Working Paper, The World Bank Policy Research Department, Finance and Private Sector Development Division, July 1996.

[v] « Crédit lyonnais : l’État va emprunter 4,5 milliards pour solder la facture », Le Parisien, 10 novembre 2013.

[vi] Un trader voyou est un trader qui agit de manière imprudente et isolée, ce qui se traduit souvent par un préjudice au détriment de l’institution qui l’emploie et de ses clients. Un trader voyou effectue généralement des investissements à haut risque qui produisent d’énormes pertes ou gains.

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