Immigration : Mayotte, une terre d’exception – Outre-mer la 1ère

De nombreuses mesures d’exception ont été mises en place sur l’île pour faire face à une pression migratoire exceptionnelle. Au grand dam de certaines associations, qui dénoncent un “laboratoire de recul des droits”, car des mesures pourtant présentées comme particulières ont ensuite été étendues à l’ensemble de la France.

Aucune des mesures du nouveau projet de loi immigration présenté par Gérald Darmanin ce 1er février ne concerne Mayotte en particulier. “Il y aura un projet de loi spécifique pour Mayotte”, a précisé le ministre de l’Intérieur à la sortie du Conseil des ministres. Traiter le cas mahorais à part n’est pas une nouveauté : pour faire face à la pression migratoire, particulièrement forte sur ce territoire de l’océan Indien, de très nombreuses exceptions au droit des étrangers s’appliquent sur l’île.

Récemment, le droit du sol a été limité à Mayotte. Contrairement à une idée reçue, le droit du sol ne signifie pas qu’un enfant né en France obtienne automatiquement la nationalité française. Instauré sous la IIIe République, le droit du sol à la française renvoie à l’idée d’une nationalité “choisie” : un enfant né en France de parents étrangers pourra décider, à sa majorité, de devenir français s’il a habité en France pendant plusieurs années avant ses 18 ans. La loi asile et immigration de 2018 ajoute une exception pour Mayotte : non seulement l’enfant qui demande la nationalité doit remplir les conditions précédentes, mais il doit aussi prouver que l’un de ses parents au moins résidait en France légalement depuis trois mois au moment de sa naissance. Gérald Darmanin envisage de durcir encore la loi, en allongeant le délai à neuf mois et en étendant la présence régulière sur le territoire aux deux parents. Insuffisant selon Mansour Kamardine, député LR du territoire, qui demande une suppression pure et simple du droit du sol sur l’île.

C’est une condition qui n’existe nulle part ailleurs. Un enfant qui nait à Paris à Marseille en Guyane ou à La Réunion n’aura pas du tout à justifier de la régularité de séjour de l’un de ses parents pour devenir français.

Pauline Le Liard, chargée de projet pour La Cimade à Mayotte. 

Emmanuel Macron considère que la limitation du droit du sol à Mayotte est une démarche “adaptée et équilibrée”, justifiée par “les défis” particuliers du territoire. Mais plusieurs associations dénoncent la mesure et questionnent la constitutionnalité de la loi. Après tout, en 2006, la proposition du député de Mayotte Mansour Kamardine de restreindre le droit du sol avait été exclue du projet de loi immigration car elle risquait d’être déclarée inconstitutionnelle. Consulté par la mission de l’Assemblée nationale lors de la préparation du texte, le président de la section du contentieux du Conseil d’État estimait que “les conditions d’accession à la nationalité française, dans notre tradition juridique, valent pour l’ensemble du territoire de la République”. La mission de l’Assemblée en avait conclu qu’ “une telle modification devrait donc nécessairement concerner l’ensemble du territoire national”.

Mais le 6 septembre 2018 le Conseil Constitutionnel tranche en faveur de l’exception mahoraise, estimant que les lois “peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières”. Or Mayotte est un cas particulier. Sur le territoire, près d’une personne sur deux est étrangère. Beaucoup de ces étrangers séjournent légalement sur l’île. En 2020, le défenseur des droits estimait que 12% seulement de la population mahoraise était en situation irrégulière. Si cette estimation semble basse, c’est parce que les mineurs –qui représentent près d’un habitant sur deux à Mayotte- sont exclus des chiffres, puisqu’ils ne sont pas obligés d’avoir un titre de séjour et qu’ils n’ont pas l’obligation de présenter une pièce d’identité en cas de contrôle.

La restriction du droit du sol est loin d’être la seule exception au droit des étrangers à Mayotte. Les titres de séjour délivrés sur l’île ne sont valables qu’à Mayotte. Pour quitter le territoire, y compris pour se rendre dans un autre département français, il faut obtenir un visa. Ces titres de séjour territorialisés font l’unanimité contre eux. D’un côté, les associations dénoncent un dispositif qui fait de l’île de 40km de long et de 20km de large une prison, y compris pour des travailleurs qui ont trouvé un emploi dans l’Hexagone ou pour des étudiants acceptés dans une université réunionnaise par exemple. De l’autre, certains élus en lutte contre l’immigration clandestine y voient un piège, une souricière, qui bloque les étrangers sur place et aggrave les problèmes liés à l’immigration sur l’île. C’est le cas de Mansour Kamardine, qui demande la fin de ces titres territorialisés pour “désengorger Mayotte”. Ça obligerait l’État à mieux regarder quand il délivre des titres, estime-t-il. Nous soupçonnons qu’on délivre des titres à la légère sans les investigations d’usage, en se disant que les étrangers resteront à Mayotte.”

La loi immigration de 2018 instaure une autre dérogation, moins médiatisée mais tout aussi révoltante selon les associations d’aide aux migrants. Elle concerne le DCEM, le document de circulation pour étranger mineur. Cette carte, valable cinq ans, permet aux mineurs qui n’ont pas la nationalité française de voyager. À Mayotte, on a restreint ce document de voyage aux seuls enfants nés sur le territoire mahorais. “Tous les enfants qui sont arrivés petits sur l’île ne peuvent plus la quitter”, résume Pauline Le Liard, chargée de projet pour La Cimade à Mayotte. L’association, installée sur l’île depuis 2008, accompagne les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile dans leurs démarches. Cette restriction peut conduire à des situations dramatiques, comme dans le cas de cette Comorienne accompagnée par la Cimade qui s’est rendu à La Réunion pour recevoir des soins médicaux de longue durée. “Elle a dû laisser son enfant mineur né aux Comores, souffle Pauline Le Liard. En plus de créer une prison à ciel ouvert, ça sépare des familles, ça crée des mineurs isolés qui vont se retrouver tout seul sur le territoire alors que l’un de leur parent vit en France de manière régulière.”

24 heures doivent s’écouler entre le moment où une personne en situation irrégulière est interpellée sur le territoire et le moment où elle est éloignée. Ce jour franc n’existe plus à Mayotte depuis la loi de 2018. Le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) demande sa réintroduction. “Ça éviterait de nombreux éloignements illégaux, ça laisserait le temps à l’administration de regarder ces dossiers, estime Marjane Gaem, avocate en droit des étrangers et membre de l’association. J’étais au tribunal la semaine dernière, le président faisait état de l’éloignement de personnes françaises, qui n’avaient pas leurs pièces d’identité sur elles au moment du contrôle. Ça va tellement vite.” Car les contrôles ont lieu partout, dans les rues, en pleine nature et même à l’intérieur des habitations. Depuis peu, alors que les contrôles d’identité sans motif apparent –un flagrant délit par exemple- ne pouvaient se faire que dans la limites d’un kilomètre à partir du littoral, ils ont été étendus à l’ensemble du territoire. “En pratique, ça ne change pas grand-chose, si vous tracez un trait d’un kilomètre à côté du littoral de chaque côté il y a très peu d’endroit à Mayotte qui étaient préservés, reconnait l’avocate. Mais ça enlève l’une des maigres possibilités que les étrangers avaient de contester ce contrôle.”

Personne ne regarde ce qui se passe à Mayotte. Tout ça arrange les affaires de l’État, ne rien voir, ne rien faire, ne rien entendre. C’est la porte ouverte à l’arbitraire.

Marjane Gaem, avocate en droit des étrangers.

Depuis un décret du 1er mai 2022 les demandeurs d’asile arrivés à Mayotte n’ont plus 21 jours pour introduire leur demande devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), comme sur le reste du territoire français, mais 7 jours. “Ça laisse peu de temps à la personne pour réunir l’ensemble des pièces, l’ensemble des preuves qu’elle pourrait apporter”, pointe Pauline Le Liard. Marjane Gaem y voit un fait exprès : “Ce qu’ils essayent de faire c’est de rendre irrecevable le maximum de demandes, avec des délais extrêmement courts”. En 2022, 86% des demandes d’asile déposées à Mayotte ont été rejetées. Le taux d’acceptation des demandes (14%) est deux fois moins élevé sur le territoire qu’en moyenne au niveau national. L’Ofpra ne communique pas sur les raisons des rejets. Impossible de savoir quelle part des refus est due à des questions de procédure, et quelle part se fonde sur la situation des demandeurs d’asile.

Au-delà des dérogations, “même le système qui devrait être appliqué n’est pas appliqué”, dénonce Marjane Gaem. À Mayotte il n’y a pas assez de magistrats, pas assez d’avocats, pas assez de personnels en préfecture. 

Le droit, c’est artificiel, c’est comme des marionnettes, s’il n’y a personnes pour les articuler… Vous avez des textes, mais si personne ne les fait appliquer, ça ne change pas. Les droits, c’est parce qu’on se bat qu’on les obtient.

Marjane Ghaem, avocate en droit des étrangers.

L’un des premiers motifs de saisie de La Cimade concerne les problèmes d’accès à la préfecture : obtenir un rendez-vous pour déposer une demande de titre de séjour est un parcours du combattant. Certains réseaux en ont même fait un business, en monnayant des rendez-vous réservés sur internet.

Le code de l’entrée et du séjour prévoit au centime près le montant de l’allocation accordée par l’État aux demandeurs d’asile. Sauf à Mayotte, où rien n’est précisé. Alors que l’aide est fixée à environ 200 euros par adulte et par mois dans l’Hexagone, Marjane Ghaem défend une famille congolaise, demandeuse d’asile à Mayotte, qui ne reçoit que 30 euros par mois et par adulte. Bien trop peu dans un territoire où les prix sont plus élevés en moyenne qu’ailleurs en France. Saisi d’une question similaire, le Conseil d’État a rappelé en mars 2021 que l’aide de l’État devait permettre aux demandeurs d’asile de garantir un niveau de vie suffisant. Depuis, rien n’a changé.

Mansour Kamardine considère que la réforme du droit du sol de 2018 “commence à produire des effets, même si c’est encore timide”. “J’avais interrogé le gouvernement à l’époque pour savoir combien d’enfants pouvaient bénéficier du droit du sol, c’était de l’ordre de 7 000 par an. Aujourd’hui, ça s’est arrêté”, se félicite-t-il.

Il faut répondre à la détresse dans laquelle se trouve la population de Mayotte. Il faut suspendre le droit du sol, suspendre ou aménager le droit d’accès à un logement, le droit à l’école obligatoire à 16 ans, qui participent à l’attraction des migrants.

Mansour Kamardine, député (LR) de Mayotte

Toutes ces restrictions visent à rendre le territoire moins attractif pour les candidats à l’exil. Mais leur efficacité est contestée. Le 101e département français a beau être le plus pauvre de France, vu des Comores voisines, Mayotte reste un îlot d’espoir dans un océan de misère. Aux Comores, l’un des pays les plus pauvres du monde, l’espérance de vie à la naissance plafonne à 64 ans et la malnutrition entraîne des retards de croissance chez un enfant sur trois. Chaque année, des milliers de candidats à l’exil traversent le lagon à bord de kwasa kwasa, des canots de pêche à fond plat. Ces traversées particulièrement dangereuses ont fait plus de 10 000 morts depuis la fin des années 1990. Alors que les aspirants à l’exil ne reculent pas face aux dangers d’une traversée, certains ont du mal à imaginer que des dispositifs de plus en plus restrictifs les freineront à l’avenir. “Ces mesures ne résolvent rien, elles ne font que pourrir des situations déjà existantes, tranche sèchement Marjane Gaem. L’idée, c’est de se dire que les étrangers vont appeler chez eux en disant ‘laissez tomber Mayotte, c’est une mauvaise porte d’entrée’. Mais ça ne réduira jamais le flux d’arrivées, personne ne quitte son pays pour aller toucher le revenu de solidarité active. C’est absurde.”

Certaines mesures restrictives, initialement présentées comme exceptionnelles et pensées pour répondre aux spécificités du cas mahorais, ont finalement été étendues à l’ensemble du territoire. C’est par exemple le cas de la lutte contre la “paternité de complaisance”, le fait pour un homme de reconnaitre un enfant dont il sait ne pas être le père afin d’obtenir des papiers. En 2006, la loi immigration punit ces reconnaissances frauduleuses de 5 ans de prison et de 15 000 euros d’amende si elles ont eu lieu à Mayotte. Depuis, la règle a été étendue au reste de la France. De même, le fait de mener les audiences de demande d’asile à distance, en visio-conférence, a été expérimenté dans les Outre-mer, en Guyane et à Mayotte, avant d’être étendu à l’ensemble du territoire.

“On connait, au-delà de Mayotte, la fonction de laboratoire des Outre-mer. On a vu au fil des années des dispositions spécifiques testées à Mayotte ou dans les Outre-mer et qui aujourd’hui sont rentrés dans le droit commun, alerte Pauline Le Liard. Concernant l’accès à la nationalité et la limitation du droit du sol, il est tout à fait possible que, dans quelques années, on se serve de cette expérimentation mahoraise pour l’étendre à d’autres territoires.”

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Immigration : Mayotte, une terre d’exception – Outre-mer la 1ère

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