Grand format. Une crise agite l’intercommunalité : Villers-sur-Mer songe à reprendre son indépendance

La communauté de communes Cœur Côte fleurie (Calvados) connaît sa première crise majeure en 20 ans d’existence : Villers-sur-Mer souhaite retrouver plus de liberté.  ©Le Pays d’Auge / Illustrations

Malgré deux ans et demi d’échanges à fleurets mouchetés entre le président Philippe Augier et Thierry Granturco, maire de Villers-sur-Mer, la communauté de communes Cœur Côte fleurie connaît sa première crise majeure en 20 ans d’existence. Nous avons sollicité les deux élus sur l’origine du conflit qui les oppose et ses conséquences.

Ce qu’en pense le maire de Villers-sur-Mer 

Rien ne va plus au sein de la communauté de communes Cœur Côte fleurie. Après avoir joué l’entente cordiale, le président Philippe Augier, maire de Deauville et Thierry Granturco, maire de Villers-sur-Mer et 5e vice-président sont au bord de la rupture. La pierre d’achoppement ? La place de Villers dans la collectivité territoriale.

Thierry Granturco, maire de Villers-sur-Mer.
Thierry Granturco, maire de Villers-sur-Mer. ©Le Pays d’Auge / M.-M. Remoleur

« Je suis assez nouveau en politique, mais cette toute petite communauté de communes me semble avoir été construite pour Deauville afin que la ville ne tombe dans celle de Honfleur ni de Cabourg et puisse avoir une certaine prédominance sur le territoire », analyse le maire de Villers-sur Mer avant de constater :

De mon point de vue, aujourd’hui, cette prédominance est beaucoup trop forte, politiquement, économiquement, touristiquement. Un certain nombre de communes peuvent s’en satisfaire, car elles sont presque naturellement des exubérances de Deauville, mais d’autres villes comme la nôtre ne le peuvent pas.

Pour justifier sa singularité, Thierry Granturco évoque : « un particularisme, à la fois géographique, géologique et environnemental », à l’origine de divergences avec Deauville en matière d’attraction du territoire. « Ce n’est pas le tourisme que nous voulons. Nous ne sommes pas sûrs qu’organiser des congrès internationaux aujourd’hui, avec toutes les discussions sur l’empreinte environnementale, soit la solution. Nous ne sommes pas sûrs que ce tourisme de demain soit celui dont nous rêvons. » Thierry Granturco préférerait miser sur une forme de tourisme centrée sur « l’environnement, le bien-être de manière générale, sur la nature et le ressourcement. »

Une ambition qui éloigne la station balnéaire de la politique de la SPL inDeauville. « Je pense que le concept même de cette SPL ne nous convient pas », un constat qui se confirme avec cette nouvelle mandature : « Dès le début, nous avons retiré nos animations et nos équipements, dont le Paléospace, qui rentre tout à fait dans le développement de notre stratégie telle que nous l’entendons. » Le reprendre en main a nécessité un investissement assez conséquent pour la Ville qui « à ce moment-là, a voulu laisser une chance à l’instrument SPL inDeauville. » 

« Quand on est fâché, on ne joue plus »

Or, depuis son élection Thierry Granturco est dans le plus grand scepticisme à l’égard de la SPL :

Nous ne sommes pas la banlieue de Deauville et nous refusons à l’être. Il est hors de question que nous entendions de la SPL inDeauville la manière dont nous devrions développer l’offre territoriale. Nous n’y croyons pas, nous n’y croyons plus. Pour y croire, il aurait fallu qu’il y ait une approche totalement différente. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La SPL est gérée d’une façon qui ne permet pas la contradiction. 

C’est ainsi qu’est né le projet de quitter une structure qui ne laisse pas au maire de Villers la possibilité de trouver une forme d’équilibre. « Nous avons eu une discussion en interne avec trois de mes élus » et le constat est le suivant :

Si je devais dire les choses très simplement, nous payons, nous contribuons et nous ne recevons rien en retour. Au bout d’un moment il faut faire les comptes, surtout actuellement. On regarde ce que l’on paie pour entretenir une SPL qui est supposée assurer la promotion touristique du territoire. On regarde la colonne d’à côté pour voir ce que l’on reçoit en échange. Résultat, rien. Alors on joue le jeu un an, deux ans, la troisième année, surtout quand on est fâché, on ne joue plus. 

Thierry Granturco annonce avoir entamé les démarches de sortie, accompagné par un cabinet d’avocats local, afin que cela puisse être effectif courant 2023, « il n’y aura pas de retour en arrière » martèle le maire de Villers.

Quitter aussi la 4CF  ?

Si la sortie de la SPL inDeauville semble inéluctable, se pose désormais le problème de la place de Villers au sein de la communauté de communes Cœur Côte fleurie. « Là aussi une réflexion est en cours » annonce Thierry Granturco qui, avec ses délégués, ne siège plus au sein de l’instance communautaire et a renoncé à son indemnité de vice-président.

Cela ne m’intéresse pas de faire acte de présence une fois tous les mois pour lire des documents qu’on me met sous les yeux 10 minutes avant la réunion afin d’adopter des projets sur lesquels, manifestement, nous sommes en incapacité d’influer. Encore une fois, si c’est la communauté de communes de Deauville, que ça reste la communauté de communes de Deauville. Cela ne nous intéresse pas.  

Thierry Granturco ne veut plus siéger dans ce qu’il appelle un cénacle où il se sent « contraint et non écouté. » Il répète : « Cette communauté de communes a été créée pour des raisons politiques. On ne me fera jamais avaler le contraire. Il fallait que Deauville puisse être à la tête d’une communauté de communes plus ou moins avec Trouville. L’histoire a montré que Deauville a toujours tiré la couverture à elle. Aujourd’hui, on arrive à un point de la gestion de cette communauté de communes où chacun fait acte de présence. Même la contradiction dans les réunions préparatoires n’est pas évidente. » 

Le maire de Villers affirme avoir débuté une réflexion afin de quitter la 4 CF,  « avec la même détermination que pour la SPL inDeauville » et annonce son intention de frapper à la porte de la collectivité voisine à l’ouest, Normandie Caboug Pays d’Auge, vers laquelle Villers semble déjà tournée. « C’est peut-être que nous avons une autre ambition pour la ville », conclut-il. 

Pour Philippe Augier, « ça a toujours été un esprit collectif »

Du côté de la communauté de communes, que nous avons sollicitée, la vision de ces dissensions n’est pas la même. « Tout vient du football ». Entouré de Marc Bourhis, directeur général des services, et Michel Marescot, 1er vice-président, Philippe Augier, président de la communauté de communes, part de ce point pour analyser la situation actuelle, rappelant d’emblée :

On a toujours très bien travaillé avec Villers, notamment avec ses prédécesseurs qui ont obtenu beaucoup de choses de la communauté de communes. Il n’y a pas de raisons que Thierry Granturco en obtienne moins. 

Pour le président de la 4CF, le problème viendrait de deux éléments précis. D’abord, des créneaux des clubs de football au Parc de loisirs, équipement intercommunal. « Il nous a informés que son club, l’ASVH, n’en avait pas assez, qu’il fallait qu’on lui en trouve, ce qu’on a fait, mais pas suffisamment à ses yeux, avance Philippe Augier. Le club ne les a pas tous utilisés, mais malgré cela on lui en a trouvé des supplémentaires ». Michel Marescot confirme : « Tous les efforts ont été faits ». L’autre point, selon le président de la 4CF, est lié aux travaux pour réaliser un terrain synthétique au stade André Salesse, à Villers. « Je lui ai dit qu’on l’accompagnerait dans le financement. Sur une opération comme celle-là, on peut avoir plusieurs sources de subventions, sauf qu’il y a une règle : les subventions ne peuvent pas être données si les travaux ont commencé, ce qui était le cas à Villers ». Évoquant des échanges de mails tendus, Philippe Augier insiste : « à partir de là, c’est parti en vrille ». 

Du côté de la communauté de communes,
Marc Bourhis, Philippe Augier et Michel Marescot, respectivement DGS, président et vice-président de Cœur Côte fleurie.  ©Le Pays d’Auge / M.-M. Remoleur

« Ma porte reste ouverte »

En ce qui concerne la volonté de Villers de quitter la SPL inDeauville, Philippe Augier rappelle : « Au début de l’année, j’ai demandé aux maires s’ils souhaitaient poursuivre avec cette SPL. Celui de Villers m’a écrit qu’il souhaitait la conserver jusqu’à la fin de nos mandats. Là, il s’énerve à cause du football et veut se couper de la SPL qui lui a pourtant apporté beaucoup ». Le président de la 4CF mentionne notamment la lettre inDeauville « et ses 16 000 destinataires« , et donne l’exemple de la venue du responsable marketing de la SPL à Villers.

La loi NOTRe actait le transfert de la compétence promotion du tourisme à la communauté de communes, mais les stations classées pouvaient ne pas le faire. J’aurais pu rester seul dans mon coin, mais j’ai voulu jouer la solidarité touristique et on a décidé de construire un axe Villers-Deauville pour faire cette SPL. Quand on s’est posé la question du nom, tout le monde, unanimement, s’est mis d’accord pour que ça s’appelle inDeauville. Il fait comme il veut, je respecte toutes les décisions de chaque commune : s’il veut sortir, il sort.

Philippe Augier

Concernant les réflexions de Villers quant à une possible sortie de la communauté de communes, Philippe Augier insiste : « Ce genre d’instance intercommunale ne peut fonctionner que si les gens ont envie d’y être ». Donnant quelques exemples concernant Saint-Pierre-Azif, Vauville ou Villerville, il ajoute : « On essaye toujours d’équilibrer les gros investissements sur le territoire. On a une communauté de communes qui est en pleine solidarité et c’est pour ça que jusqu’à maintenant, elle n’a jamais connu un problème interne ». En ce qui concerne l’apport de la communauté de communes à Villers, Philippe Augier donne quelques exemples récents, comme l’envoi de sa part du groupe LNA qui souhaitait avoir un centre de rééducation sur la Côte, et ajoute :

On ne peut pas nous taxer de ne pas nous occuper de Villers, d’ailleurs je lui ai fait la liste de ce que Cœur Côte fleurie a fait pour sa commune depuis longtemps.

Réfutant le terme « conflit » pour décrire la situation que traverse la communauté de communes en cette fin d’année, Philippe Augier regrette : 

Si on a des arguments, on siège et on essaye de convaincre. Je n’ai jamais pensé que la politique de la chaise vide était une politique intéressante. Je pense que si on y a recours, c’est qu’on n’a plus d’arguments.

Michel Marescot confirme : « Aux Bureaux des maires, tout le monde peut s’exprimer et est entendu, à condition de parler ». Marc Bourhis parle lui de « pacte confiance », rappelant qu’il n’y avait « pas de censure sur les ordres du jour » construits « grâce aux sujets que donnent les maires ». Philippe Augier conclut : « Je lui ai répété que ma porte restait ouverte. On est l’une des plus anciennes intercommunalités ce qui fait que tout le monde a l’habitude de travailler ensemble et qu’on n’a jamais eu un problème. Ça a toujours été un esprit collectif ». 

Et qu’en pense l’intercommunalité voisine, Normandie Cabourg Pays-d’Auge ? 

Interrogé sur l’éventuelle arrivée de Villers-sur-Mer dans la communauté de communes Normandie Cabourg Pays d’Auge qu’il préside, Olivier Paz n’y est pas allé par quatre chemins.  » C’est la première demande en mariage que l’on me fait par voie de presse  » lance mi-figue mi-raisin Olivier Paz, maire de Merville-Franceville et président de la communauté de communes Normandie Cabourg Pays d’Auge.  » Ni moi ni mes vice-présidents n’avons eu de contact avec le maire de Villers.  » 

Si toutefois une demande officielle était formulée, elle serait du ressort du conseil communautaire et non pas du président qui accepte cependant de donner son avis sur la question.

Notre communauté de communes NCPA, issue de la loi NOTRe en 2017, avait beaucoup plus de modifications que la 4CF en termes de périmètre et d’agrégation de territoires un peu divers, complété en 2018 par l’arrivée de Cambremer. Je considère que c’est simplement maintenant, fin 2022, alors que nous venons d’adopter notre projet de territoire, que nous avons pris la mesure de ce territoire et que nous avons pu collectivement et à la quasi-unanimité, approuver ce ce que nous voulons faire ensemble, comment nous voulons le faire et avec quels moyens.  

« Les territoires restent et les hommes passent »

Il aura donc fallu deux ans de réglages pour que la machine NCPA puisse avancer.  » En dépit de tout l’intérêt que présente Villers-sur-Mer qui est une très belle commune mais dont l’importance est telle qu’elle modifierait les équilibres, je pense que cela ne serait pas une bonne chose pour le territoire.  »  Olivier Paz avance ensuite un argument illustrant sa vision radicalement opposée à celle de Thierry Granturco :

La géographie est têtue. Qu’on le veuille ou non, Villers a les yeux tournés vers Deauville, Trouville et vers Lisieux alors que Houlgate, pour prendre la commune balnéaire la plus proche de Villers, a les yeux tournés vers Dives, Cabourg et vers Caen.

Olivier Paz, président de l’Union amicale des maires du Calvados, ne prendra pas la parole face au Président de la République, mardi 15 janvier 2019.
Olivier Paz, président de la communauté de communes Normandie Cabourg Pays d’Auge. ©Le Pays d’Auge

Olivier Paz évoque des frontières liées à l’histoire et du bassin de vie et prend comme exemple les syndicats d’eau et d’ordures ménagères. 

Quant au conflit qui oppose le président de la 4CF à son 5e vice-président, Olivier Paz rappelle :

Les territoires restent et les hommes passent. Tous. On n’ajuste pas des périmètres en fonction de la satisfaction de chacun de sa place dans l’interco, on n’en sortira jamais. Nous avons mis un certain temps à élaborer ces périmètres et il serait très périlleux aujourd’hui de les remettre en cause. 

Olivier Paz avoue par ailleurs avoir interrogé, de façon informelle, ses vice-présidents sur un éventuel accueil de Villers au sein de leur collectivité,  » tout le monde souhaite avancer dans le périmètre qui est le nôtre dont je répète qu’il n’a pas été simple à mettre en œuvre. « 

Le président rappelle au passage le choix ambitieux de la solidarité territoriale qui a été fait au moment de la constitution de NCPA :  » Cela a nécessité un très gros travail d’harmonisation pour en faire un ensemble cohérent. Je ne veux pas prendre le risque de remettre en question ce travail. Tout le monde pourrait d’enorgueillir d’avoir Villers dans son territoire mais cela ne m’apparaît pas comme une opportunité intéressante ni même souhaitable.  » 

L’exemple de Saint-Gatien-des-Bois

Le 1er janvier 2018, Saint-Gatien-des-Bois glissait de la Communauté de communes du pays de Honfleur-Beuzeville à celle de Cœur Côte fleurie. Le résultat de longs mois de procédure.
La loi NOTRe du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République a conduit la Communauté de Communes du Pays de Honfleur, dont faisait partie Saint-Gatien-des-Bois, à se rapprocher de l’Intercom voisin de Beuzeville, dans l’Eure. Philippe Langlois, maire de Saint-Gatien, a saisi cette opportunité pour entamer les démarches afin d’intégrer Cœur Côte fleurie avec nombre d’arguments à l’appui, au rang desquels, le rattachement au même réseau d’assainissement, la présence de l’aéroport Deauville-Normandie sur le périmètre de la commune, le nombre de jeunes habitants et le fait que Saint-Gatien appartenait au même bassin de vie que Trouville et Deauville. 
Chacune des onze communes de la 4CF concernées par l’arrivée d’une douzième a dû prendre une délibération et voter pour ou contre cette admission.

Philippe Laglois revient sur le parcours du marathon que fut le changement de communauté de communes : « La loi NOTRe, promulguée en 2015, qui voulait renforcer les communautés de communes en fonction du nombre de leurs habitants, a été l’amorce de ma réflexion. » En 2016, le projet est présenté devant la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI), organisme administratif présidé par le préfet qui étudie l’éventuelle recomposition de carte intercommunale. Avec  17 voix pour, 17 voix contre, et 6 abstentions, Saint-Gatien n’obtient pas de la commission l’autorisation de changer de collectivité territoriale.
Dans ce cas de figure, il n’y a pas d’avis de la communauté de commune dont veut sortir la commune. Seules la future collectivité et les communes qui la composent sont amenées à donner leur avis. 
Lors du second passage devant la CDCI, en 2017, Saint-Gatien obtient à l’unanimité le droit de rejoindre Cœur Côte fleurie. Son adhésion est effective le 1er janvier 2018.

.

Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre Le Pays d’Auge dans l’espace Mon Actu . En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.

We want to thank the writer of this article for this awesome web content

Grand format. Une crise agite l’intercommunalité : Villers-sur-Mer songe à reprendre son indépendance

Find here our social media profiles , as well as the other related pageshttps://nimblespirit.com/related-pages/