Faut-il sacrifier le chien ? Les expériences de pensée ou la philosophie dont vous êtes le héros

Cet article est le second épisode de notre série estivale “Livres : le “je” de rôle”.
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Vous êtes dans un canot de sauvetage, pris dans une mer déchaînée. Avec vous, cinq compagnons d’infortune dont un chien. La tempête gronde, les vagues malmènent l’embarcation, la nuit tombe… Si aucun d’entre vous ne se sacrifie, ou si l’animal n’est pas jeté à l’eau, tout le monde va mourir. Il faut agir et vite ! Allez-vous faire passer le chien par-dessus bord ? Supposez, désormais, que vos acolytes soient de grands criminels, mais que l’animal, en revanche, soit un héros ayant sauvé des dizaines de personnes d’une mort certaine sous les décombres d’un immeuble effondré… Que faites-vous ?

Cette histoire dont vous êtes le héros n’est ni une mauvaise fable pour enfant, ni le script d’une émission de télé-réalité douteuse, mais une expérience de pensée toute philosophique, l’une de ces “petites fictions inventées spécialement pour susciter la perplexité morale“, selon l’heureuse formule du philosophe Ruwen Ogien dans L’Influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine (Grasset, 2017). Certes plus faciles à lire que la Critique de la raison pratique de Kant, ces casse-tête moraux sont-ils vraiment utiles à l’argumentation éthique ? Est-ce même bien sérieux de faire entrer ce type de fictions en philosophie ?

Certains philosophes, note Ogien, ont pu reprocher aux expériences de pensée d’être trop pauvres : schématiques, elles auraient tendance à nous indiquer d’avance où il faut chercher. Parfois farfelues, ces fictions seraient aussi trop éloignées de notre réalité pour qu’on s’y projette réellement. Au scénario du canot de sauvetage cité plus haut, lequel nous permet d’aborder la question éthique du sacrifice d’animaux, on pourra préférer l’exemple, bien réel, du “bébé Fae” : un enfant condamné par une malformation cardiaque à qui l’on avait greffé un cœur de babouin ; pour les militants contre la vivisection, ce qui était scandaleux, ce n’était pas tant que la frontière inter-espèce ait été franchie, mais que l’on ait trouvé normal de tuer un animal pour tenter de sauver un bébé dont les chances de survie étaient faibles. 
Le réel ne nous fournit-il pas en effet déjà bien assez de prétextes pour interroger la nature humaine et sa moralité ? Quelle est la fonction proprement philosophique des expériences de pensée ?

Du procédé à l’usage de ces scénarios à choix multiples en philosophie, quand les penseurs invitent leurs lecteurs à plisser le front en devenant les héros de leurs petites enquêtes éthiques…




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Ni pure fiction, ni simple hypothèse

Le cerveau dans une cuve, le tramway fou, la chambre chinoise, le violoniste sous perfusion… Ce ne sont pas les derniers titres des romans de la collection “Chair de poule”, mais les noms d’expériences de pensée philosophiques célèbres ! Elles permettent d’aborder des problèmes relevant aussi bien de la philosophie du langage que d’éthique ou d’épistémologie. Sophie Roux, professeure de philosophie à l’ENS, constate qu’elles sont d’ailleurs très à la mode. Au-delà de la tradition anglo-saxonne contemporaine où elles se sont historiquement épanouies, “on s’est mis à désigner a posteriori l’anneau de Gygès [Platon, La République], le bateau de Thésée [Plutarque ; Hobbes], l’âne de Buridan [Descartes ; Spinoza ; Leibniz,…], comme des expériences de pensée“, souligne la philosophe lors d’une conférence donnée en 2013. Bref, il y aurait une tendance à relire l’histoire de la philosophie pour en renommer chaque fabulette “expérience de pensée”.

Or l’expérience de pensée n’est pas l’apanage de la philosophie. On situe plutôt l’origine de cette notion en physique. Si le physicien et chimiste danois Hans Christian Ørsted, né à la fin du XVIIIe siècle, a été le premier à employer l’expression, c’est à Albert Einstein que l’on doit la formulation des expériences de pensées les plus célèbres en physique expérimentale. On en trouverait aussi en littérature ou dans les sciences sociales et humaines. “On suppose qu’imaginer des situations contrefactuelles permet de tester des modèles économiques ou de mieux comprendre certains moments historiques, souligne Sophie Roux, constatant toujours le succès croissant de la notion.




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La recette de l’expérience de pensée en 3 ingrédients

Les expériences de pensées sont populaires, donc. Mais comment les définir en philosophie ? Selon Sophie Roux, trois caractéristiques peuvent être retenues pour à la fois cerner ce qu’elles sont et les distinguer d’autres formes de raisonnement ou de formats fictifs.

  • Une pincée de contre-factualité

La première d’entre elles est la contre-factualité. “Par définition, une expérience de pensée se passe en pensée, souligne la professeure de l’ENS. Elle n’a pas besoin de sa réalisation, elle n’est pas réelle”. Le raisonnement contrefactuel en philosophie se rapporte à des événements qui ne se sont pas réalisés, mais auraient pu le faire sous certaines conditions – celles-ci, ainsi que leurs conséquences, sont au cœur de la mécanique de l’expérience de pensée.

Autre point essentiel pour avoir affaire à une expérience de pensée : le scénario. Celui-ci, avec les contraintes scénaristiques qui en découlent, doit s’inscrire dans un contexte argumentatif. En cela, l’expérience de pensée se distingue du simple raisonnement mathématique : “Quand Newton demande quelle serait la trajectoire des planètes si la loi d’attraction universelle n’était pas inversement proportionnelle au carré de la distance, prend comme exemple Sophie Roux, ce n’est pas une expérience de pensée, précisément parce qu’il n’y a pas de scénario avec des détails concrets, mais qu’il s’agit simplement de suivre les conséquences d’une hypothèse en mathématiques“. Qui plus est, la façon dont ce scénario est présenté peut influencer nos réponses. Ruwen Ogien, toujours dans L’Influence de l’odeur des croissants…, donnait l’exemple augural suivant :

“Imaginons qu’une épidémie menace la vie de 600 personnes. Le ministère de la Santé propose deux programmes : 
 1) 200 personnes sauvées au pire, tout le monde sauvé au mieux
 2) 400 personnes meurent au pire, personne ne meurt au mieux.”

Devant ce choix, on a tendance à opter pour le premier programme… alors qu’il équivaut au premier. Aussi le but de la philosophie morale expérimentale, en se servant de ce type de scénarios, est de comprendre comment se forment nos idées et croyances morales et, partant, “de savoir si le fait qu’elles ont telles ou telles causes [sociales, psychologiques…], ne leur interdit pas d’être justes.”

  • Une bonne dose de contexte argumentatif

Reste un dernier ingrédient : les expériences de pensée en philosophie sont élaborées “avec une intention cognitive déterminée dans un contexte argumentatif“, insiste la philosophe. Cela signifie qu’il s’agit d’une forme d’argumentation à part entière, mais que ce n’est pas un argument. Quand on lit une expérience de pensée, on ne discute pas de sa validité comme on le ferait d’un argument, mais on cherche à comprendre ce qu’elle veut dire, où l’expérimentateur veut en venir avec cette histoire. Notre histoire de canot d’infortune, dont un passager doit être sacrifié pour la survie du reste du groupe, pourrait tout à fait se trouver dans un roman d’aventures, mais il s’agirait alors d’une simple scène dans le récit. Dans un essai philosophique, elle s’inscrit dans le cadre d’une réflexion sur l’éthique animale – en l’occurrence celle du professeur de philosophie morale Tom Regan, théoricien du droit des animaux.

Ces trois conditions réunies nous permettent ainsi de distinguer les expériences de pensée de ce qu’elles ne sont pas. Enlevez par exemple le contexte argumentatif de l’équation, et nous sommes plutôt face à une fiction littéraire ; retirez le scénario, et nous avons affaire à l’énoncé d’une hypothèse comme on en trouve dans les raisonnements mathématiques…

Une expérience de pensée, à quoi ça sert ?

Maintenant que l’on a déterminé les ingrédients de ce genre de dilemmes philosophiques, on peut s’interroger sur leur finalité. Les philosophes se sont-ils mis à écrire des “Tu préfères” parce qu’ils en avaient marre de passer pour des auteurs ennuyeux ? Comment ces expériences de pensée, sans s’appuyer sur des données empiriques ou nouvelles comme le font les expériences scientifiques ordinaires, peuvent-elles accroître nos connaissances ? C’est tout le paradoxe de ces casse-tête philosophiques, relève Margherita Arcangeli, maîtresse de conférence à l’EHESS, dans un article de l’Encyclopédie philosophique. Les expériences de pensées philosophiques ne peuvent utiliser que “d’anciennes données empiriques, emmagasinées dans l’esprit de l’expérimentateur de pensée“. Elles seraient pourtant capables d’expliciter des connaissances inarticulées : “L’idée est que cette connaissance est en quelque sorte emmagasinée dans la mémoire et ré-élaborée vraisemblablement par l’imagination quand nous conduisons des expériences de pensée .”




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Intuitions morales : choisis ton camp

Ces fables peuvent ainsi fonctionner comme des révélateurs de nos intuitions, en particulier dans le cadre des théories morales. Elles permettent, par exemple, de se positionner sur les grands courants du champ. Selon que vous faites le choix A, B, ou C (ou que vous jetiez ou non le chien par-dessus bord !), vous serez plutôt :

  • Partisan du déontologisme. Pour vous, nos actions sont contraintes : il y a bien des choses qu’on ne devrait jamais faire, comme le fait de mentir. La théorie du déontologisme s’inspire de la morale kantienne et de ses célèbres impératifs catégoriques (à l’inverse de l’impératif dit hypothétique, qui prend la forme “si le bien est ceci, je dois faire cela pour l’atteindre”, l’impératif catégorique renverse la donne : il ne faut pas penser la morale depuis le bien, mais penser le bien depuis l’exigence morale, laquelle prend la forme d’une loi universelle et nécessaire).
  • Fervent conséquentialiste. Pour vous, pas question de respecter ces contraintes tête baissée (ou sans les mains, si l’on suit le bon mot de Charles Péguy : “Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains“). Vous évaluez moralement l’action de quelqu’un non pas en fonction de son intention de son auteur, mais des conséquences concrètes de ses actes. Les conséquentialistes les plus connus sont certainement les utilitaristes : pour eux, et selon la formule de l’utilitarisme John Stuart Mill, “les actions sont bonnes ou mauvaises dans la mesure où elles tendent à accroître le bonheur, ou à produire le contraire du bonheur“. En bref, nos choix doivent être guidés par l’ambition de contribuer au maximum au bonheur de l’humanité.
  • Adepte de l’éthique des vertus. Pour vous, ce qui importe moralement, c’est la perfection personnelle, agir comme quelqu’un de bien, suivant des vertus généralement reconnues comme propices à une vie bonne (l’honnêteté, la sympathie, la prudence, le courage…). Aussi l’éthique des vertus place-t-elle la morale du côté du souci de soi.




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Bien sûr, des limites apparaissent d’emblée dans ces positions : on voudrait disqualifier la rigidité du déontologisme à la sauce kantienne en évoquant les situations de “légitime mensonge” (pour protéger un innocent face à un meurtrier, par exemple) ; certains d’entre nous n’envisageraient même pas l’idée de sacrifier une vie humaine pour en sauver un grand nombre d’autres ; enfin, dans le cadre de l’éthique des vertus, on pourrait avoir du mal à s’accorder sur les critères d’exemplarité à suivre, ou même, à considérer comme moralement équivalent le souci de soi et celui des autres.

Mais peu importe, car dans le fond, le but des expériences de pensée dans lesquelles ces différentes postures éthiques peuvent se révéler, n’est pas de choisir le meilleur camp. Pour présenter votre théorie morale, avant de se lancer dans la rédaction d’une “histoire dont vous êtes le héros” dans laquelle vous auriez par exemple le choix de mentir ou non à un meurtrier qui vous demande où est caché votre voisin, il faut avoir conscience des limites de l’entreprise ! Deux théories opposées peuvent inspirer les mêmes intuitions par exemple, ça ne suffit donc pas pour en disqualifier une par rapport à l’autre. Pour autant, il ne faut pas rejeter comme inutiles les expériences de pensée en philosophie morale. Comme l’écrit Ruwen Ogien :

Les limites épistémologiques de l’appel aux intuitions devraient plutôt nous ouvrir au pluralisme, c’est-à-dire à l’idée qu’il existe plusieurs conceptions morales d’ensemble aussi raisonnables, dont la confrontation permanente n’a pas que des inconvénients. L’aspect positif de cette confrontation est qu’elle nous empêche de tomber dans le simplisme moral.”

Surtout, elles permettent d’affronter plus facilement les grands débats moraux et leurs concepts-qui font-peur comme la vertu ou le devoir… Pour expliciter ces orientations, mais également illustrer leur complexité, mettons notre sujet en application, avec l’exemple par excellence des expériences de pensée de la philosophie éthique : le dilemme du tramway.




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Le tramway fou… 🚋

C’est un tel classique de la littérature philosophique anglo-saxonne, il a inspiré tant de déclinaisons, qu’il engendrerait presque sa propre discipline dédiée : la tramwayologie. En 1967, la philosophe Philippa Foot propose l’expérience du tramway dans un article intitulé “Le problème de l’avortement et la doctrine de l’acte à double effet”. Voici la situation :

Le conducteur d’un tramway s’aperçoit que ses freins ont lâché alors qu’il roule à toute allure. Devant lui, cinq traminots font des travaux sur la voie. Si l’engin continue sa course folle, ils seront écrasés. Par chance, il est possible de bifurquer sur une voie secondaire. Si le conducteur dévie, il sauvera alors les cinq réparateurs… mais il tuera un autre traminot qui se trouve malheureusement sur cette seconde voie. A sa place, choisissez-vous de ne pas intervenir et de laisser cinq personnes se faire écraser ou détournez-vous le tramway pour sacrifier une personne au lieu des cinq autres ?

Pour la philosophe, l’idée était d’opposer le dilemme du conducteur de l’engin assassin aux cas où l’on se demande s’il est moralement permis de condamner une personne pour en sauver plusieurs. Pourquoi, par exemple, avons-nous l’intuition qu’il est plus autorisé pour le conducteur de manœuvrer de façon à tuer une personne au lieu de cinq, que pour un chirurgien de tuer une personne en bonne santé pour transplanter ses organes sur cinq malades ?

La philosophe américaine Judith Jarvis Thomson a proposé un tas de variantes du dilemme, afin de faire avancer la réflexion sur ces intuitions morales, ou jugements spontanés, qui guident nos actions. Parmi elles, celle du témoin qui, dans le cadre du scénario précédemment décrit, voit le conducteur s’évanouir et peut à sa place actionner un levier d’aiguillage pour dévier la trajectoire de l’engin sur la seconde voie. Et celle du témoin sur un pont au-dessus des rails, qui a la possibilité pousser un gros homme proche de vous sur la voie en contrebas pour arrêter le train. Judith Jarvis Thomson rapporte que la plupart des gens à qui ont été présentés les deux scénarios, estimaient qu’il était moralement permis d’actionner le levier, mais pas de faire tomber le gros homme sur la voie…

Un cas d'”asymétrie morale” qui continue d’obséder les penseurs. Pour Philippa Foot, ces variations révèlent que nos intuitions saisissent d’emblée le problème de droits qui se pose dans ces cas-là, même lorsque les conséquences sont identiques.




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Et avec de l’alcool, ça donne quoi ?

Il faut croire que l’expérience de pensée sur laquelle des générations d’éthiciens ont glosé a amusé les psychologues. Un demi-siècle après le texte de Philippa Foot, une équipe de chercheurs en psychologie dirigée par Marc Hauser réalisait la plus grande enquête sur le dilemme du tramway et ses déclinaisons : 2 600 personnes de divers âges, milieux sociaux et nationalités y avaient participé… En 2013, le psychologue Laurent Bègue s’est quant à lui rendu dans les bars de Grenoble pour leur soumettre le fameux dilemme version témoin du drame, suivant deux options : “ne rien faire et laisser mourir les cinq personnes” ou “provoquer volontairement la mort de quelqu’un afin d’épargner les autres” en actionnant le levier d’aiguillage. Résultat : les personnes sobres ont eu tendance à choisir la première, refusant d’être “responsable” d’un décès, tandis que les personnes alcoolisées optaient plutôt pour le second ! L’alcool rendrait-il plus utilitariste ?

Et si on posait la question uniquement à des philosophes ?

Voilà un panel averti. L’an dernier, 785 philosophes (majoritairement des hommes, anglo-saxons et de tradition analytique) ont répondu à un questionnaire publié sur la plateforme Philpapers, au sujet de leur vision du bonheur, de la vérité ou de la justice… S’est glissé dans le sondage le fameux dilemme du tramway. Environ 62 % ont choisi de pousser le levier afin de sauver cinq personnes, quitte à provoquer la mort d’une autre ; 13 % ont préféré laisser mourir cinq personnes plutôt que d’être directement responsable de la mort d’une seule ; 25 % ont répondu autrement, se montrant “indécis”, ou estimant que “la question n’était pas assez claire” !




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Plus ou moins farfelues, les déclinaisons à l’envi de cette expérience de pensée prouvent, s’il en était besoin, que nos jugements moraux n’obéissent pas une logique simple. Tiraillées entre nos émotions, nos injonctions et notre raison, nos décisions en termes d’éthique prennent facilement la forme d’un dilemme. Voulez-vous tester vos propres jugements moraux ? Neal Agarwal, un développeur web américain, a créé un “jeu” à différents niveaux dans lequel les variantes du dilemme du tramway prennent un tour toujours plus absurde – y semant d’autres thématiques éthiques comme la question du consentement ou de la sentience animale… En voici quelques exemples :

"Absurd trolley problems"
“Absurd trolley problems”

– Neal Agarwal

Oh non ! Un tramway se dirige tout droit vers cinq homards. Vous pouvez activer le levier pour le rediriger sur l’autre voie, et écraser un chat à la place. Que faites-vous ?”

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"Absurd trolley problems"
“Absurd trolley problems”

© Radio France
– Neal Agarwal

Oh non ! Un tramway se dirige tout droit vers cinq personnes qui se sont elles-mêmes attachées aux rails. Vous pouvez activer le levier pour le rediriger sur l’autre voie, et écraser une personne qui est accidentellement tombée sur la voie. Que faites-vous ?”




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Mais sortons, pour finir, de notre tramway de malheur, et citons brièvement d’autres expériences de pensée, qui nous permettent d’aborder d’autres problématiques :

  • Qu’est-ce qui fonde notre identité ? 👬

Imaginez qu’une machine vous permette de copier toutes les particules qui vous composent et de les reconstituer, à l’identique. Grâce à cette technique, un scientifique génial vous téléporte sur une autre planète… mais il a oublié de supprimer la version originale restée sur terre. Il existe désormais deux “vous” dans l’univers, absolument similaires. Qui est le vrai “vous” ? Qui suis-je si toutes mes cellules ont été reconstruites à l’identique ou si tous mes organes ont été remplacés ?

Ce scénario renvoie à une expérience de pensée du philosophe britannique Derek Parfit dans Reasons and Persons (1984) qui, elle-même, évoque la légende du bateau de Thésée. L’histoire d’un bateau dont les planches usées ont été remplacées au fur et à mesure… si bien qu’à la fin, le navire ne contenait plus aucun élément originel. Le bateau est-il resté le même ou s’agit-il d’une embarcation différente ? Les philosophes n’étaient pas d’accord.

Derrière cette révision de la fable antique façon science-fiction, se pose la question des implications éthiques des nouvelles possibilités techniques. Si l’on peut remplacer nos organes par d’autres, naturels ou artificiels, par greffe ou prothèse, la question de ce qui fonde notre identité se pose de façon inédite. Le corps est-il le support de l’identité et de la responsabilité personnelle ? La question paraît abstraite, mais elle sourd à travers certains “débats de société” sur la marchandisation du corps et de ses fonctions, comme la rémunération du travail du sexe ou des dons d’organes, par exemple.




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  • Est-on libre si tout est écrit d’avance ? 🔮

Imaginez que l’on soit capable, d’ici un siècle, de créer un ordinateur surpuissant, capable de déduire l’avenir d’après les connaissances parfaites qu’il a du monde. Le 22 janvier 2150, il parvient à prédire, 20 ans avant la naissance de Paul, que le 23 juillet 2195, à 18 heures, celui-ci va braquer une banque. La prédiction s’avère correcte. Pensez-vous que Paul agit librement en commettant ce crime ?

Variante n° 1 : la machine prédit que Paul va sauver un enfant de la noyade, le 23 juillet 2195, à 18 heures. 
Variante n° 2 : l’ordinateur prédit que Paul va faire de la natation à la piscine qui se trouve en bas de chez lui, le 23 juillet 2195, à 18 heures.

Ruwen Ogien, toujours dans L’Influence de l’odeur des croissants…, rapporte que le scénario a été soumis à des étudiants. 76 % ont estimé que Paul agissait librement. On aurait en effet davantage tendance à juger une personne responsable de ses actes lorsque ceux-ci sont immoraux. Mais face aux deux autres versions évoquant des actions bonnes ou anodines, les réponses étaient également plutôt positives… Derrière cette histoire, il y a une question qui occupe depuis longtemps les philosophes : peut-on concilier ce que nous savons des comportements humains soumis à des forces qui leur échappent et notre tendance à les juger comme s’ils étaient spontanément libres et responsables de leurs actes ? Voilà comment, à partir de petits dilemmes dans lesquels on est amené à se positionner, on peut aborder de grands concepts comme le déterminisme et la liberté.

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Faut-il sacrifier le chien ? Les expériences de pensée ou la philosophie dont vous êtes le héros

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