ENQUÊTE. Comment le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, est devenu le nouveau Donald Trump

Quand son équipe de campagne de réélection a vu que le film Top Gun – Maverick, viril et nostalgique à souhait, partait vers des records de recettes, elle lui a proposé un nouveau tee-shirt à vendre sur sa boutique en ligne. En pochoir noir et blanc avec des lunettes d’aviateur, Ron DeSantis se proclame « Top Governor » d’une Floride devenue « zone libre de l’Amérique ». Comme si le reste était devenu territoire occupé par l’ennemi. Mais lorsque Fox News lui a demandé lundi dernier pourquoi il ne se déclarait toujours pas candidat pour 2024, le patron du troisième État le plus peuplé du pays a préféré botter en touche. Chaque chose en son temps.

« DeSantis président ? » Cette une du magazine Newsweek au début du mois est venue prévenir les Américains que le républicain Ron DeSantis, 44 ans en septembre prochain, est pourtant déjà en campagne pour la prochaine élection présidentielle. Au même moment, l’hebdomadaire Time faisait du gouverneur de Floride l’une des cent personnalités les plus influentes du monde, avec ce commentaire de l’un de ses prédécesseurs à la tête du Sunshine State, Jeb Bush : « Bien que le microcosme de la capitale américaine n’aime pas son style, son bilan finira par devenir un héritage. »

Il y a quinze jours, lors de la conférence des conservateurs de l’Ouest américain organisée à Lakewood près de Denver (Colorado), Ron DeSantis est arrivé en tête dans un sondage d’intentions de vote auprès des participants. À la question « Qui souhaitez-vous voir devenir le candidat des républicains en 2024 ? », le gouverneur de Floride a obtenu 71 % des voix. Deuxième, à 2,5 points derrière, l’ex-président Donald Trump
. Deux semaines plus tôt, lors d’une autre convention républicaine dans le Wisconsin, les 141 activistes conservateurs plaçaient DeSantis à 38 % contre 32 % pour Trump, dans le cas où les deux hommes participeraient à une ­élection primaire pour les départager. Autrement dit, loin de sa Floride, ce jeune républicain séduit son camp, aussi bien dans le Midwest que dans le Far West. Une montée en puissance qui agacerait beaucoup l’ancien président, lui qui avait donné sa bénédiction à la candidature de DeSantis pour devenir gouverneur il y a quatre ans et qui avait choisi la Floride pour abriter sa retraite active de parrain de la droite américaine. « DeSantis, c’est le mini-Trump par excellence », nous dit Bill Schneider, un vétéran du commentaire politique qui a longtemps officié sur CNN, aujourd’hui éditorialiste à The Hill, la bible du Tout-Washington pour décrypter ce qui se trame sur la colline du Capitole.

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Provocateur sur le Covid-19

Enfant de la cinquième génération d’une famille d’immigrés italiens, Ron DeSantis est né à ­Jacksonville, la grande ville militaire du nord-est de la Floride. Son père était un installateur de boîtiers de mesure d’audience sur les téléviseurs et sa mère une infirmière. Une famille de la classe moyenne qui déménage souvent à l’intérieur de cette Floride mosaïque où se côtoient toutes les diversités. De Jacksonville, les DeSantis émigrent à Orlando, le cœur de la Floride profonde et pauvre sous les paillettes du monde magique de Disney. Puis à Dunedin, à l’ouest de Tampa, sur les rives du golfe du Mexique.

École catholique, ligue junior de baseball, bonnes études, suffisamment en tout cas pour être admis à Yale afin d’y étudier l’histoire. Ron DeSantis y intègre la fraternité estudiantine Delta Kappa ­Epsilon, celle qui a fourni au pays de grands présidents comme Franklin Roosevelt ou George H.W. Bush. Comme tout étudiant qui ne roule pas sur l’or, il travaille pour payer une partie de ses études : électricien, moniteur de sport, prof d’histoire.

De Yale, il passe à Harvard – la voie royale, en somme. Il en profite pour rejoindre l’armée. Recruté au grade d’officier dans la marine en tant qu’auxiliaire de la justice militaire, il sert sur la base navale de Mayport, en ­Floride, avant de rejoindre Guantánamo, qui connaît alors son pic d’activité face aux prisonniers de la « guerre contre le terrorisme ». Puis, le lieutenant DeSantis fait un détour par les commandos de marine, les fameux Seals. Ce qui l’emmène en Irak, où il sera également conseiller juridique du commandant des forces spéciales à Falloujah. Un parcours de héros ? Pas vraiment. Il n’était pas en première ligne et n’a pas été blessé au combat ; mais les médailles récoltées pendant ces huit années attestent de son expérience et l’aideront à séduire l’électorat de sa circonscription en Floride centrale.

Son ascension rapide, avec trois mandats de deux ans au Congrès suivis d’une bataille gagnée de justesse en 2018 pour diriger cet État de 21 ­millions d’habitants, le fait remarquer à Washington. « S’il casse la baraque, explique au JDD John Zogby, l’un des plus célèbres sondeurs américains, c’est d’abord parce que, pendant la pandémie de Covid-19, il a défié le gouvernement fédéral. Tout comme Trump, il a décrié le principe de précaution mis en œuvre par les démocrates et les experts en santé publique tel le Dr Fauci. »

S’il casse la baraque c’est d’abord parce que, pendant la pandémie de Covid-19, il a défié le gouvernement fédéral

Et quelle défiance ! En 2020, Joe Biden est une cible facile pour de jeunes conservateurs qui ne supportent plus un centrisme mou qu’ils assimilent à du gauchisme. Relativement discipliné sous la présidence Trump au moment où éclate la pandémie de Covid-19, DeSantis va ouvertement provoquer l’administration Biden en décrétant le contraire de ce que réclame Washington pour prévenir la contagion. Le confinement ? Pas question. Le masque ? « Arrêtez avec ce cirque, c’est n’importe quoi », a-t-il encore lâché récemment à des étudiants masqués qui l’accueillaient lors d’un événement public. Dès décembre 2020, Ron DeSantis a rouvert la Floride en totalité, y compris les bars et restaurants, tout en interdisant aux maires des villes floridiennes de verbaliser ceux qui bravaient la consigne fédérale du port du masque. Six mois plus tard, l’épidémie était revenue à toute vitesse, avec des records de cas, jusqu’à 20 % de tous ceux enregistrés aux États-Unis.

La vaccination ? Idem. DeSantis n’a rien fait pour la promouvoir ou l’accélérer alors que Joe Biden en avait fait l’arme absolue de la reprise économique. Le gouverneur n’a jamais dit s’il s’était fait vacciner ou pas et, si oui, avec quel vaccin, ce qui aurait pu encourager bien des récalcitrants. Même Donald Trump avait à l’époque qualifié ce comportement de « lâche ».

Avec 75 000 morts du Covid, le taux de mortalité en Floride atteint presque le double de celui de la Californie sous gouvernance démocrate. ­DeSantis est devenu la bête noire de l’administration Biden tandis qu’il est raillé dans les talk-shows du soir. Mais lui maintient le cap, et sa politique d’une Floride ouverte au business et aux touristes finit par convaincre. L’activité économique est repartie plus vite qu’ailleurs et le taux de chômage est au plus bas, même s’il reste dans la moyenne du pays. La défiance et la prise de risque seraient-elles payantes ? En septembre dernier, il a choisi de nommer un nouveau directeur des services de santé, Joseph Ladapo, un médecin qui ne cache pas son scepticisme sur l’efficacité des vaccins et l’utilité du port du masque. « Cette politique lui a permis de devenir un héros de la droite au point de rendre Donald Trump inquiet », souligne John Zogby. Pas seulement parce qu’il s’oppose à la gestion de la crise par Joe Biden mais parce qu’il surenchérit sur les valeurs de liberté et de responsabilité individuelle, deux thèmes au cœur du message des conservateurs libertaires et du Tea Party trumpiste.

Bras de fer avec Disney

« C’est quelqu’un de très intelligent, un fort en thème capable d’être tout à fait charmant en société mais dont vous percevez assez vite qu’il cache un redoutable calculateur, observe l’ancien ambassadeur de France aux États-Unis Gérard Araud. De ce point de vue, sa loi sur l’interdiction de parler de sexualité dans les salles de classe avant l’âge de 10 ans est un coup de génie. » Cette loi 1557, adoptée en mars dernier, a été dénommée par le gouverneur « Droits des parents dans l’éducation » et par ses détracteurs « Ne dites pas le mot homo ». Le texte stipule qu’aucun acteur du monde éducatif ne doit évoquer en classe ce qui a trait à l’orientation sexuelle ou à l’identité du genre, du jardin d’enfants jusqu’à l’équivalent du CE2, ou « de façon inappropriée en fonction de l’âge des enfants ». Un « coup de génie » ? « Oui, parce que cela a obligé les démocrates à s’engouffrer dans ce débat en mode défensif, en passant pour des promoteurs de la liberté de parler de sexualité avec des enfants à l’école primaire », répond Gérard Araud. Déjà, en novembre dernier, le candidat républicain pour le poste de gouverneur en Virginie, loin d’être un trumpiste réac, avait fait campagne sur la nécessité de protéger les enfants dans les écoles, collèges et lycées de tout enseignement « de gauche » qui les ferait douter de leur identité sexuelle ou culpabiliser sur l’histoire de leurs ancêtres face au génocide des Indiens ou à l’esclavage des Noirs. Ron DeSantis avait vu dans cette victoire de Glenn Youngkin en Virginie face à Terry McAuliffe, un baron bien ancré du Parti démocrate, proche des Clinton et de Barack Obama, le signe que la « guerre culturelle » n’était pas morte aux États-Unis et qu’elle ne demandait qu’à s’exacerber.

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Comment DeSantis s’en est-il sorti lorsque l’empire Disney, champion de l’industrie du divertissement et premier employeur de Floride, a cru bon de s’offusquer de cette loi sur la protection de la jeunesse en promettant de la combattre devant les tribunaux ? En contre-attaquant ! Le gouverneur a décidé, avec succès, de faire voter un autre texte supprimant les exemptions fiscales et le statut juridique taillés sur mesure pour Disney par l’État de Floride en 1967. Pour le gouverneur, Disney n’est plus le promoteur des « valeurs familiales » mais un géant de la culture « gauchiste » depuis que ses héros et héroïnes changent de couleur de peau ou de genre pour satisfaire une dictature du politiquement correct.

Un imposant trésor de guerre 

« DeSantis joue en permanence avec le feu, il sait rebondir sur la colère populaire, sur les questions identitaires mais sans jamais franchir la ligne rouge qui le ferait chuter dans les sondages auprès des électeurs de droite, souligne Gérard Araud. C’est un stratège qui a identifié les erreurs de Trump afin de ne pas les commettre à son tour, notamment auprès des femmes que Biden a su convaincre en 2020 et qui jouent un rôle décisif dans les urnes. » Pour l’appuyer dans cette stratégie, DeSantis peut compter sur un personnage discret de sa galaxie : son épouse, Casey. Cette ancienne journaliste locale de 41 ans, épousée il y a douze ans, est devenue, en tant que première dame de Floride, une conseillère de l’ombre qui veille à cultiver des liens avec la communauté afro-américaine. Elle a annoncé en mars dernier qu’elle était en rémission d’un cancer du sein diagnostiqué en octobre de l’an passé et que son mari lui avait « tenu la main lors de chacune de [s]es séances de chimiothérapie ». C’est avec ce genre de détails rendus publics que la cote de popularité du gouverneur ne faiblit pas.

Sauf erreur de parcours ou coup de théâtre, Ron DeSantis devrait logiquement être réélu gouverneur en novembre. Pour se lancer aussitôt dans la campagne présidentielle de 2024 ? La question se pose avec autant d’anxiété dans le camp républicain que chez les démocrates. D’autant que, selon une enquête du Washington Post, DeSantis a déjà accumulé un trésor de guerre auprès de ses donateurs de plus de 100 millions de dollars, bien plus qu’il n’en faut pour se faire réélire gouverneur.

Encore faudra-t-il que les astres s’alignent. « Si Trump se présente pour 2024, il n’y aura pas de place pour DeSantis, Trump n’en fera qu’une bouchée comme avec tous ses rivaux, prédit Bill Schneider, qui avait été l’un des rares dans sa profession à prévoir une victoire du milliardaire populiste en 2016 contre Hillary Clinton. Les électeurs de Trump ne sont pas à la recherche d’un nouveau “maverick”, un nouveau franc-tireur. Ils préfèrent l’original à la copie. Mais si, pour une raison ou pour une autre, Trump décidait de ne pas y aller, alors, oui, DeSantis pourrait se présenter comme son successeur légitime et avec sa bénédiction. » Pour l’analyste politique, DeSantis est bien plus légitime aux yeux de Trump que son ex-vice-président, Mike Pence, très apprécié pourtant des conservateurs traditionalistes et religieux. L’ancien président continue de voir en Pence un traître pour avoir certifié les résultats victorieux de Biden au sein du collège électoral, le 6 janvier 2021, après la présidentielle houleuse de 2020.

 

 Les électeurs de Trump ne sont pas à la recherche d’un nouveau “maverick”, un nouveau franc-tireur. Ils préfèrent l’original à la copie

« Je ne doute pas que DeSantis sera candidat en 2024, car en politique la fortune sourit aux ­audacieux », estime pour sa part Kyle Kondik, directeur exécutif de Sabato’s Crystal Ball, une lettre d’information publiée par les experts électoraux du centre d’études politiques de ­l’université de Virginie. « DeSantis pense que Trump a suffisamment de handicaps pour pouvoir le battre et il se lancera quel que soit le cas de figure ; si en revanche Trump décide de ne pas y aller, la liste des candidats sera fournie, prévient Kondik. DeSantis sera le favori au début, mais ces campagnes sont longues et brutales et il arrive parfois que le favori chute avant même que les électeurs aient commencé à voter. »

Dans la course à droite, qui a déjà commencé, les prétendants ne manquent pas. À commencer par l’ex-vice-­président Mike Pence. « Lui aussi est candidat pour 2024, indique John Zogby. C’est un vrai conservateur, mais pas un populiste. Nikki Haley, ancienne gouverneure de Caroline du Sud et ex-­ambassadrice des États-Unis, séduit la droite américaine et pense pouvoir faire mieux auprès des femmes et des minorités. L’ancien chef de la diplomatie, Mike Pompeo se prépare, lui aussi, cela se voit à sa perte de poids. Mais pour tous ces candidats, il va falloir attendre que Trump se décide, et Trump adore les faire patienter. »

À entendre ces noms tirés du répertoire du Parti républicain, largement favori pour gagner les élections de mi-mandat au Congrès en novembre, force est de constater que l’aile modérée des conservateurs n’est plus en mesure de présenter une personnalité qui fasse consensus, qui réconcilie l’héritage du reaganisme avec une dose d’isolationnisme trumpiste. « Beaucoup de nos partenaires dans le monde anticipent déjà la victoire de Trump ou de l’un de ses clones en 2024, confie une source européenne haut placée en contact régulier avec l’administration Biden. Et nous avons du mal à admettre que cela peut tout changer. » Allusion à Poutine et à sa guerre en Ukraine, à l’Iran dans son bras de fer nucléaire, à la Turquie néo-impériale d’Erdogan, à l’avenir incertain de l’autonomie stratégique européenne. En matière de politique étrangère, DeSantis a toujours veillé, élu au Congrès ou gouverneur, à rester dans les canons de la diplomatie transactionnelle de Trump. S’il est candidat pour 2024 et parvient à l’emporter dans son propre camp puis face à Joe Biden, le reste du monde aura intérêt à rester solidement accroché. Le chamboule-tout n’est pas qu’une attraction du Disneyworld d’Orlando. 

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