Digitalisation: le Luxembourg à la hauteur de ses ambitions?

Si digitaliser n’est pas une fin en soi, c’est bien une condition nécessaire au progrès technologique et sociétal, à l’innovation et aux gains d’efficience, tant pour l’État que pour les citoyens et entreprises. Tout le monde a-t-il pris ce virage technologique? C’est notamment pour répondre à cette question que la Chambre de commerce a lancé en 2019 un groupe de travail dédié à cette thématique, afin d’évaluer les forces, mais également les faiblesses, du Luxembourg, dont l’ambition est de devenir une «Digital Nation». Cet article en résume certaines conclusions et recommandations.

L’impact de la crise sur les finances publiques peut être freiné par une exploitation optimisée et systématique de la digitalisation au sein du secteur public.

 Carlo Thelen,&nbsp
CEO,&nbsp
Chambre de commerce

Dès 2014, le gouvernement a lancé Digital Letzebuerg afin de réunir les acteurs publics, privés et académiques pour amorcer la transformation digitale de l’écosystème luxembourgeois. Puis, l’accord de coalition n’a fait que confirmer ce désir d’implanter le numérique dans de nombreux pans de l’économie, comme le secteur de la santé, de digitaliser les procédures administratives, d’attirer des entreprises innovantes dans le domaine ou encore de faciliter la transition digitale des entreprises.

Quatre ans après la création d’un ministère de la Digitalisation et un peu plus de deux ans après l’éclatement de la crise sanitaire qui a souvent été qualifiée de formidable accélérateur de la transition numérique, le Luxembourg est-il à la hauteur de ses ambitions? Cette question est d’autant plus pertinente que les effets négatifs de la crise de l’offre actuelle (qui a déclenché une inflation sans précédent en Europe) peuvent être limités à travers des solutions technologiques et des innovations tirées par la digitalisation. Ainsi, la hausse spectaculaire et généralisée des prix et des coûts de production et de prestation de services peut être atténuée, du moins partiellement, par une optimisation des allocations des ressources et des processus de production. L’impact de la crise sur les finances publiques peut être freiné par une exploitation optimisée et systématique de la digitalisation au sein du secteur public, où elle peut être source d’économies et de gains d’efficience substantiels.

À la recherche d’une vision à long terme

Selon la Commission européenne, le Luxembourg se positionne à la troisième place dans le classement 2022 du «eGovernment Benchmark», qui compare la maturité en matière de services publics numériques de 35 pays. Le Luxembourg s’améliore dans cette analyse par rapport à 2021 (+2 places) et par rapport à 2020 (+8 places), ce dont il faut se féliciter.

Selon le «Digital Economy and Society Index» (DESI), le Luxembourg se positionne à la huitième place en 2022
. Notre pays apparait comme un bon élève en matière de connectivité (haut débit, couverture 4G et 5G) et de compétences du capital humain (compétences numériques de base, spécialistes en informatique), il pêche encore concernant l’intégration de la technologie numérique dans les entreprises et dans les services publics, et ce malgré l’existence de nombreuses initiatives.

Les bénéfices économiques d’une digitalisation accrue du secteur public seraient loin d’être anecdotiques que ce soit en termes d’efficience, de productivité, et donc d’allocation des ressources humaines, sujet majeur s’il faut le rappeler.

 Carlo Thelen

 Carlo Thelen,&nbsp
CEO,&nbsp
Chambre de commerce

Au niveau du secteur public, ce qui semble manquer est une réelle stratégie de long terme entourant sa digitalisation et permettant notamment de faire le lien entre l’ensemble des projets concernés par la démarche et qui sont pour le moins clairsemés. Or, selon une récente étude élaborée par le groupe de travail ad hoc de la Chambre de commerce, les bénéfices économiques d’une digitalisation accrue du secteur public seraient loin d’être anecdotiques, que ce soit en termes d’efficience, de productivité, et donc d’allocation des ressources humaines, sujet majeur s’il faut le rappeler.

Depuis déjà quelques années, de plus en plus de ressources sont drainées vers le secteur public. Face au manque aigu de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs et à tous les niveaux, notamment dans les activités liées à l’implémentation de la digitalisation, de nombreux chefs d’entreprises critiquent ouvertement une sorte de concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises du secteur privé, du fait de salaires d’entrée dans la fonction publique sensiblement plus élevés par rapport au niveau des salaires pouvant être versés sur le marché concurrentiel.

La croissance de l’effectif du secteur public est plus rapide que celle de la population active, faisant passer la part dans celle-ci de 16,5% en 1995 à 21,1% en 2020, ce qui constitue en valeur absolue une hausse de presque 100.000 salariés. À ce rythme, en se basant sur l’évolution démographique actuelle, le vieillissement de la population et les départs en retraite à compenser, selon nos estimations, le secteur public devrait compter pas moins de 130.000 salariés en 2030. Rien que pour 2021, près de 4.500 personnes devaient être recrutées pour compenser les besoins, soit 80% d’une classe d’âge au Luxembourg. À politique inchangée, la masse salariale du secteur public passerait donc de 8,1 milliards d’euros en 2020, à 14,2 milliards d’euros en 2030 selon les hypothèses de cette analyse.

Digitaliser plus systématiquement pour optimiser les ressources

Cette hausse des ressources humaines et monétaires allouées au secteur public n’est toutefois pas une fatalité à en croire le potentiel d’automatisation des activités des différents secteurs: 37% dans les administrations publiques, 26% dans l’éducation et 36% dans le domaine social et sanitaire. Ce potentiel peut être atteint grâce à la réorganisation des tâches (simplification des procédures, respect du principe «only once», facturation électronique…) et au non-remplacement de certains départs en retraite à moyen et long termes, raison pour laquelle l’optimisation ne pourra pas se matérialiser à court terme, et que l’horizon 2030 a été choisi pour cette analyse. En outre, une estimation prudente de gains de productivité de 25% a été retenue.

Cette situation optimisée permettrait de stabiliser le nombre de salariés du secteur public à environ 100.000 personnes à l’horizon 2030, soit 30.000 de moins que dans le cas «business as usual». Le gain monétaire serait substantiel et augmenterait proportionnellement à la digitalisation croissante des services publics, qui ainsi s’autofinancerait. En 2030, les gains cumulés résultant de l’optimisation pourraient atteindre 11 milliards d’euros en termes de masse salariale.

Bien sûr, des investissements importants sont une des conditions sine qua non de l’émergence de cette situation optimisée. Or, cette voie ne semble pas encore être privilégiée, au vu des montants budgétaires relativement faibles alloués, notamment au ministère de la Digitalisation, selon l’analyse du budget de l’État pour 2022.

La Chambre de commerce voit également dans la constitution d’une Medical Valley au Luxembourg une opportunité immense de diversifier l’économie du pays et de montrer l’exemple à d’autres secteurs.

 Carlo Thelen

 Carlo Thelen,&nbsp
 CEO,&nbsp
 Chambre de commerce

Cela est d’autant plus dommageable que la digitalisation du secteur public rayonnerait directement sur les entreprises. Grâce à de meilleures interactions avec l’administration, des procédures administratives simplifiées ou encore une information claire et rapide sur l’état d’avancement des dossiers, les entreprises gagneraient un temps précieux et un plus grand nombre de PME optimiseraient à leur tour leurs procédures. Plus de 60% des entreprises interrogées dans le cadre de l’enquête semestrielle du Baromètre de l’Économie (réalisée en mai 2022 par la Chambre de commerce) estiment en effet que compléter les démarches administratives leur prend encore trop de temps.

Un exemple de bonne pratique sur le sol français…

L’Observatoire français de la qualité des démarches en ligne apparait comme un exemple à suivre, duquel le Luxembourg pourrait utilement s’inspirer. À l’aide de huit critères tels que la disponibilité et la rapidité pour compléter la démarche, la possibilité de ne donner qu’une seule fois les renseignements, la satisfaction de l’usager ou encore la compatibilité mobile, l’Observatoire s’attache à évaluer et à faire progresser la numérisation des 250 démarches en ligne les plus utilisées.

… et un futur exemple luxembourgeois

La gestion et le suivi numériques du secteur de la santé pourraient faire du Luxembourg un précurseur, car le pays dispose de nombreux atouts pour devenir une vitrine mondiale en matière de médecine personnalisée, d’autant plus que l’écosystème afférant se caractérise par son dynamisme, et qu’il est prévu la création d’un campus dédié aux technologies de la santé et à la médecine personnalisée, visant à attirer les talents dans ce domaine. Le système de santé du Luxembourg, parmi les plus performants au monde, mais également parmi les plus coûteux, ne peut se permettre de passer à côté d’une telle opportunité qui pourrait aussi engendrer des gains d’efficience importants pour le système de sécurité sociale.

Cependant, les défis sont encore immenses concernant notamment la standardisation et l’interopérabilité des données de santé, l’acculturation des professionnels de santé à de nouvelles pratiques médicales ou encore la question de la protection des données. Les premières démarches de digitalisation dans le secteur de la santé (e-santé) semblent ralenties par des considérations autres que technologiques, alors que les solutions techniques et digitales existent, fonctionnent et sont disponibles.

La Chambre de commerce voit également dans la constitution d’une Medical Valley au Luxembourg une opportunité immense de diversifier l’économie du pays et de montrer l’exemple à d’autres secteurs.

Un policy-mix pour soutenir des objectifs qui le sont tout autant

Un policy-mix bien calibré et articulé doit venir soutenir la transition digitale du pays. Et pour ce faire, à chaque cible son dispositif fiscal. Dans la situation tendue des finances publiques actuelles, il faut veiller à des mesures dont le déchet fiscal est limité et dont la capacité d’augmentation du rendement fiscal puisse compenser rapidement ce déchet fiscal initial. Première cible, les personnes physiques. Dans ce cadre, la proposition de loi
n°8047 portant modification de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu aux fins de relancer l’investissement dans l’entrepreneuriat durable et numérique
 est à saluer. Elle vise, via un incitatif fiscal sous la forme d’un abattement de revenu de 5.000 euros, à encourager les personnes physiques à diriger leur épargne vers des investissements dans des PME ayant des activités durables ou numériques. Au vu de l’épargne excédentaire accumulée depuis le début de la pandémie de Covid-19, qui se chiffre à plusieurs milliards d’euros, la mesure va dans la bonne direction en donnant une alternative à la tendance naturelle qu’ont les ménages luxembourgeois à diriger leur liquidité vers l’investissement immobilier.

Mettre l’accent sur l’accélération de la digitalisation et sur l’efficacité des services publics et des processus de production au sein des entreprises peut contribuer à estomper les conséquences de la crise de l’offre actuelle.

 Carlo Thelen

 Carlo Thelen,&nbsp
CEO,&nbsp
Chambre de commerce

Deuxième cible, les entreprises. C’est dans ce contexte que la Chambre de commerce propose une super-déduction fiscale pour les dépenses des entreprises ayant trait à la transformation digitale, écologique/environnementale, ou de recherche et développement, trois domaines clés où les besoins en investissements sont colossaux, mais primordiaux pour garder un niveau de compétitivité élevé dans un contexte de hausse des prix de l’énergie important.

Une troisième mesure pourrait utilement compléter ces deux mécanismes, afin de faciliter l’investissement de montants plus conséquents que ceux visés par la proposition de loi décrite ci-avant, venant notamment des Business Angels. En effet, il manque au Luxembourg une mesure permettant d’octroyer un avantage fiscal au titre des investissements dans les startups, afin d’inciter les contribuables personnes physiques (qu’ils soient résidents ou non) à investir en numéraire dans les entreprises cibles. Sachant que de nombreux investisseurs ne souhaitent pas être connus, il serait ainsi préférable que des solutions soient mises en place afin que les investisseurs puissent bénéficier d’avantages fiscaux tout en gardant leur anonymat.

Par ailleurs, le recours à des fonds de capital-investissement privés ou semi-publics axés spécifiquement sur le capital-création ou développement, sous couvert desquels les investisseurs peuvent agir en préservant leur anonymat, est une piste à envisager. La Belgique, le Royaume-Uni, la France et l’Irlande ont tous en commun de disposer, entre autres, d’un régime fiscal incitatif pour le financement des start-up. Ces mesures ont montré leur efficacité pour attirer des fonds privés et dynamiser l’écosystème.

Pour parachever cet ensemble, des mesures «pro talents, comme l’introduction d’un régime de participation et d’intéressement, permettraient de faire davantage participer les collaborateurs au résultat de leur entreprise, dans un but de motivation et d’attraction des forces vives. Les talents seront en effet au cœur de toutes les attentions, ces derniers étant une des pierres angulaires des transitions digitale et environnementale.

Certains points forts sont donc à consolider et des points faibles à atténuer voire à supprimer, car l’attractivité du Luxembourg dépend de l’existence sur son territoire d’entreprises à la pointe des solutions et applications digitales les plus efficaces et de services publics agiles, digitalisés et précurseurs, agissants comme autant de signaux positifs envers de potentiels investisseurs ou talents.

Mettre l’accent sur l’accélération de la digitalisation et sur l’efficacité des services publics et des processus de production au sein des entreprises peut contribuer à estomper les conséquences de la crise de l’offre actuelle (énergie, matières premières, main-d’œuvre, capacités d’approvisionnement, etc.), tout en optimisant l’allocation des ressources et en consolidant à plus long terme nos finances publiques.

Carlo Thelen est directeur général de la 
Chambre de commerce
 et cet article est disponible 
sur son blog
 avec accord de l’auteur.

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