Des collaborateurs aux attentes précises

 C’est encore tout récemment que certains anciens candidats en recherche du poste parfait convoquent leurs souvenirs et se rappellent leur entretien d’embauche, le détail du profil de la fonction était précédé d’un «bonjour» et se concluait par un «on attend votre réponse». Il était question de salaire, mais la marge de manœuvre du candidat était minime. Les lignes ont bougé depuis. Le marché de ­l’emploi a un autre visage aujourd’hui. «Le rapport de force employé-employeur s’est en partie inversé, analyse Gwladys Costant, coprésidente de la Fr2s (Federation for Recruitment, Search & Selection). La pénurie de profils sur la Place a créé une rotation accrue. Les employeurs, surtout dans certains secteurs particulièrement touchés par le manque de ressources, auraient tout intérêt à échanger avec leurs employés sur le parcours de carrière qu’ils trouvent acceptable, notamment pour des changements de poste inférieurs à 12 mois (dans la même entreprise) et pour des hausses de salaire parfois exagérées.

La Fédération du recrutement et des chasseurs de têtes a mis en place un code de déontologie qui implique que les membres évitent de se chasser activement entre eux. Par cette pratique, nous tentons de préserver la confiance entre les membres et le niveau de qualité des consultants. Car le turnover accru de ­personnel engendre une inflation des salaires, qui ne ­s’accompagne pas forcément d’un apport de valeur ajoutée.»

Gwladys Costant donne quelques clés supplémentaires pour comprendre la situation. «Je crains que la Place soit impactée en termes d’image et de compétitivité. La qualité de nos ressources humaines sera certainement remise en question, à court et moyen termes, et je ne suis pas sûre que la solution passe par des recrutements massifs à l’étranger, car la situation économique en Europe est globalement bonne, et le Luxembourg n’est pas forcément attractif pour tous les talents européens. Le coût de la vie, notamment au niveau de l’immobilier, ne nous aide pas en ce sens. Même si nous devons continuer d’attirer de nouvelles ressources à Luxembourg, nous devons aussi transformer et former les nôtres localement.»

D’abord le salaire

«La guerre des talents est une réalité à laquelle aucune entreprise luxembourgeoise ne peut échapper. Chez PwC, nous ne voulons pas entrer en concurrence, nous voulons faire la différence, explique Séverine Moca, deputy head of HR chez PwC. Aujourd’hui, en proposant à tous nos employés une expérience innovante où le travail fait sens, nous sommes des précurseurs. Et nous allons au-devant des jeunes, dans les écoles, pour leur montrer qu’on peut réellement aligner les discours et les actes.»

L’argent reste toutefois le nerf de la guerre et la star des discussions dans une négociation. «En tant qu’entreprise engagée dans le bien-être de nos salariés, notre responsabilité est d’encourager ces derniers à s’exprimer sur leurs besoins et leurs attentes, poursuit Séverine Moca. Bien que le salaire reste l’élément-clé, il fait désormais partie d’une équation bien plus large dans laquelle on retrouve l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, le temps de transport quotidien, ou encore de vraies perspectives d’évolution, aussi bien en termes de progression de carrière que d’acquisition de compétences nouvelles. Nous avons repensé notre package salarial en fonction des attentes générationnelles: un jeune préférera avoir davantage de revenus fixes chaque mois afin de faire face au coût de la vie qui ne cesse d’augmenter. Une personne plus expérimentée s’intéressera davantage à un plan de pension pour sécuriser sa fin de carrière.» 

«Si le salaire est confortable et que le reste ne suit pas, ça ne fonctionnera pas, précise Nathalie Delebois, coprésidente de la Fr2s, qui évoque «l’élément qui colle aux basques du salaire: le bonus. Autant on pouvait rester vague sur cette notion avant, autant aujourd’hui, les candidats veulent savoir ce qui se cache ­derrière. Le quantifier, savoir à quelles ­performances il est lié. Bref, une transparence totale.» 

«Je ne suis pas certaine que le bonus discrétionnaire reste un moyen d’attraction intéressant pour les employeurs s’il ne s’accompagne pas d’une certaine transparence, reprend Gwladys Costant. Ceci pour permettre au futur collaborateur de bien comprendre les ‘règles du jeu’ et ainsi avoir un levier sur son niveau de rémunération variable. Dans un processus de ­sélection, un candidat peut estimer que la relation de confiance n’est pas assez développée avec son futur potentiel employeur pour le croire ‘sur parole’. Par ailleurs, lorsque le salaire de base est élevé, le bonus discrétionnaire peut ne plus faire suffisamment la différence.» 

Transparence et authenticité

La transparence, c’est l’un des éléments de langage que Julie Hornberger utilise avec gourmandise. Ancienne DRH, elle a créé la société Source Up l’année dernière. «La ­transparence doit être mise en avant dès l’offre ­d’emploi. Et cela ne se voit pas encore beaucoup au Luxembourg. Ce qui est proposé hors salaire doit apparaître dans l’offre, car les candidats attendent des processus transparents.»

Et cela passe par une culture d’entreprise que Julie Hornberger considère comme une vertu cardinale. «Elle doit être authentique. Si les entreprises affichent de belles valeurs et que les collaborateurs ne le ressentent pas, ça va vite se savoir. Grâce aux réseaux sociaux, les employés peuvent faire passer des messages, diffuser des vidéos, poster sur LinkedIn. C’est plus efficace de vivre vraiment les valeurs que de les afficher sur un site internet. Le candidat a besoin de se projeter au maximum et ces ­perspectives vont donc bien au-delà du salaire.»

La culture d’entreprise n’est pas un vain mot non plus dans le secteur de la construction. Là où le marché est tendu et concurrentiel comme jamais. «Oui, il y a du débauchage, mais pas de notre part», indique Célia Delacour, directrice des ressources humaines chez Tralux. 

L’entreprise de Leudelange compte 370 collaborateurs, dont deux tiers d’ouvriers, et joue sur d’autres ressorts que le salaire pour embaucher du personnel et, surtout, le garder. «Il n’est pas question de faire de la surenchère de salaires chez nous. J’ai reçu quatre ouvriers la semaine dernière. Ils ont voulu nous rejoindre car ils travaillaient pour un autre employeur sur un chantier à proximité du nôtre, et ils ont vu combien nous étions sensibles à la sécurité, explique Célia Delacour. Nous sommes une bonne école de formation et nous prenons bien soin de notre personnel. Voilà pourquoi nous avons beaucoup de personnel convoité.»

Il faut capter le talent et avoir du flair pour dénicher du «bon» personnel dans un secteur d’activité éprouvant pour le corps humain. D’où une volonté accrue d’être aux petits soins. «Il y a bien sûr la discussion salariale de base, mais on essaie de dépasser ce débat. Et de l’orienter sur la qualification. Ce que doit comprendre un compagnon (nom donné par Célia Delacour pour les ouvriers, ndlr) qui nous rejoint, c’est qu’il intègre un état d’esprit Tralux. La sécurité est notre maître-mot mais elle est l’affaire de tous, précise la DRH. Nous, nous soignons le transport de notre personnel à travers un ramassage organisé, et nous veillons à procurer un certain confort et une certaine intimité lorsque les gens doivent se changer sur des chantiers.»

Le dialogue reste un pilier d’une bonne cohabitation entre une direction, des chefs d’équipe et des ouvriers. «Nous avons ainsi placé des écrans sur les chantiers, de façon que chacun puisse communiquer», indique Célia Delacour. 

Le salaire n’est pas non plus la colonne vertébrale de la négociation quand on s’engage à la BEI (Banque européenne d’investissement). «Les gens qui souhaitent nous rejoindre veulent travailler pour faire avancer la cause européenne, autant dans l’Union européenne qu’hors de ses frontières, explique Monique Koning, directrice du département RH. Nous sommes une institution internationale de grande ampleur, et la mobilité interne est un vecteur important pour se développer et gravir les échelons. Les candidats veulent nous rejoindre aussi pour la proactivité de la BEI dans les secteurs et sur des thématiques d’une importance cruciale, notamment le climat et l’innovation. La Banque soutient les politiques européennes et cherche constamment à faire la différence pour les entreprises et les citoyens européens et hors UE.»

Nathalie Delebois (Coprésidente Fr2s [Federation for Recruitment, Search & Selection]: «L’élément qui colle aux basques du salaire: le bonus. Autant on pouvait rester vague sur cette notion avant, autant aujourd’hui, les candidats veulent savoir ce qui se cache derrière.»

(Photo: Romain Gamba/Maison Moderne/Archives)

La flexibilité est devenue inévitable

Une fois la question du salaire et de l’éventuel bonus évacuée, le collaborateur, qui aura mesuré le sérieux et la réputation de son employeur potentiel, se posera la question de son évolution personnelle. «Le plan de carrière reste une source de questionnement chez les jeunes, reprend Séverine Moca. Et nous sommes là pour adoucir la transition entre l’école et l’entreprise, en les guidant avant même l’obtention de leur diplôme, et en leur donnant par la suite la possibilité de créer leur carrière sur mesure. Les jeunes nous demandent souvent en combien de temps ils peuvent devenir manager. Cela reste un grade qui plaît. Bien sûr, cela dépend des performances de chacun, mais compte tenu de la croissance du marché, l’évolution est souvent plus rapide ici qu’ailleurs.» 

Gwladys Costant note toutefois une contradiction dans cette problématique: «Les collaborateurs aiment généralement savoir comment se projeter à long terme. Cela dit, la pénurie de candidats permet tellement de changements d’employeur que nous commençons à assister à un paradoxe dans les discours des candidats, qui parlent d’envie de projection, alors que leurs actions privilégient des choix de carrière à court terme.» 

Une bougeotte qu’il faut combattre avec d’autres arguments, que la crise du Covid-19 a placés sous les feux des projecteurs. La flexibilité est ainsi devenue l’autre star des négociations. «Ce qui peut jouer dans l’attractivité d’un employeur, au-delà de la cohérence entre son discours et ses actions, c’est sa politique de flexibilité, par exemple, quand cela est possible: des horaires de travail à la carte, une politique de télétravail compétitive et des jours additionnels de congé.» Parmi ces trois points soulevés par Gwladys Costant, le ­deuxième se heurte bien sûr aux barrières fiscales et constitue un vrai problème sur un marché concurrentiel. Ainsi, un profil intéressant pour la place financière qui travaille à Paris et qui a négocié de pouvoir exercer ses fonctions depuis Bordeaux une semaine sur quatre sera difficile à attirer au Luxembourg, où l’on pourra lui octroyer en moyenne deux jours de télétravail par semaine. 

Monique Koning explique que la BEI a levé les restrictions liées au Covid-19. Tout le monde est revenu graduellement au bureau et la fréquence va s’intensifier à partir de mi-juin, tout en utilisant les possibilités de télétravail. «Il faut bien mesurer l’importance de se retrouver, pour l’institution et pour les collaborateurs. Personnellement, j’aime venir travailler au bureau. Non seulement l’échange d’idées en réunion, mais aussi le partage d’un café ou d’un déjeuner, et le networking, sont des éléments importants pour la cohésion. On n’est pas fait pour vivre uniquement à travers des visioconférences.»

Pour Gwladys Costant, Coprésidente Fr2s (Federation for Recruitment, Search & Selection, à gauche), «nous commençons à assister à un paradoxe dans les discours des candidats, qui parlent d’envie de projection, alors que leurs actions privilégient des choix de carrière à court terme». (Photo: Marie Russillo/Maison Moderne/Archives)

Pour Gwladys Costant, Coprésidente Fr2s (Federation for Recruitment, Search & Selection, à gauche), «nous commençons à assister à un paradoxe dans les discours des candidats, qui parlent d’envie de projection, alors que leurs actions privilégient des choix de carrière à court terme».

(Photo: Marie Russillo/Maison Moderne/Archives)

Work-life balance ou life-work balance?

Il reste à placer le curseur au bon endroit. À trouver l’équilibre pour que chacun y trouve son compte. «On est passé de la work-life balance à la life-work balance, estime Gwladys Costant. Il y a désormais une volonté d’insérer sa vie professionnelle dans sa vie privée.» Le collaborateur a parfaitement compris ce revirement de situation, et en tire avantage face à un employeur qui lâche du lest jusqu’à un certain point. «La génération Z, ce sera plus de 50% de la population active d’ici 2 à 3 ans, et je ne crois pas qu’on puisse s’en passer, note Julie Hornberger, pour qui l’approche des DRH a changé. Les employeurs essaient de travailler sur un mode de recrutement différent. Ils veulent être attractifs et sont moins exigeants sur le profil recherché. Si un candidat est moins fort techniquement, on va pouvoir le former.» Il y a aussi toute une panoplie d’éléments à portée de main des recruteurs pour que le package salarial soit emballé dans du papier cadeau avec un joli ruban. 

Si le télétravail est limité par la loi, l’aménagement des horaires est, lui, laissé à la discrétion de l’employeur. «Les temps de ­trajet sont devenus un enjeu majeur dans la gestion du quotidien des travailleurs. Nous avons mis en place des mesures concrètes en termes de flexibilité horaire et spatiale. Nous avons aujourd’hui des bureaux satellites proches des trois frontières qui permettent de réduire considérablement les temps de trajet. Nos employés peuvent également décaler ou étaler leur temps de travail afin de mieux articuler service aux clients et besoin de répondre à leurs propres impératifs personnels», détaille Séverine Moca. 

Chez PwC, le bien-être est pris très au sérieux. «La crise liée au Covid-19 a mis en exergue beaucoup de choses, poursuit-elle. On a installé une salle de sieste. J’avais des doutes quant à son succès. Pourtant, force est de constater son franc succès! Dans le cadre de notre programme bien-être, nous avons des kinési­thérapeutes, des coachs physiques, des coachs mentaux et même des accords avec une esthéticienne. Faciliter la vie de nos employés, cela va jusqu’à la livraison de colis et la ­possibilité de poster son courrier. C’est très apprécié par nos collaborateurs.»

Bien travailler, c’est d’abord se sentir bien dans son environnement. Chez Tralux, on joue sur plusieurs tableaux. Celui de l’émulation mais aussi les team buildings classiques. «Une soirée au Casino, nous retrouver autour d’un repas, un barbecue, des afterworks…», détaille Célia Delacour. L’humain reste aussi au centre des préoccupations à la Banque européenne d’investissement. «Les candidats sont intéressés par le profil d’employeur de la BEI en tant qu’acteur au service de l’UE mais, bien sûr, notre package est compétitif», détaille Monique Koning.

  (Sources: Chambre des salariés et Université du Luxembourg)

 

(Sources: Chambre des salariés et Université du Luxembourg)

Les avantages matériels supplantés

Certaines pratiques courantes il y a quelques années ont tendance à disparaître du paysage professionnel. La conciergerie et la crèche ne font plus vraiment partie des discussions entre un employeur et un potentiel employé. Quant à la garde des enfants, elle a évidemment pesé dans la balance, lorsque le télétravail a déboulé dans les entreprises. Pas question pour ­certaines personnes de travailler de la maison avec leur progéniture à proximité. Pionnière en matière de crèches segmentées en sections linguis­tiques, «parce que c’était innovant en 1996, et que ça répondait à un besoin pour nos employés, se souvient Monique Koning, la BEI verse désormais une allocation pour chaque enfant. C’est plus égalitaire.» Des avantages matériels installés depuis de longues années sont toujours d’actualité, comme la mise à ­disposition d’un véhicule, une carte carburant, des chèques-repas, mais ils ont tendance à être supplantés par des attentes davantage en adéquation avec les grandes questions sociétales qui modifient les besoins et les envies des colla­borateurs par rapport à il y a quelques années.

Tous ces leviers que le collaborateur peut actionner pour faire pencher la balance de son côté ne suffisent pas nécessairement pour combler les attentes des employeurs. «C’est la raison pour laquelle nous avons créé Source Up. On croit au sourcing international, ajoute Julie Hornberger. Faire venir des candidats de l’étranger au Luxembourg, ça passe par beaucoup de communication et des relais dans les pays concernés. Être sur place auprès des candidats permet de cerner ce qui est important, les attentes et la culture.»

L’approche des candidats peut aussi être différente. «L’approche directe a été un peu usurpée. Elle n’est pas réservée à certaines fonctions comme directeur général ou directeur financier. Il faut également aller chercher des candidats passifs, qui ne sont pas à la recherche d’emploi. Et ça marche dans tous les types de secteurs et avec tous les types de profils. Il s’agit de savoir comment transformer une personne en candidat, et la mettre dans le processus de recrutement, puis de parler d’échanges plutôt que d’entretiens. Voir si ça peut correspondre au niveau de la culture d’entreprise et des valeurs, puis convertir cette adéquation avec la signature d’un contrat de travail», ponctue Julie Hornberger. Surveillez votre portable! Vous serez peut-être appelé demain pour exercer une fonction à laquelle vous n’aviez jamais pensé! 

Cet article a été rédigé pour 
le supplément Human Capital
 de l’édition 
magazine de
 Paperjam du mois de juillet 2022
 parue le 22 juin 2022.

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