Corps de rêve, amour parfait et réussite : sur YouTube, la troublante popularité des vidéos à messages subliminaux

“J’ai un peu honte d’avouer ça, mais j’ai essayé de me faire grandir avec ces vidéos”, raconte, à demi-mot, Éléna*, 24 ans et son 1m65. 

Elle qui suit de près les youtubers “développement personnel”, tombe un soir sur une vidéo présentée comme complémentaire à la pratique de la loi de l’attraction. “L’influenceuse expliquait qu’elle utilisait les messages subliminaux pour maximiser ses chances d’obtenir tout ce qu’elle voulait”, raconte la jeune femme. 

Sur YouTube, des centaines de vidéos vous promettent monts et merveilles. Souvent composées de musique ou de bruits relaxants, elles cachent en réalité des messages subliminaux, enregistrés, puis mixés, par les détenteurs de la chaîne. Et ces mots, destinés à notre inconscient, seraient la solution à tous nos problèmes : qu’on désire changer la couleur de ses yeux ou attirer une personne qu’on convoite.

Si, en France, l’essor de ces vidéos – connues sous le nom de subliminals – est timide, aux États-Unis, elles pullulent. Il existe même des boosters – des vidéos condensées, qui sont censées précipiter l’apparition des résultats – pour composer sa vie de rêve en seulement quelques jours.

Sous couvert d’un nouvel outil de développement personnel, se cache une porte d’entrée vers notre psyché, qui pourrait s’en retrouver manipulée. Enquête sur une tendance qui dérange.

La petite histoire du message subliminal

Mythe fascinant, le message subliminal ne date pas d’hier. Déjà, en 1957, il avait défrayé la chronique outre-Atlantique, comme le relate la BBCqui a retracé l’histoire du “début” de la communication subliminale.

À New York, un chercheur en marketing, nommé James Vicary, profite de la projection d’un film populaire pour conduire une expérience relative aux “pouvoirs” des messages subliminaux. Durant la séance, il diffuse des publicités – indétectables par l’esprit conscient, les interruptions étant trop rapides – toutes les cinq secondes. 

On peut qualifier de subliminal, quelque chose qui tombe sous le seuil de perception consciente.

Ces publicités affichaient furtivement deux messages : “Drink Coca-Cola” et “Hungry ? Eat Popcorn” – traduisez “buvez du Coca-Cola” et “Vous avez faim ? Mangez du pop-corn”. Selon les résultats du chercheur, les ventes de Coca-Cola auraient, ce soir-là, augmenté de 18,1% et celles de pop-corn, de 57,8%. 

On peut qualifier de subliminal, quelque chose qui tombe sous le seuil de perception consciente. Généralement, cela prend la forme de mots ou d’images flashées si brièvement qu’ils ne peuvent être consciemment détectés”, nous explique Ian Zimmerman, professeur de psychologie à l’Université du Minnesota (États-Unis).

Mais le chercheur insiste : aujourd’hui, aucune expérience n’atteste de l’influence des messages subliminaux sur nos habitudes de consommation ou notre pensée – James Vicary ayant lui-même reconnu avoir menti sur les résultats de son expérience. 

“Il y a certains mythes, sourit-il, comme celui de la publicité politique de George W Bush en 2000, alors candidat à la présidence. Si vous regardez la vidéo, vous pouvez voir, à 23 secondes, que le mot “rats” apparaît à l’écran, au même moment que le nom de son opposant, Al Gore. Selon la légende, cela aurait été fait dans le but de l’associer inconsciemment aux rats, que la plupart des gens détestent”, raconte le psychologue américain. 

De la publicité aux vidéos virales : le subliminal fascine 

Si la télévision a vite délaissé – a priori – les messages subliminaux, ils sont désormais à la portée de tous sur les réseaux sociaux. En quelques clics, vous pouvez même apprendre à fabriquer les vôtres.

Aux États-Unis, certaines chaînes Youtube subliminal comptent plusieurs centaines de milliers d’abonné.es, et les vues des vidéos les plus populaires dépassent souvent le million. En France, cependant, l’offre est plus réduite.

“Je suis tombée sur les subliminaux par hasard, en regardant des vidéos “glow up en une journée” – un format populaire où la personne expérimente des changements physiques et/ou moraux pour devenir la meilleure version d’elle-même dans un temps limité (ndlr) – , ça m’a intéressée, j’ai testé et ça a fonctionné”, raconte, sous un pseudo, Bouh, youtubeuse prodiguant des conseils sur la pratiqueaussi à la tête de sa propre chaîne de subliminaux.

“Au début, on écrit les affirmations, qui doivent toujours être positives – jamais “ne pas avoir de bouton”, mais plutôt “j’ai une peau magnifique”- on enregistre, on passe sur un logiciel de montage audio, on accélère et on mélange ect… Mais je ne vais pas révéler tous mes secrets”, sourit la jeune femme. 

J’ai vu ces tutos, et ils reprennent typiquement tout ce qu’on peut faire en hypnose, des phrases précises, positives, courtes. Donc n’importe qui peut en créer, même des personnes qui n’ont pas de connaissances en psychologie ni en hypnose et c’est ça qui est gênant”, réagit Delphine Py, psychologue et psychothérapeute spécialisée en thérapies cognitives et comportementales

Les messages subliminaux, clés de tous nos maux ?

Pourtant, si ces vidéos sont l’œuvre de novices, il semblerait – selon les milliers de témoignages qui pullulent en commentaires de ces dernières – qu’elles fonctionnent. 

Wendi Blum est auteure, conférencière internationale et grande adepte des subliminaux. Selon les informations recueillies par Vice, ces derniers l’auraient même aidée à “construire sa carrière, passer outre son anxiété et ses pensées suicidaires, à rencontrer son partenaire idéal et à rembourser 80 000$ de dette”. Plus déroutant encore, selon elle, les vidéos à messages subliminaux auraient amélioré sa densité osseuse de 29% et guéri son cancer de la peau.

“Il ne semble pas possible que l’exposition à des stimuli subliminaux puisse modifier le corps et encore moins l’ADN”, prévient Ian Zimmerman.

Au niveau du visage, mes traits ont pu échanger avec les subliminaux”, partage Bouh, de son côté – qui documente d’ailleurs ces changements sur sa chaîne. “J’avais des troubles alimentaires et ça m’a aidé, parce que j’écoutais beaucoup de messages positifs et ça m’a réconcilié avec mon corps. J’ai aussi fait un travail sur moi en parallèle”, admet la jeune femme. 

“Il y a certaines études, basées sur l’hypnose, qui montrent que la visualisation peut avoir un impact sur la cicatrisation d’une blessure, dans la limite du raisonnable”, tient tout de même à nuancer Delphine Py. 

De même, les deux spécialistes s’accordent à dire que des études, menées dans un cadre expérimental bien précis, on démontré que les subliminaux avaient des effets “très modérés et limités dans le temps”.

“Dans une étude de 2006, on a pu induire l’idée de soif quand la personne avait déjà un peu soif, en l’amenant préférentiellement vers une boisson”, précise Delphine Py, bien qu'”aucun de ses effets n’ait été remarqués hors d’un laboratoire”, souligne Ian Zimmerman.

Un effet placebo, plutôt que des résultats miracles

Dans tous les cas, nos deux experts sont formels : le consensus qui semble s’opérer sous les vidéos – si on part du principe que ce sont des commentaires honnêtes – découlerait plus de l’effet placebo, que du miracle. 

“Déjà, est-ce qu’on peut vraiment parler d’une expérience subliminale, quand la personne clique consciemment sur une vidéo promettant de modifier son sourire ? C’est sûrement ce qui active l’effet placebo, parce que les gens arrivent avec une certaine attente”, explicite Delphine Py. 

Ça m’a déprimée de voir que ça ne fonctionnait pas sur moi, alors qu’il y a des dizaines de vidéos sur YouTube de personnes pour qui ça a marché.

Pour Ian Zimmerman, au-delà de cet effet, il y a aussi une “vague de contagion émotionnelle”, qui peut expliquer des changements ressentis. “Ça va être léger, sur le physique, ou alors des changements dans l’état d’esprit, l’humeur, puisque ça reprend les mécanismes de la loi de l’attraction”, poursuit-il.

Éléna, elle, n’a pas vu de résultats flagrants dans sa pratique. Elle n’a pas pris les centimètres qu’elle souhaitait gagner et surtout, elle n’a pas vu d’effet positif sur son moral, bien au contraire. 

“Ça m’a d’ailleurs pas mal déprimée de voir que ça ne fonctionnait pas sur moi, alors qu’il y a des dizaines de vidéos sur YouTube de personnes pour qui ça a marché. J’ai écouté plusieurs playlists par jour, pour rien”, confie-t-elle. 

Une pratique qui peut fragiliser les personnes en manque de confiance

Il y a des études qui démontrent que les affirmations positives, du style ‘je suis une femme forte et brillante’, sont contre-productives pour les personnes qui manquent d’estime d’elles-mêmes”, alerte Delphine Py. 

Selon elle, cette tendance pourrait entraîner un syndrome de positivité toxique, faisant peser une pression sur les épaules de la personne qui n’arrive pas à atteindre l’état souhaité. “Un sentiment d’échec peut se faire sentir”, poursuit notre spécialiste. 

C’était comme un cercle vicieux, même si je n’avais pas de résultats, je continuais par peur que quelque chose de pire m’arrive.

Pour Bouh, il est aussi important de savoir se mettre des limites, pour ne pas tomber dans une sorte d’addiction. Car certain.es, comme Éléna, en viennent à avoir peur d’arrêter. 

“C’était comme un cercle vicieux, même si je n’avais pas de résultats, je continuais par peur que quelque chose de pire m’arrive en supprimant cette habitude. J’écoutais beaucoup de vidéos la nuit et des boosters la journée” avoue la community manager.

“À partir du moment où on commence à avoir une pratique nocive, à en écouter 24h/24, et à se détester parce que les résultats ne sont pas là, ça peut très vite monter à la tête. Les gens choisissent les subliminaux comme ils font une liste de courses. Ça commence par le nez, la poitrine et puis la liste de complexes s’agrandit”, relate Bouh.

Pour Delphine Py, il s’agit donc de ne pas prendre ses vidéos comme une aide thérapeutique : “On ne peut pas changer en claquant des doigts, et c’est ce qui me gêne avec ces vidéos. Elles créent l’idée qu’on peut contrôler nos émotions, alors qu’il faut les comprendre et les accompagner”. 

Messages subliminaux : la porte ouverte aux dérives

Au-delà des effets délétères des vidéos dites safe – sécurisée – le risque majeur avec cette tendance est de tomber sur les vidéos d’une personne mal-intentionnée. Parce que, comme dit plus haut, tout le monde peut en créer. 

En 2017, aux États-Unis, une pétition en ligne a été lancée, pour la fermeture de la chaîne Mind Power, l’une des plus populaires à l’époque. 

La cause ? De nombreux.ses utilisateur.ices se plaignaient d’effets secondaires étranges à la suite de l’écoute. Certaines faisaient état de “rêves démoniaques”, des “rêves sexuels étranges”. Depuis, la chaîne a été supprimée et sa créatrice, Amy Bass, vendrait des “audios subliminaux” via son blog, toujours selon Vice. 

Même si ces vidéos sont censées faire du bien, une étude de 2009 montre que lorsque les messages sont associés à quelque chose de négatif, ils sont plus puissants”, ajoute Delphine Py. 

“Je suis tombée sur des chaînes malsaines au début, je sentais que psychologiquement j’allais moins bien, je faisais beaucoup d’insomnies. En creusant, j’ai vu que des personnes en parlaient dans les commentaires, et sur différents forums comme Reddit. J’ai compris que certaines chaînes pouvaient proposer des contenus toxiques”, confirme Bouh.

Il n’y a pas d’étude sur le sujet, mais il ne semble pas impossible que des stimuli subliminaux créent des réactions anxieuses. Il reste probable qu’il y ait une contagion émotionnelle dans les commentaires. Les gens ont regardé la vidéo et comme ils s’attendaient à des résultats négatifs, cela s’est produit”, nuance Ian Zimmerman.

“En soi, cette pratique n’est pas dangereuse, si on n’a pas forcément de contre-indications”, rassure la psychologue. Elle qui pratique l’hypnose insiste surtout sur l’idée qu’on “laisse notre inconscient à la merci de qui le veut sur Internet, et ce n’est pas très sain”. 

“Non seulement on ne connaît pas la personne derrière ces vidéos, mais on n’en sait pas plus sur les contenus. Souvent, il n’y a pas de script complet des affirmations, et s’il y en a, personne ne peut nous assurer que ce sont les bons”, continue-t-elle. 

Et à Ian Zimmerman de conclure : “Techniquement, on ne peut même pas être sûr qu’il y ait du contenu subliminal dans la vidéo, car même si c’était le cas, vous ne seriez pas en mesure de le détecter consciemment. Je suppose que la seule façon de le savoir, serait de télécharger la vidéo et de la lire à une fréquence extrêmement lente, mais je pense que les personnes qui cherchent à modifier leur apparence en quelques secondes n’ont pas le temps de faire ça.”

*Le prénom de la personne a été modifié

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Corps de rêve, amour parfait et réussite : sur YouTube, la troublante popularité des vidéos à messages subliminaux

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