Comment résister à la manipulation new age ? La créatrice du podcast Meta de Choc nous répond

Astrologie, sorcellerie, pensée positive… Les tendances héritées du new age ont le vent en poupe. Le podcast d’Elisabeth Feytit dissèque nos croyances modernes et nous explique pourquoi elles sont si séduisantes, et parfois dangereuses. Interview.

Un beau jour, mes réseaux sociaux se sont peuplés de références aux signes astrologiques. L’horoscope, ce truc longtemps ringard, réservé aux lectures paresseuses de bord de plage, s’est introduit dans les conversations de personnes que je côtoyais, dans d’incalculables mèmes. Il semble devenu banal de commenter que tel trait de caractère est “typiquement Taureau”, que tel personnage de série est “forcément Balance”.

La ménagerie des étoiles n’est pas la seule à s’inviter dans notre quotidien. Le pouvoir des pierres, la biodynamie, la méditation de pleine conscience, les huiles essentielles, le yoga, la sorcellerie… Des tendances autrefois minoritaires font leur chemin au coeur de la société, au point de prendre une place prédominante. Vous risquez désormais de les croiser dans chaque recoin de votre vie : parentalité, nutrition, sport, féminisme, sexe… Souples comme une boule anti-stress, ces tendances semblent s’adapter partout.

L’une de ces manifestations les plus énervantes récurrentes, la pensée positive, a envahi le monde du travail. On en avait même fait un dossier de couverture dans notre magazine, intitulé “La dictature du bonheur”.

Sa version web est par ici ⋙ Coachs, stages, CHO et gourous… Comment le bonheur est devenu une industrie

Ces pratiques, on peut les appeler spiritualités, hobbies, passions. En fait, ce sont des croyances : des engouements qui nous font du bien, qui résonnent en nous au point qu’on leur prête foi. Leurs bienfaits ne sont pas scientifiquement prouvés, et pourtant, elles gagnent tous les jours plus d’adeptes. Si l’on recherche n’importe laquelle de ces tendances sur Google, toute la première page de liens, à part le bon vieux Wikipedia, vous renverra vers des sites enthousiastes très vendeurs (au sens propre ; il y a souvent de la dépense à la clé). Ses tenants y voient une quête de sens dans un monde desséché, voire une rébellion contre l’ordre établi.

Dans son passionnant podcast Meta de Choc, Elisabeth Feytit répond extensivement, invités et recherches fouillées à l’appui, à cette question simple : “pourquoi croit-on à ce qu’on croit ?”

Son podcast prend souvent la forme de longues interviews en plusieurs parties, des heures d’échange où elle décortique avec une personne experte ou concernée par la question (souvent repentie / désengagée d’une de ces tendances), les croyances qui peuvent nous animer et nous biaiser. Elle aborde les raisons de leur succès, le marketing qui les sous-tend, les dérives et dangers potentiels derrière. On trouve aussi des chroniques factuelles qui explorent les racines d’une notion, comme celle si à la mode de féminin sacré.

La parentalité positive, la passion pour la Wicca, les mythes autour des différences homme-femme ou de la sexualité, les dérives du militantisme… Les sujets abordés sont divers, mais toujours passés à la même grille rigoureuse.

Sa pensée convoque les recherches scientifiques menées sur la question, et nous invite à cultiver en nous le doute méthodique, surtout face à une idée trop simple ou trop séduisante. Souvent, Elisabeth prévient en début de podcast “Attention, ça va gratter / piquer”, et c’est vrai ; son podcast n’est pas là pour nous brosser dans le sens du poil. Une source d’éclaircissement salutaire dans une ère de flou.

Le tout sans pub : Elisabeth revendique de fonctionner sans cette considérable source de revenus potentielle, qui constitue, rappelons-le, une des principales sources de manipulation de notre société.

Enfin, cette documentariste de formation ne s’en cache pas : elle a fait partie des personnes qui se sont fait happer par tout un tas de théories fumeuses. Il lui a fallu quinze ans pour en sortir.

Pour toutes ces raisons, j’ai eu envie d’échanger avec elle, en me concentrant notamment sur la tendance new age dite “naturelle” qui prospère ces jours-ci. Un entretien touffu et passionnant, que je vous conseille vivement de compléter en écoutant son travail.

Bonjour Elisabeth ! Vous pouvez résumer le but de votre podcast ?

Mon but, c’est d’éduquer à la réflexion sur nos propres pensées. Ce n’est pas simple de remettre en cause nos croyances. Ca demande une vraie démarche, une vraie curiosité. Et même avec de la curiosité sur nos modes de pensée, on peut quand même se faire avoir.

On va commencer par une petite définition du new age. Car aussi disparates qu’elles puissent paraître, de nombreuses tendances que vous abordez dans le podcast relèvent de ce courant.

J’appelle cela la spiritualité contemporaine : ça a été créé à la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis. Le principe du new age, c’est que l’humain a un potentiel divin, et qu’il faut lutter contre les limitations de notre propre esprit. Le new age est à l’origine de la théorie du développement personnel, qui est fondé sur la “pensée positive” et la “loi de l’attraction” : l’idée que quand on projette des pensées, elles nous reviennent en boomerang, et qu’il faut donc modifier nos pensées pour avoir une meilleure existence.

Par exemple, si je suis en mauvaise santé, c’est que j’ai des pensées négatives et que l’univers me les renvoie. C’était un courant underground intello, et puis des hippies ont créé l’institut californien Esalen dans les années 70, de là, le new age a été promu par les Beatles et les stars de l’époque, avant de retomber. Aujourd’hui, la pensée positive est devenue complètement mainstream : personne ne va dire “je suis contre”.

C’est vrai que c’est devenu une évidence, presque un cliché au cours des conversations.

Evidemment, si je suis de mauvaise humeur, et que je me rends à un entretien d’embauche, ça aura un impact. Mais l’idée va plus loin : penser que si je suis positive, des choses positives vont arriver dans ma vie, car la réalité est le produit de ma pensée, et donc tout est une illusion. C’est cet hyper relativisme qui peut amener à penser que chacun a sa vérité, et à des délires complotistes.

Vous-même, vous avez été entraînée dans ces croyances.

Oui, je suis entrée dans le new age sans le savoir. J’ai vécu avec une femme qui était croyante d’une technique de développement personnel qui s’appelle la “respiration consciente”, une émanation du “rebirth” fondé dans les années 70 dans ce même institut Esalem. C’était censé être prouvé, validé par l’épigénétique, par les neurosciences… Ca s’est révélé totalement faux. Je cherchais des moyens pour mieux me comprendre et communiquer avec les gens, je n’avais pas trouvé la réponse en psychothérapie. J’ai été introduite à un tas d’idées dont je n’avais jamais entendu parler, des messages que je trouvais très intéressants.

Avec le recul, ça vous faisait du bien ?

On a des expériences extraordinaires. On se pose des questions qu’on ne s’est jamais posées, on échange avec des gens… C’est un cadre riche et différent du quotidien. Tout comme le tarot ou l’astrologie permettent de voir les choses autrement. Ca ne veut pas dire que ça fonctionne !

Cette plongée dans le new age a duré quinze ans. Vos croyances ont évolué ?

Ma croyance a gagné en intensité. Je suis devenue antivax, complotiste… Au bout de quinze ans, j’en arrive à croire que les chemtrails sont un empoisonnement de la population, que les illuminati maîtrisent l’humanité pour l’empêcher d’atteindre un 5eme niveau de conscience, je communique avec des entités, je sens les énergies dans mes mains… J’en arrive à croire que je suis une “enfant indigo“, soit une personne d’une autre planète venue s’incarner sur Terre pour aider les humains à se libérer de la matrice ! Aujourd’hui, je considère que je me suis radicalisée de mon propre chef. Internet permet de le faire sans gourou.

Yoga, maternité, écologie : des portes d’entrée

Avec le recul, comment est-il possible de partir si “loin” ?

Ca ne se fait pas du jour au lendemain mais étape par étape. Il y a une cohérence dans toutes ces croyances, parce qu’elles font partie d’une même idéologie. Si on se dit que les humains doivent atteindre un potentiel divin, il est logique de croire que ce sont les reptiliens qui nous maintiennent dans l’ignorance de notre condition, ou dans une fausse réalité. J’étais entourée de gens qui s’autoqualifient “enfants indigo”. Et de fil en aiguille, on vous amène plus loin. Ca marche aussi dans le milieu du yoga : ça commence par un petit “namasté”, puis ensuite on vous invite à ouvrir vos chakras, et si on n’y arrive pas, c’est qu’on n’a pas atteint la pleine conscience… Ce sont des portes d’entrée, comme le féminisme, la maternité, ou encore l’écologisme.

Comment en sortez-vous ?

C’était devenu épuisant. Je me croyais investie d’une mission, et comme tous les gens radicalisés, mon quotidien était rempli de ces croyances. Je me suis dit : “j’ai pas envie que ma vie soit une lutte entre le Bien et le Mal. Je ne suis pas entrée dans ce mode de vie pour être en guerre, mais pour aller bien.” Je cherche alors à me renseigner sur les enfants indigo. Je tombe sur une vidéo sur internet, d’une ancienne guide spirituelle sortie du new age, qui questionnait son audience sur Youtube. “Est-ce que vous êtes sûrs que les chakras existent ?” “Etes-vous sûrs que votre prochain stage de développement personnel va vous apporter quelque chose ?” “Allez-vous mieux qu’il y a un an, cinq ans, dix ans ?” Elle avait cette litanie de questions qui m’ont abasourdie.

A partir de là, je me suis mise en contact avec cette femme, et on a eu un échange contradictoire et respectueux. Pour ceux qui cherchent à s’en sortir, c’est important de pouvoir échanger avec quelqu’un qui sera en mesure de les écouter parler de leurs croyances, même extrêmes. C’est là que je découvre la métacognition : où je me pose la question de savoir pourquoi je crois ce que je crois, par rapport à mon éducation, mes expériences personnelles, etc.

“Le new age, c’est un buffet à volonté”

Comment ces croyances se sont-elles répandues chez le grand public ?

Il y a eu énormément de visibilisation par le biais d’internet et, d’un pseudo documentaire qui s’appelle Le Secret, qui date de 2006, et qui vous explique comment attirer à soi abondance, richesse, amour. Ca a fait le buzz et démocratisé ces notions, qui sont aujourd’hui utilisées jusque dans monde de l’entreprise. C’est présenté comme la rencontre des grandes traditions et de la science.

Le new age a inventé les notions de “potentiel humain“, de “meilleure version de soi-même”, et prétend que la “loi de l’attraction“ serait en train d’être reconnue par la science : l’épigénétique rejoindrait ce que les traditions ancestrales nous disaient. C’est présenté comme étayé scientifiquement, alors que c’est totalement faux. J’ai fait un certain nombre de chroniques qui expliquent ce que dit et ne dit pas la science.

Par exemple ?

Par exemple, la “respiration consciente” propose des phrases affirmatives qui visent à “modifier et reprogrammer notre mental”. Il se trouve que ça ne marche pas : pire encore, plusieurs études (ici et ) ont montré que plus une personne va répéter une affirmation positive de type “j’ai de la valeur, je suis fait.e pour le succès”, plus elle va en réalité se focaliser sur sa pensée négative, et ça va baisser son estime d’elle-même. C’est un effet pervers : on est tout le temps en train de surveiller ses pensées, de se dire “ah zut, une pensée négative, j’ai encore foiré”… C’est une boucle infinie, c’est l’enfer.

Une autre caractéristique de ces croyances, c’est qu’elles convoquent un tas de spiritualités : bouddhiste, hindouiste, chrétienne, païenne…

Le new age, c’est un buffet à volonté ! Si on est attaché aux anges gardiens, on va pouvoir cultiver cette croyance. Les gens ont l’impression de quitter une religion dogmatique, avec des formats rigides, en se disant qu’ils vont créer leur propre spiritualité authentique et personnelle. Mais si on prend du recul, ces pratiques sont formatées. Ce sont toujours les mêmes idées dans lesquelles on s’enferme.

Vous avez plusieurs fois expliqué comment on se laisse entraîner, de fil en aiguille, toujours plus loin dans ces croyances. Est-ce qu’on risque forcément la dérive sectaire ou de radicalisation si on choisit de croire à l’astrologie, aux pierres, au féminin sacré ?

Non, pas nécessairement. Beaucoup de gens croient à l’astrologie et s’arrêtent à la lecture de leur thème astral ! Là où ça peut dériver sur des choses problématiques, c’est si on fait des choix de vie en fonction de l’astrologie : choix du partenaire, de son travail, décisions liées à la santé… Et il ne faut pas sous-estimer la puissance énorme de l’entourage social chez les personnes qui ont rejoint ces croyances, ou qui sont élevées dedans.

Le problème, et vous le montrez bien dans l’un de vos podcasts sur les dérives du coaching, c’est qu’on peut être tout à fait averti à propos de ces croyances, et se laisser avoir tout de même. Comment résister à ces manipulations ?

Le podcast propose deux axes pour essayer d’atteindre un début de libre-arbitre. Le premier consiste à exposer l’état des connaissances. Qu’est-ce qu’on sait sur la place de la croyance chez l’humain ? C’est quoi les biais cognitifs à l’oeuvre ? Pourquoi est-on attiré par une offre commerciale ? Pourquoi on a besoin d’être d’accord avec nos amis ? Qu’est-ce qu’on sait sur les différences hommes / femmes ? On a la chance d’être à une époque où la science a déblayé beaucoup de sujets. Et sur d’autres, on peut dire “ça on ne sait pas encore”, c’est énorme déjà ! Le fait de dire “on ne sait pas” s’oppose aux croyances new age, qui ont réponse à tout.

Le deuxième axe, ce sont les témoignages. Je veux que les auditeurs et auditrices se mettent à la place des personnes que j’interroge, et comprennent ce qui leur est arrivé. En les écoutant, on comprend qu’elles avaient des raisons de croire à ces croyances qui ont l’air délirantes. On a des raisons de croire que la Lune a un impact sur notre cycle menstruel, alors que c’est faux, ou que les tarots sont la voix de notre destin. Ces personnes ont leur propre chemin individuel qui les a amenées à ça.

Se renseigner sur les connaissances, cela veut dire être en capacité de distinguer une bonne étude scientifique d’une mauvaise. Les deux dernières années ont amplement montré qu’on faisait mal la différence…

On sait que la science est faite par des humains qui ont plein de biais personnels d’expérimentations, de communication, etc. Et une chose que j’ai comprise avec ma déconversion, c’est que l’esprit critique n’est pas naturel. C’est même anti-naturel ! C’est pour cela que la méthodologie scientifique a mis si longtemps à s’affirmer. Ce n’est pas intuitif. Ce qui est primordial selon moi, c’est de cultiver sa curiosité personnelle. Il faut que ce soit là en toile de fond dans notre vie, se dire que si ça paraît évident ou que ça fait plaisir, il faut se méfier, remettre en question. C’est une habitude à prendre.

Finalement, ce qu’on conclut en vous écoutant, c’est qu’on est tous sensibles aux croyances, et il est dans notre intérêt à tous de les questionner. Personne n’y échappe.

La croyance fait partie de notre quotidien, de notre humanité. On croit en plein de choses, car on ne peut vérifier que très peu de choses. Je crois que la Terre est ronde, je suis croyante de cette théorie, bien prouvée par ailleurs. Ce que j’appelle à faire, c’est de la pensée critique appliquée à soi, avec méthode. J’invite à s’offrir un regard critique et amusé sur soi-même. Ce qui est primordial pour moi avec ce podcast, c’est que les choses soient posées, sans moquerie, sans démarche de débunk, sans juger les gens. On est tous manipulés, on vit dans un environnement manipulatoire. Si on cultive le doute méthodique, on peut se faire sa propre opinion de manière éclairée. Ensuite, on peut choisir de croire, pourquoi pas, mais en connaissance de cause.

Le podcast Meta de Choc, d’Elisabeth Feytit, est disponible chaque semaine sur toutes les plateformes

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Comment résister à la manipulation new age ? La créatrice du podcast Meta de Choc nous répond

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