Quelle époque ! : Les marchés de Noël, entre business et tradition ! – Dis-leur !

La plupart sont des “galeries marchandes teintées de folklore transportées dans un lieu chimérique dans l’attente que se libèrent les pulsions enfantines d’achat”, comme le dit le socio-anthropologue Abdu Gnaba. Parfois, c’est la bonne surprise, comme à l’abbaye de Valmagne ou au Baza’r, à Sète : c’est un marché de Noël vertueux, comme une “parenthèse enchantée”, ainsi que le définit l’universitaire Pascal Lardellier.

Un verre de vin chaud à la main, Eléonor d’Allaines-Monk a le sourire satisfait, sous la bénédiction séculaire arches de la hiératique abbaye cistercienne de Villeveyrac, classée monument historique. Situés près de Villeveyrac, dans l’Hérault, l’abbaye et ses 199 stands qui s’y répartissent ont fait le plein, comme chaque année. L’entrée y est payante et l’affaire tourne bien. Elle dit : “Associer un tel patrimoine aux artisans et à Noël – ma fête préférée ! – c’est le nec plus ultra.” Les deux journées annuelles de ce marché, les 26 et 27 novembre, sont courus (environ 6 000 personnes), y compris par nombre de Britanniques, très présents dans la région. Cela réprésente 10 % des visiteurs annuels de l’abbaye. Tout de même.

Abbaye de Valmagne : artisans et made in France

Vin chaud, forcément… Photo : Olivier SCHLAMA

Elle-même d’origine anglaise, mariée à un Anglais, diplômé de Sup de Pub Paris et de l’University of the Arts London, Eléonor d’Allaines a repris ce marché de Noël en 2021 où “nous faisons l’effort de choisir un maximum d’artisans et de produits made in France ; il peut y avoir des revendeurs, certes, mais c’est marginal. Imaginez cette créatrice de bonnets en laine à 15 € ; faits main à 15 €…!” Que viennent faire ces consommateurs dans un marché de Noël, fût-il de qualité, à l’abbaye de Valmagne ? D’abord le lieu, d’exception, que Eléonor d’Allaines a l’envie de décorer davantage – “Pourquoi pas avec des sapins à l’envers, tout blancs, suspendus en hauteur ?!”

“Noël, c’est la période des bougies ! C’est la base de l’ambiance ; des cadeaux…”

Depuis son joli stand lumineux, Elsa Pacaud, de Villeveyrac, bien connu pour ses vignes, croise les doigts pour vendre suffisamment de ses bougies artisanales (La Petite Bohème), “écoresponsables” parfumées par ses soins par des savants assemblages de parfums, pour atteindre son objectif de 1 000 €. Chaque exposant aura déboursé de 80 € les deux jours à l’extérieur pour un stand de deux mètres jusqu’à 130 € pour les plus belles places dans l’abbaye.

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Elsa Pavaud crée ses propres bougies parfumées. Ph. Olivier SCHLAMA

Elsa Pacaud occupe une niche bien étroite et s’adresse aux connaisseurs : ses bougies sont en cire végétale de qualité. Pour les faire connaître plus facilement, elle écume ainsi les marchés, Pignan, Mèze, Frontignan, etc. davantage peut-être que sur son site internet, la foi chevillée au corps.

“Noël, c’est la période des bougies ! C’est la base de l’ambiance ; des cadeaux, etc. Le premier jour, j’ai plutôt eu des personnes âgées et ce dimanche, c’est des familles entières… À quelques volutes de là, ce sont des couteaux de l’Ariège en acier carbone et proposant une infinité de magnifiques manches en bois locaux qui font un carton. La femme du forgeron, Jonathan Figarol (l’Atelier du Cerf, à Serres-sur-Arget), le certifie : “Dans un marché de Noël, on a le choix et une infinité de produits !”

Quand je m’aperçois que, d’un jour à l’autre, un exposant a totalement changé de marchandises, c’est louche, par exemple. Lui, c’est terminé”

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Eleoro D’Allaines-Monk, de l’abbaye de Valmagne. Ph. Olivier SCHLAMA

Chargée de mission indépendante, Célia Galland est celle qui veille au cahier des charges. “Notre but, c’est 100 % de made in France. Bon, il arrive que certains, un ou deux, passent au travers des mailles, comme cela a été le cas cette année, eh bien, on le bannit ensuite…” La quasi-totalité des exposants sont artisans et producteurs. Cela va de l’apiculteur capable de proposer du miel de bruyère – pour les connaisseurs ! – comme le Rucher des Avants-Monts, à Autignac, en passant par des sculpteurs, peintres et autres fabricants de paniers et de luminaires. “Je vérifie au maximum. Mais il peut arriver que certains nous trompent…” Celia Galland s’emploie à vérifier in situ. “Quand je m’aperçois que, d’un jour à l’autre, un exposant a totalement changé de marchandises, c’est louche, par exemple. Lui, c’est terminé.”

“Une parenthèse enchantée…”

Pascal Lardellier, professeur et auteur à l’Université de Bourgogne (IUT de Dijon, laboratoire Ciméos) a étudié les marchés de Noël. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère. “Les marchés de Noël… Voici une tradition œcuménique dont le succès ravit petits et grands, dès que décembre est là. Les centre-villes de pierre deviennent des villages de bois, et les sapins poussent partout, poussant surtout du coude et de la branche les mobiliers urbains habituels, de fer et de verre”, commence-t-il.

Il dit, a contrario, à propos des marchés vertueux : “Ces marchés de Noël viennent à l’origine d’Allemagne et du Moyen-Âge. La raison de leur succès ? À l’époque du Black Friday et du e-commerce généralisé, au moment où nos vies s’ubérisent et s’amazonisent, ce sont de petits moments d’enchantement régressifs, sinon ringards du moins traditionnels. Musique sulpicienne, cabanes en bois… Cela permet entre bureau et foyer de réenchanter notre quotidien qui est bien morose. De faire une pause spatio-temporelle. Avec un vin chaud, des odeurs de cannelle… De la barbe à papa, on va acheter des napperons brodés… C’est un pas de côté. C’est l’enfance. C’est une certaine époque. Une certaine France. C’est une incarnation, un ancrage dans notre mémoire. C’est un îlot de nostalgie.”

Noël avant le 24, avec les churros, le vin à la cannelle

“Pour les enfants, c’est la magie assurée au coin de la rue, entre les armadas de Pères Noël de toutes tailles et toutes matières qui se poussent du ventre, et les anges qui pendent ici et là en grappes, en faisant mine de voler, mais les ficelles sont un peu grosses… Et puis il y a les chœurs sulpiciens qui grésillent et tentent de réchauffer un peu l’air gelé. Et pour “les grands”, le marché de Noël, c’est une parenthèse enchantée entre le travail et le journal télévisé, c’est Noël avant le 24 au soir, avec les churros, le vin à la cannelle, et toutes ces boutiques en bois pour compléter la liste de cadeaux et trouver des babioles artisanales à mettre pas loin du sapin”, poursuit l’universitaire.

Le Baza’r, festival authentique, avec artisans et concerts

Justement, un autre marché de Noël écrit ses lettres de noblesse. C’est le Baz’r, qui sied non pas sous des voûtes mais des murs épais d’anciens chais des Moulins, à Sète. C’est sa 10e année. Créée par l’association Unaenime Collective qui fait dans l’organisation de spectacles et de concerts, c’est une proposition artistique globale qui joua les pionniers il y a donc une décennie : un marché de Noël de qualité et des concerts, la nuit tombée. “La saison s’y prête et à Sète c’est une période où il n’y a pas foison de festivals”, confie Sophie Rieux. Elle-même artisane (elle fait dans la teinture végétale de linges anciens dans les Corbières), c’est aussi la cheville ouvrière de la manifestation qui se tient les 9, 10 et 11 décembre.

“Les exposants sont des artisans de qualité. On y trouve de tout : des pièces chères comme des bricoles faites main…”

Quelle epoque Les marches de Noel entre business
Sophie Rieu, cheville ouvrière du marché de Noël Baza’R, à Sète. DR

“L’idée d’origine est celle d’un festival pop authentique pour un Noël familial”, loin des excès des ersatz de marchés. Pas moins de 75 artisans y proposent leurs créations. On y trouve aussi des expos, des ateliers. La manifestation enregistre quelque 5 000 visiteurs et un petit millier de personnes se pressent aux concerts. Selon Sophie Rieux, “le Baza’r est une vraie proposition” qui en fait pas de cadeaux aux chinoiseries qui en sont bannies. “Les exposants sont des artisans de qualité. On y trouve de tout : des pièces chères comme des bricoles faites main…”

Une tradition d’origine germanique

Longtemps, les marchés de Noël furent une tradition plutôt réservée aux pays germaniques et à l’Est de la France avec, comme exception méridionale, le marché aux santons provençal. “Ainsi, celui de Strasbourg est célébrissime, reprend Pascal Lardellier, l’universitaire. Et il attire des millions de visiteurs qui, venant de toute l’Europe, assure une véritable manne à la ville et à la région. Les municipalités ont flairé le filon. Car le marché de Noël, c’est tout bon : business et tradition ! Et elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir se partager le gâteau, et les treize desserts s’il le faut ! Car chaque ville et chaque village, maintenant, se fait fort d’avoir son propre “marché de Noël”.

Attention aux ersatz, façon fête à Neuneu…

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Marché de Noël à l’abbaye de Valmagne. Photo : Dronemylife par Laurent Philip.

Quant aux mercantilisme accompagnant des marchés qui n’en ont que le nom – sans doute une grande majorité – , Pascal Lardellier est clair : “Alors loin des originaux, où souffle un certain esprit, et où règne surtout un semblant de cohérence, en même temps que le sens de la tradition, il y a les ersatz, et même, pourquoi le taire, les marchés qui n’ont de Noël que le nom, tenant plus du bric-à-brac, de la foire du Trône ou de la fête à Neuneu. Esprit et cohérence, disais-je… Dans la tradition, et dans l’imaginaire collectif, ces marchés ont des “ingrédients” incontournables : du sapin et des cabanes en bois, l’odeur entêtante du vin chaud, la petite musique kitsch, les saucisses au curry, les crèches, et puis des objets et des aliments à la vente qui ont un lien direct avec Noël, en attendant – cerise sur le gâteau – la neige…”

“Tromperie, non sur la marchandise, mais sur l’appellation”

“Alors que penser de ces marchés – et ils sont de plus en plus nombreux – qui se contentent de juxtaposer des échoppes en planches, et dans lesquels on mange des merguez, et où l’on achète des narguilés ou des maillots du Paris Saint Germain, du nougat, des vases ou des oreillers, sur fond de radios commerciales donnant les infos et les pronostics du tiercé, entre deux airs de rock et de rap ! ? Il y a là tromperie non sur la marchandise, mais sur l’appellation.”

Les municipalités qui cautionnent et sponsorisent ce genre de foires commerciales se tirent une balle dans le pied…”

L’universitaire appuie là où ça fait mal : “Les municipalités qui cautionnent et sponsorisent ce genre de foires commerciales se tirent une balle dans le pied. Car désormais, pour les villes, tout est affaire “d’image”. La presse nous serine avec ses enquêtes et sondages sur la ville “la plus agréable”, “la plus sportive”, “la plus culturelle”, “la plus technologique”, etc. Avec les marchés de Noël qui détournent les clichés et se moquent ostensiblement de ce que représente cette fête dans l’imaginaire collectif, il n’est pas sûr que les villes aient à y gagner, si on dissocie “l’image” et le chiffre d’affaires.”

“Car les visiteurs ne sont pas dupes : ils comparent les marchés, y recherchant toujours un Noël enchanté, celui de l’enfance et du cœur, tout en rêvant “du plus beau” et “du plus traditionnel”, celui vu “de la télévision”, au journal de 13-Heures de feu Jean-Pierre Pernaut. Et ils susurrent secrètement “esprit (de Noël), es-tu là… ?” De plus en plus souvent, seul l’écho répond puis se perd dans la nuit froide, entre les odeurs grasses et des bruits de foires…”

C’est un moment où les humains se regroupent pour, ensemble, faire face au raccourcissement des jours, aux ténèbres. Pour mieux passer ce “tunnel”, ils échangent des sourires…”

Pour le socio-socio-anthropologue Abdu Gnaba, les “marchés de Noël sont en général des galeries marchandes teintées de folklore transportées dans un lieu chimérique dans l’attente que se libèrent les pulsions enfantines d’achat. Ce sont des pulsions moins douloureuses”. Sur la définition-même du “marché”, il explique que cela met justement “en marche, en mouvement”. D’où la définition d’une “société de marché”. Il ajoute : “Ces petits chalets sont en quelque sorte des petites villes. Quand on salue la personne derrière le comptoir, c’est une île entière que l’on salue. Et qui vous salue. Un marché, ça marche comme un cercle. C’est limité. Sacralisé. Dédié aux interactions…” Cela a un “parfum de religion, quoi qu’on en dise, c’est lié à la naissance du christ, ou alors aux bacchanales du solstice d’hiver. C’est un moment où les humains se regroupent pour, ensemble, faire face au raccourcissement des jours, aux ténèbres. Pour mieux passer ce “tunnel”, ils échangent des sourires…”

Olivier SCHLAMA

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