L’enquête publique sur l’utilisation par le gouvernement libéral fédéral de la Loi sur les mesures d’urgence pour réprimer le Convoi de la «liberté» d’extrême droite s’est ouverte jeudi dernier. Le premier ministre Justin Trudeau a déployé les pouvoirs étendus de cette loi jamais utilisée jusqu’alors le 14 février, à la suite d’une occupation du centre-ville d’Ottawa qui a duré plusieurs semaines, à l’instigation et sous la direction de forces fascistes qui voulaient renverser le gouvernement et ériger une junte autoritaire pour démanteler toutes les mesures restantes de santé publique anti-COVID.
Si un groupe relativement restreint d’activistes d’extrême droite et de véritables fascistes a pu dominer la vie politique canadienne pendant près d’un mois, c’est grâce au soutien qu’il a reçu de sections puissantes de l’élite dirigeante. Les conservateurs de l’opposition officielle, les médias bourgeois et certaines sections des grandes entreprises ont instrumentalisé le Convoi pour faire pression en faveur de la suppression de toutes les mesures destinées à atténuer la propagation du COVID-19 et à pousser la politique officielle encore plus à droite.
L’enquête, dirigée par l’ancien juge de la Cour supérieure de l’Ontario Paul Rouleau, est une exigence de la Loi sur les mesures d’urgence. Elle entendra pendant environ six semaines les témoignages d’au moins 65 personnes, dont Trudeau et sept autres ministres du gouvernement libéral, des représentants de plusieurs services de police et des résidents du centre-ville d’Ottawa qui ont été terrorisés par les partisans du Convoi. Après la fin des témoignages, le 24 novembre, la commission entamera l’étape de l’examen des politiques qui, en vertu de la loi, doit se terminer par la publication d’un rapport final par Rouleau en février, un an après que Trudeau ait invoqué la Loi sur les mesures d’urgence.
Le décret du gouvernement Trudeau établissant la commission cite la disposition de la Loi sur les mesures d’urgence qui stipule qu’une enquête doit être menée «sur les circonstances qui ont mené à la déclaration (d’une urgence) … et sur les mesures prises pour faire face à l’urgence». La commission est ensuite chargée d’examiner d’autres questions, dont les suivantes:
L’évolution et les objectifs du convoi et des blocus (établis au pont Ambassador de Windsor-Detroit et à d’autres postes frontaliers canado-américains), leur direction, leur organisation et leurs participants
L’impact du financement national et étranger sur les protestations, y compris l’argent provenant des plateformes de financement participatif
L’impact, le rôle et les sources de la désinformation et de la mésinformation associées aux manifestations, y compris le rôle joué par les médias sociaux
L’impact des blocages, y compris leur impact économique
Les actions de la police et des autres intervenants avant et après la déclaration (d’urgence)
À l’époque, le World Socialist Web Site a décrit la volonté de sections puissantes de la classe dirigeante d’encourager et de construire un mouvement extraparlementaire violent d’extrême droite comme une nouvelle étape dans l’effondrement des formes démocratiques de gouvernement au Canada. Nous avons averti que, sans l’intervention politique indépendante de la classe ouvrière, quelle que soit la fin de l’occupation du centre-ville d’Ottawa par l’extrême droite, elle se ferait au détriment des droits démocratiques et sociaux des travailleurs et impliquerait un virage à droite prononcé de l’ensemble de l’establishment politique.
Nous nous sommes opposés à l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement Trudeau, en expliquant que si l’extrême droite était la cible cette fois-ci, son invocation créait un dangereux précédent qui serait utilisé à l’avenir pour légitimer la répression étatique contre la classe ouvrière.
Cette analyse a été plus que confirmée. En invoquant la Loi sur les mesures d’urgence, Trudeau a brisé un «tabou politique» au Canada concernant l’utilisation des pouvoirs d’urgence. Le gouvernement a déclaré des zones interdites où n’importe qui pouvait être arrêté sans avertissement et condamné à une peine de prison, a gelé les comptes bancaires sans contrôle judiciaire, a interdit la participation à des assemblées publiques associées à des «protestations illégales» et a réquisitionné des dépanneuses et d’autres équipements.
Entre-temps, Pierre Poilievre, qui s’est fait connaître au niveau national en tant que défenseur le plus véhément du Convoi de la «liberté», a été élevé au rang de chef du Parti conservateur. Lui et ses collègues conservateurs continuent de se faire les champions du Convoi, présentant la foule d’extrême droite qui a assiégé le Parlement et le centre-ville d’Ottawa pendant 23 jours comme des «patriotes» canadiens. Ils cherchent à utiliser l’enquête pour intensifier leurs attaques contre le gouvernement Trudeau, se posant cyniquement et hypocritement en défenseurs des libertés civiles et des droits démocratiques parce qu’ils se sont opposés à l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence, tout comme ils se sont opposés à la «violation» par l’État du «droit» des individus à infecter des personnes avec le COVID-19.
Les néo-démocrates et les syndicats sont les principaux responsables politiques de la capacité de Poilievre et des autres partisans du Convoi fasciste de la «liberté» et de sa politique pandémique égoïste de darwinisme social à se poser en défenseurs des droits démocratiques. Le NPD social-démocrate a fourni au gouvernement Trudeau les votes nécessaires au Parlement pour approuver l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, avant d’accepter un mois plus tard une alliance formelle avec le gouvernement libéral minoritaire pour le maintenir au pouvoir jusqu’en juin 2025. Cette alliance est fondée sur le soutien au rôle majeur du Canada dans la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie, sur l’augmentation massive des dépenses militaires et sur l’austérité «post-pandémique». Les syndicats ont pleinement approuvé le recours du gouvernement libéral aux pouvoirs d’urgence et ont travaillé sans relâche pour réprimer l’opposition des travailleurs à la guerre, à l’austérité et à la politique pandémique désastreuse du gouvernement consistant à faire passer les profits avant la vie, entraînant sept vagues d’infection et de mort en masse et d’énormes difficultés économiques.
Grâce à la répression par les syndicats et le NPD de toute opposition de la gauche à la politique de pandémie homicide de l’élite dirigeante, l’aile droite et l’extrême droite ont pu prendre l’initiative politique. Elles ont bénéficié d’une couverture extrêmement favorable dans les médias bourgeois. De nombreux articles sur l’enquête publique ont décrit l’occupation d’Ottawa par le Convoi comme une «protestation» ou une «manifestation». Il s’agit d’une déformation de la réalité. La direction du Convoi, composée de fascistes et de militants d’extrême droite connus, a explicitement déclaré qu’elle était prête à recourir à la violence politique pour remplacer le gouvernement par une dictature et intimider ses opposants politiques. Ils n’étaient pas engagés dans une «protestation», mais bien dans une conspiration soutenue par des sections puissantes de l’élite dirigeante pour saper et même renverser les formes démocratiques de gouvernement.
Lorsque Trudeau a déclaré une urgence d’ordre public, ce qui a conduit à une action coordonnée impliquant la Gendarmerie royale du Canada (GRC), la Police provinciale de l’Ontario (OPP), l’armée et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) pour disperser le Convoi, le grand patronat était aux anges. Bien que certaines sections de l’élite dirigeante aient été plus qu’heureuses de faire du Convoi un bélier contre le soutien populaire aux mesures de santé publique anti-COVID, elles se sont retournées contre le Convoi après que ses partisans aient bloqué le pont Ambassador à Windsor, perturbant des centaines de millions de dollars d’échanges commerciaux quotidiens avec les États-Unis.
Des preuves ont depuis été révélées, démontrant à quel point le gouvernement Trudeau a subi des pressions internationales pour agir alors que des blocages frontaliers se développaient à Windsor, en Ontario, et dans plusieurs provinces de l’Ouest. Après que Trudeau se soit entretenu avec le président américain Joe Biden le 11 février, la Maison-Blanche a publié un communiqué indiquant que «le premier ministre a promis d’agir rapidement pour faire respecter la loi et le président l’a remercié pour les mesures que lui et d’autres autorités canadiennes prennent.» Le procès-verbal d’une réunion du 12 février du Groupe d’intervention en cas d’incident du gouvernement fédéral a été rendu public par la Cour fédérale en août dans le cadre d’une contestation judiciaire de l’utilisation par le gouvernement de la Loi sur les mesures d’urgence. Bien qu’il ait été fortement caviardé, le procès-verbal indique que «le premier ministre a confirmé qu’il a parlé avec un certain nombre de partenaires internationaux et qu’ils expriment tous leur inquiétude quant au Canada et à notre capacité à gérer la situation.»
Le sentiment de l’élite dirigeante du Canada, ou du moins des sections importantes de celle-ci, concernant l’utilisation des pouvoirs d’urgence par Trudeau a évolué au cours des huit mois qui se sont écoulés. Alors que l’enquête publique s’ouvrait, le Globe and Mail, le porte-parole traditionnel de l’élite financière de Bay Street, publiait un éditorial remettant en question la nécessité pour le gouvernement Trudeau d’avoir recours aux pouvoirs d’urgence et le dénonçant pour avoir «polarisé» la situation en pointant du doigt le caractère d’extrême droite du Convoi. «Avec des tensions d’un océan à l’autre, le gouvernement a choisi de faire monter la température rhétorique», s’exclame le Globe dans un éditorial qui ne mentionne pas une seule fois le rôle joué par l’opposition officielle conservatrice pour avoir encouragé et instrumentalisé l’occupation menaçante du centre-ville d’Ottawa et des environs du Parlement. «Dès le début du blocus […] (le gouvernement) a presque immédiatement qualifié les personnes qui se sont présentées sur la colline du Parlement, dont beaucoup n’y sont restées qu’un après-midi, de suprémacistes blancs, de profanateurs de mémoriaux brandissant des croix gammées. Il a déclaré que la manifestation, et toute personne qui y était favorable, n’était pas seulement erronée, mais dépassait les bornes».
Le Globe, comme le souligne son portrait favorable du Convoi d’extrême droite, n’est pas intéressé par la défense des droits démocratiques. Il s’agit plutôt pour lui et pour d’autres voix de l’establishment de donner du crédit à la campagne des conservateurs visant à utiliser la Loi sur les mesures d’urgence pour faire plier le gouvernement. S’ils agissent ainsi, c’est parce que l’élite dirigeante perd confiance dans la capacité du gouvernement Trudeau à appliquer avec suffisamment de rapidité et de vigueur son programme de guerre et d’agression impérialiste à l’étranger et de guerre de classe au pays. La croissance de la lutte des classes, qui prend de plus en plus la forme d’une rébellion ouvrière contre les appareils syndicaux corporatistes, crée une appréhension dans l’esprit de l’oligarchie financière quant à la capacité de l’alliance libérale/néo-démocrate/syndicale de maintenir le contrôle de la situation politique. Des sections puissantes de la classe dirigeante cultivent des forces réactionnaires et de plus en plus ouvertement fascistes afin de préparer une attaque préventive contre l’opposition populaire croissante à l’austérité, aux réductions des salaires réels dues à l’inflation et à la guerre.
Les critiques de la réponse du gouvernement Trudeau au Convoi proviennent également des gouvernements de droite de l’Alberta et de la Saskatchewan, dont les premiers ministres, respectivement Jason Kenney et Scott Moe, étaient, comme Poilievre, d’ardents défenseurs du Convoi. Les gouvernements de l’Alberta et de la Saskatchewan ont obtenu le statut d’intervenant à l’enquête publique et, le jour de l’ouverture, ont fait des déclarations par l’entremise de leurs avocats condamnant l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence et alléguant qu’ils ont été «pris au dépourvu» par la décision de Trudeau de déclarer une urgence d’ordre public.
Ils ont été rejoints par la Police provinciale de l’Ontario (OPP), qui était directement impliquée dans les opérations de maintien de l’ordre contre l’occupation d’Ottawa et le blocus du pont Ambassador. L’avocat Christopher Diana a déclaré à la commission d’enquête que la Police provinciale de l’Ontario estimait qu’il y avait «suffisamment d’autorité légale» pour s’occuper du Convoi sans invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Il s’agit d’un changement majeur par rapport à la position adoptée par la Police provinciale de l’Ontario, dont le commissaire Thomas Carrique a déclaré en mars que «nous n’aurions pas pu être aussi efficaces que nous l’avons été» sans la Loi sur les mesures d’urgence.
Des documents publiés au cours de la période précédant l’enquête donnent une indication du fort soutien dont bénéficie l’extrême droite au sein des forces de police et de l’armée canadiennes. Un avis de menace interne de la GRC, obtenu par CBC News, a révélé que la direction de la force de police fédérale du Canada craignait que des officiers sympathisants du Convoi fournissent à ses dirigeants des informations privilégiées sur les plans opérationnels. «Il existe un potentiel de menaces sérieuses de la part d’initiés», indique le document du 10 février. «Ceux qui n’ont pas perdu leur emploi mais qui sont sympathiques au mouvement et leurs anciens collègues pourraient être en mesure de partager des informations relatives à l’application de la loi ou à l’armée avec les manifestants du Convoi.»
D’autres preuves de cette nature ne manqueront pas de ressortir des auditions de la commission d’enquête et de la publication de documents dans les mois à venir. Par-dessus tout, ce qui ressortira de plus en plus clairement, c’est que loin d’être un événement qui s’est terminé avec la dispersion de l’occupation d’Ottawa, le Convoi demeure un sujet d’actualité que les forces politiques les plus réactionnaires utilisent pour déstabiliser le gouvernement et accroître leur influence sur tous les aspects de la vie politique.
(Article paru en anglais le 19 octobre 2022)
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Ouverture de l’enquête publique sur l’utilisation par le gouvernement Trudeau de la Loi sur les mesures d’urgence contre le Convoi de la liberté d’extrême droite
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