« Operation Mincemeat », la plus grosse supercherie de la Seconde Guerre mondiale

LONDRES – Cela avait été la plus grande supercherie de la guerre. Aux premières heures du 30 avril 1943, le sous-marin britannique HMS Seraph avait émergé des ténèbres, il s’était dirigé vers la côte espagnole, au sud-ouest du pays, et il avait jeté par dessus bord le corps d’un vagabond décédé d’un empoisonnement à la mort-au-rat, à proximité de Punta Umbria, un village de pêcheurs.

Vêtu de l’uniforme des pilotes britanniques, de faux papiers d’identité dans ses poches, le cadavre avait aussi sur lui des copies de documents top-secrets qui prétendaient révéler les plans ourdis par les Alliés pour envahir le sud de l’Europe.

Ces faux documents – qui avaient été créés pour convaincre les nazis que les attaques des Alliés viseraient la Sardaigne et la Grèce – avaient fini sur le bureau d’Adolf Hitler. Convaincu par les renseignements allemands de leur authenticité, il avait ordonné – erreur fatale – de renforcer la présence de ses troupes sur les cibles supposées, détournant son attention de la Sicile que les Alliés réussiront à envahir deux mois plus tard seulement.

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Au cœur d’un nouveau film éponyme, avec en tête d’affiche Colin Firth, Matthew Macfadyen et Penelope Wilton, la dite « Operation Mincemeat » (Opération viande hachée) avait été imaginée et dirigée par Ewen Montagu, agent des renseignements britanniques et rejeton d’une célèbre famille juive de l’époque. Montagu, qui est interprété par Firth, avait été particulièrement fier d’être parvenu à tromper Hitler.

« Ô joie des joies pour tous – en particulier pour un Juif ! Et quelle satisfaction de savoir qu’on a directement et spécifiquement trompé ce monstre ! », avait dit Montagu.

Même si son impact est finalement impossible à calculer de manière précise, cette supercherie, selon de nombreux historiens, aurait joué un rôle spectaculaire pour garantir l’ultime défaite des nazis. « Ceux qui ont tramé l’Opération Mincemeat ont imaginé un enchaînement d’événement a priori très improbable, ils l’ont rendu crédible et ils l’ont inscrit dans le cours de la guerre, réussissant à changer la réalité en s’appuyant sur la pensée latérale », écrit le journaliste Ben Macintrye dans son récit de la supercherie qui a servi de base au scénario du film. « L’Opération Mincemeat était de l’imagination pure et elle a fait croire à Hitler des choses qui ont finalement changé le cours de l’Histoire ».

Le choix des personnages impliqués et les rebondissements à couper le souffle de l’opération présentée aujourd’hui à la sauce hollywoodienne auraient même pu ne pas paraître crédibles s’il avaient été ancrés dans un ouvrage de fiction.

L’auteur d’Operation MinceMeat Ben Macintrye. (Crédit : Jonathan Ring)

De manière peu surprenante peut-être, la supercherie sophistiquée à l’origine de l’Opération Mincemeat aurait trouvé son origine sous la plume de Ian Fleming, qui créera ultérieurement le célèbre espion britannique du M16 James Bond. Dans une note écrite au mois de septembre 1939, peu après le début de la guerre, il avait présenté 51 suggestions visant à « introduire des idées dans les esprits des Allemands ». La 28e suggestion – « elle n’est pas très agréable », avaient admis Fleming et son patron, le directeur des services de renseignement maritimes, l’amiral John Godfrey — était « un cadavre vêtu comme un pilote, qui aurait des dépêches dans les poches, qui pourrait être abandonné sur la côte – peut-être avec un parachute qui ne se serait pas ouvert ». La note précisait avec certitude – et il devait être évident, plus tard, qu’elle s’était trompée – qu’il n’y aurait « pas de difficulté à trouver un corps à l’hôpital naval ».

Ce complot « pas très agréable » restera dans les tiroirs pendant trois ans avant de retenir l’attention de Charles Cholmondeley, un officier excentrique de la RAF âgé de 25 ans qui était alors détaché auprès des services de sécurité du M15. Il finira par devenir un élément déterminant de l’Opération Barclay, mise en place pour convaincre les Allemands – contre leurs instincts et contre toute logique militaire – que l’île de Sicile, importante au niveau stratégique, ne serait pas la première et prochaine étape dans les plans de reconquête du continent européen par les Alliés. Comme l’avait dit le Premier ministre britannique Winston Churchill lui-même : « N’importe quel idiot savait que ce serait la Sicile ».

L’Opération Mincemeat a été particulièrement ingénieuse parce que la supercherie avait été double. Elle avait eu pour objectif de persuader les Allemands que la Grèce serait au centre de l’invasion. En même temps, elle les amènera à penser que les forces qui semblaient se préparer à attaquer la Sicile n’étaient, en fin de compte, qu’un leurre sophistiqué.

Toutefois, l’Opération Mincemeat avait été périlleuse et diaboliquement compliquée. En effet, si les faux documents n’étaient pas parvenus à arriver entre les mains des Allemands une fois le cadavre retrouvé en Espagne, ou si la supercherie avait été percée à jour, les conséquences auraient été « très larges » et « d’une grande ampleur », avait averti Montagu. Comme l’écrit Macintyre : « Si l’Opération Mincemeat avait échoué, alors il se serait révélé que tous les autres éléments de ce mensonge participaient à une tromperie énorme, ce qui aurait permis aux Allemands d’envoyer des renforts en Sicile ».

Operation Mincemeat la plus grosse supercherie de la Seconde Guerre

‘Operation Mincemeat’ écrit par Ben Macintrye. (Autorisation)

Mais, comme le note également Macintyre, l’utilisation d’un cadavre dans le cadre de cette duperie présentait un avantage incontestable : « Des agents humains, des agents doubles peuvent être torturés, retournés, obligés de révéler le caractère mensonger de l’information qu’ils transportent avec eux. Un cadavre, lui, ne parlera jamais ».

Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que le corps sans vie et les documents qu’il transportait pouvaient se permettre de ne pas être convaincants. Et c’est ce qui peut-être être ce qui sera la plus grande contribution de Montagu.

Second fils de Lord Swaythling, riche financier et activiste politique, et de son épouse, Gladys, qui appartenait aux familles Goldsmid et Rothschild qui avaient fait fortune dans le secteur de la banque, Montagu était devenu avocat après avoir servi pendant la Première guerre mondiale. Il avait toutefois rejoint les réserves de la marine.

Avec l’approbation de Godfrey, Montagu, homme brillant à l’esprit férocement vif, avait été rapidement promu, grimpant les échelons de la hiérarchie au sein des services de renseignement maritimes. Il avait été nommé à la tête de la Section « de renseignements spéciaux » 17M – un « groupe brillant et dévoué de futurs vainqueurs de guerre », selon Godfrey – et il devait ensuite s’occuper de tous les agents doubles impliqués dans les opérations de duperie maritime. Aux côtés de Cholmondeley, Montagu avait été chargé de travailler sur l’Opération Mincemeat. Ce duo allait, écrit Macintyre, « développer le tandem le plus remarquable de toute l’Histoire de la supercherie en temps de guerre ».

« Vous ne pouvez pas obtenir un cadavre simplement sur demande »

Malgré les assurances qui avaient été données par Flemming, obtenir un corps sans vie pour une opération secrète à Londres et en temps de guerre n’avait pas été une chose simple.

Quand Montagu était entré en contact pour la première fois avec un vieil ami à lui, Bentley Purchase, qui était coroner dans le district du nord de Londres, pour tenter de trouver un corps pour une « opération de guerre », il s’était vu opposer une fin de non-recevoir.

« Vous savez, vous ne pouvez pas obtenir un cadavre simplement sur demande », lui avait répondu Purchase. « S’il semble que les cadavres sont la seule marchandise à ne pas connaître de pénurie pour le moment, chacun d’entre eux compte, même s’il y en a actuellement partout ».

Après avoir obtenu l’assurance que Churchill lui-même avait approuvé « l’opération », Purchase s’était montré plus accommodant. Promettant de chercher un candidat approprié, il avait informé Montagu de l’arrivée à la morgue de Glyndwr Michael, un vagabond de 34 ans sans famille, mort le 28 janvier 1943 après avoir ingéré de la mort-aux-rats. Le poison, avait prédit Purchase, laisserait très peu de traces susceptibles de donner une véritable indication sur la cause du décès – rendant improbable que l’hypothèse de la victime malheureuse d’un accident d’avion soit contredite, une fois le corps découvert sur un rivage de l’Espagne.

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La fausse carte d’identité du ‘Maj. William Martin’ pour l’Opération Mincemeat. (Crédit : Domaine public/ via Wikimedia Commons)

Montagu avait toutefois reconnu que la partie la plus dure du travail était encore devant lui et qu’il fallait maintenant doter le cadavre d’une personnalité convaincante. « Plus il paraîtrait vrai, plus convaincante serait toute l’affaire », avait-il déclaré ultérieurement. « Nous savions que chaque détail, même le plus anodin, serait examiné par les Allemands ».

La crédibilité des documents secrets qu’il transportait avec lui dépendait donc de la crédibilité de la transformation de Glyndwr Michael en ce nouveau Capitaine William « Bill » Martin. « Nous avons beaucoup parlé de lui – jusqu’à ce moment où il nous a semblé qu’il était devenu un vieil ami », avait confié Montagu en évoquant les heures passées avec Cholmondeley à construire la personnalité de Martin. « Il était devenu complètement réel à nos yeux ».

Martin était bien plus qu’un uniforme et qu’une carte d’identité militaire. Par le biais de lettres et d’un portefeuille, l’image « d’un type bien, sympa », qui avait fait ses études dans une école publique, s’était dessinée : il était membre de l’Army and Navy Club de Pall Mall ; il achetait ses chemises à Gieves ; il fumait des cigarettes Navy Cut et il fréquentait le Cabaret Club. Une lettre écrite par son conseiller bancaire irrité au sujet de son découvert – un sujet aussi abordé par son père dans une autre lettre – laissait penser que Martin aimait vivre au-dessus de ses moyens. Pam, la fiancée supposée de Martin, apparaissait sur une photographie (il s’agissait en réalité d’un portrait de Jean Leslie, membre des renseignements britanniques). Il y avait aussi dans le portefeuille la facture d’une bague de fiançailles.

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Jean Stanley posant pour « Pam » dans l’Opération Mincemeat. (Crédit : Archives nationales britanniques/Domaine public/ via Wikimedia Commons)

Mais, affirme Macintyre, l’histoire de Bill Martins avait peut-être été à certains égards « trop parfaite », présentant un risque si les Allemands avaient commencé à l’examiner de plus près.

« Dans les poches de Martin, il n’y avait rien d’inattendu, d’inexplicable, il n’y avait rien d’improbable ou d’inutile », écrit-il. « Tout avait un sens, tout s’ajoutait… Dans la mentalité pervertie des services de renseignement, ce qui semble trop parfait est probablement faux ».

Le même soin et la même attention avaient été donnés à la correspondance officielle qui avait été placée dans le porte-document qui avait été attaché à l’aide d’une chaîne recouverte de cuir au corps de Martin. Le document le plus important était un courrier personnel écrit par Sir Archibald Nye, lieutenant-général et vice-président de l’État-major impérial, à Sir Harold Alexander, un éminent général basé en Afrique du nord.

La formulation de cette supercherie, avait suggéré Montagu, avait été « un rêve de paradis d’avocat véreux ». Il fallait que le cadavre puisse être « simplement identifié, mais de manière indiscutable » et que la lettre entre les deux hauts-responsables militaires contienne « des propos personnels, des éléments laissant penser à une discussion personnelle » – ce qui permettrait d’indiquer pourquoi elle ne comportait pas de signaux codés ou pourquoi elle n’avait pas été confiée à la valise diplomatique.

Un processus minutieux de rédaction et de révision avait suivi, jusqu’à ce que une nouvelle décision soit prise : celle que Nye lui-même écrirait la lettre pour la rendre aussi naturelle et convaincante que possible. Un cil avait été soigneusement été placé dans le courrier de manière à ce que si la missive devait revenir en Grande-Bretagne, les services de renseignement puissent déterminer si elle avait été manipulée par les Espagnols ou par les Allemands.

Le piège est tendu

Officiellement neutre mais dotée d’un réseau d’espions allemands auquel le régime espagnol fasciste de Franco accordait une liberté presque totale, l’Espagne était le lieu s’imposant naturellement pour faire passer de faux plans aux nazis. De plus, le village de Huelva avait été considéré comme particulièrement adapté, non seulement parce que le flux des vagues et des courants était favorable à l’arrivée du cadavre sur le rivage, mais aussi parce que ce port de pêche était farouchement pro-allemand. Adolf Clauss — « un agent allemand très actif… qui entretenait des contacts excellents avec certains Espagnols, officiels et autres », selon Montagu – était de plus considéré comme le genre d’agent de l’Abwehr qui se saisirait rapidement de toute rumeur portant sur le corps sans vie d’un pilote britannique transportant des documents, et qui suivrait cette piste jusqu’au bout.

Le 15 avril 1943, Churchill, encore allongé dans son lit et fumant un cigare dans son quartier-général au sein du complexe souterrain de la salle d’opérations du cabinet, avait donné son feu vert au plan qui était aussi soumis à l’approbation du commandant des Alliés, Dwight Eisenhower. Le Premier ministre avait été fidèle à lui-même dans son enthousiasme à l’égard de la supercherie prévue. Il avait aussi fait preuve d’optimiste quand il avait été mis en garde contre le risque que les autorités espagnoles puissent se contenter de retrouver le cadavre et les documents et de les remettre immédiatement aux Britanniques. « Dans ce cas, il faudra rapatrier le corps et lui faire prendre un nouveau bain », avait répondu Churchill.

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Le Premier ministre britannique Winston Churchill, au centre, lors d’une rencontre avec les leaders des Forces alliées à Alger, en Algérie, le 27 mai 1943. De gauche à droite : le ministre des Affaires étrangères Anthony Eden; le président des chefs d’État-major Sir Alan Brooke; le chef des forces aériennes de la RAF Sir Arthur Tedder; l’amiral de la marine royale Sir Andrew Cunningham; le commandant-en-chef pour le Moyen-Orient, le général Gen. Harold Alexander; le chef d’État-major de l’armée américaine, le général George C. Marshall; U.S. le commandant pour l’Afrique du nord de l’armée, le général Dwight D. Eisenhower; et le commandant de la 8e armée, le général Bernard Montgomery. (Crédit : AP Photo)

Deux jours plus tard, après avoir été obligé de dégeler les pieds de Michael à l’aide d’un radiateur pour pouvoir lui enfiler ses bottes, Montagu et Cholmondeley avaient accompagné le corps lors de son transport depuis Londres vers une base navale située dans l’Ouest de l’Écosse. Le cadavre avait été placé dans une sorte de boîte tubulaire particulière pour le préserver au mieux pendant son séjour en sous-marin. Le lieutenant du sous-marin, Bill Jewell, avait déclaré à son équipage que la boîte contenait un dispositif météorologique top-secret.

L’attention s’était ensuite tournée vers l’Espagne, où l’opération allait connaître ce qui était peut-être sa phase la plus délicate. Une fois le corps entre les mains des autorités, les renseignements britanniques s’étaient engagés dans un numéro d’équilibriste raffiné : Londres, l’ambassade britannique à Madrid et le vice-conseil à Huelva, Francis Haselden, avaient échangé un certain nombre de messages de plus en plus inquiets par téléphone et par télégramme qui, ils le savaient, pourraient être interceptés par les nazis, pour attiser leur intérêt au sujet des documents qui avaient été égarés. Haselden devait sembler désireux de retrouver le porte-document mais ses efforts ne devaient pas être suffisamment soutenus pour que les Espagnols soient tentés de les lui remettre directement, avant même que les Allemands n’aient une chance de les examiner eux-mêmes. Le fait que la marine espagnole – la branche des forces armées de Franco qui affichaient à l’époque le plus de sympathie à l’égard des forces de Sa majesté – se soit saisie des documents était venue compliquer encore davantage les choses.

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Les officiers du sous-marin HM Submarine SERAPH à leur retour à Portsmouth après des opérations en méditerranée, le 24 décembre 1943. (Crédit :Royal Navy official photographer/ public domain/ via Wikimedia Commons)

Haselden, ingénieur à la retraite et homme d’affaires sans aucun antécédent en termes d’espionnage, avait tenu habilement son rôle. Il avait persuadé les Espagnols de renoncer à une autopsie qui avait été prévue en raison de l’odeur épouvantable qui se dégageait du cadavre en décomposition et il avait, avec beaucoup d’adresse, éludé une offre faite par un juge naval qui supervisait le processus de lui rendre directement le porte-document.

Leur intérêt piqué à vif, les Allemands avaient essayé pendant plus d’une semaine d’obtenir le précieux dossier. Après les tentatives répétées et vaines de Clauss, l’agent rusé, qui avait tenté de convaincre les Espagnols de lui montrer les documents, la Gestapo et l’Abwehr, à Madrid, étaient intervenus. Et finalement, avec l’aide du colonel Jose Lopez Barron, le chef de la police secrète de l’Espagne, les nazis avaient obtenu une heure pour regarder les contenus de l’attaché-case – très exactement ce que les Britanniques avaient espéré. Les documents avaient ensuite été rendus aux Espagnols qui, à leur tour, avaient tenté de couvrir les pistes avant de les rendre, enfin, à l’ambassade britannique. Une fois la missive arrivée à Londres par la valise diplomatique, il s’était avéré que le cil avait disparu, laissant penser que les fausses lettres avaient bien été ouvertes. Des tests scientifiques confirmeront ensuite cette hypothèse.

Une aide inattendue

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L’amiral Wilhelm Canaris. (Crédit : Bundesarchiv bild via Wikimedia Commons)

Bien sûr, rien de tout cela n’avait prouvé que les Allemands avaient bien mordu à l’hameçon. Toutefois, les Britanniques avaient obtenu une aide quelque peu inattendue. Les documents avaient été transmis à Berlin par Karl-Erich Kühlenthal, un agent haut-placé des renseignements en Espagne, favori du chef de l’Abwehr, l’amiral Wilhelm Canaris. Kühlenthal était néanmoins un piètre espion, selon Macintryre, dont la fougue et la naïveté avaient entraîné une carrière marquée par de nombreux faux-pas.

Kühlenthal, qui n’avait pas paru seulement envisager la possibilité que les documents soient des faux, avait un désir pathologique de satisfaire ses supérieurs en leur soumettant toute une série d’informations qui s’avéreraient déterminantes en termes de renseignement. Un désir né d’un mélange de paranoïa et d’insécurité qui émanaient en partie du fait que – comme certains de ses collègues en avaient connaissance – il avait une grand-mère juive. Il était protégé toutefois par Canaris qui lui avait donné des papiers d’identité qui l’avaient « aryanisé ». Kühlenthal était, écrit Macintyre, le « messager idéal » pour les lettres contrefaites.

Dans la capitale du Reich, l’Abwehr avait livré son verdict initial, légèrement prudent. « L’authenticité des informations est attestée autant que possible », avait fait savoir le bureau alors que les documents étaient transférés à la plus haute autorité : le FHW, la branche chargée des renseignements du haut-commandement de l’armée allemande. Ces évaluations avaient été transmises directement à Hitler qui avait placé une grande confiance en son chef, le lieutenant-colonel Alexis Baron von Roenne, qu’il avait choisi pour le poste. Von Roenne, pour sa part, avait estimé que les lettres étaient « absolument convaincantes », ne mettant nullement en doute leur fiabilité.

Ce que Hitler ignorait néanmoins à ce moment-là, c’est que von Roenne, outré par les atrocités dont il avait été témoin en Pologne, était devenu un anti-nazi fervent et qu’il transmettait à dessein des informations qui, il le savait, étaient mensongères. Hitler, qui avait initialement demandé s’il était possible que le cadavre ait été « délibérément placé entre nos mains », n’avait plus eu le moindre doute lorsque von Roenne avait fait son évaluation. Pour Hitler, les Alliés, de surcroît, ne faisaient qu’enfoncer des portes ouvertes : cela faisait longtemps qu’il pensait qu’une attaque pourrait survenir depuis la Grèce ou les Balkans et que la Sardaigne serait également prise pour cible.

Mussolini, accroché à l’idée que la Sicile restait le lieu le plus probable pour une attaque des Alliés, avait été mis de côté. La Grèce, la Sardaigne et la Corse devaient être défendus « quel qu’en soit le prix », avait ordonné Hitler. Dans le haut-commandement nazi, ceux qui avaient douté – comme Josef Goebbels, qui avait confié son scepticisme au sujet des documents dans son journal intime – s’étaient tus. La machine militaire allemande avait commencé à réorienter son attention comme les Britanniques l’avaient espéré : Une division Panzer de 18 000 personnes avaient été transférée de France vers la ville de Thessalonique ; des troupes et des avions allemands étaient partis pour la Sardaigne, pour la Grèce et pour les Balkans ; et des navires torpilleurs avaient quitté la Sicile en direction des îles grecques. En contraste, peu d’initiatives avaient été prises pour renforcer les défenses en Sicile.

Grâce à ses systèmes de décodage à Bletchley Park, les services de renseignement britanniques avaient décelé les premiers signes indiquant que l’Allemagne était tombée dans le piège le 14 mai 1943. Un Churchill aux anges avait appris que « Mincemeat swallowed, rod, line and sinker » (la viande hachée a été avalée, tout a été gobé). Pour Montagu, les renseignements obtenus au cours des jours « merveilleux » qui avaient suivi avaient été la preuve que le succès de l’Opération avait été total.

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Les troupes alliées défilent dans une ville sicilienne alors que la population les regarde dans le calme pendant l’invasion de Sicile par les Alliés, le 26 juillet 1943. (Crédit : AP Photo)

En date du 9 juillet 1943, l’invasion par les Alliés de la Sicile avait été lancée. Mais alors même qu’elle commençait, les Allemands avaient paru rester convaincus qu’il s’agissait peut-être d’une ruse. Quatre heures après le début de l’attaque, 21 avions allemands avaient quitté l’île pour renforcer la défense du reich en Sardaigne.

Comme le détaille Macintyre, les victimes britanniques avaient été bien moins nombreuses que ce qui avait été prévu, comme cela avait été aussi le cas des navires détruits. La campagne visant à capturer la Sicile qui devait durer au moins trois mois, avaient estimé les Alliés, s’était terminée en 38 jours seulement. De plus, Hitler, qui craignait toujours une possible invasion des Balkans, avait envoyé un grand nombre de soldats qui se trouvaient sur le front oriental où la bataille de Kursk faisait rage, vers la Méditerranée pour renforcer ses troupes. Cette initiative avait profité à l’Armée rouge et les Soviétiques ne l’avaient jamais regretté.

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Les forces alliées – troupes, équipements et transports – prêts à passer à l’acte au début de l’invasion par les Alliés de l’île italienne de Sicile, le 10 juillet 1943. (Crédit : AP Photo/BOP)

Le rôle tenu par l’Opération Mincemeat ne peut pas être isolé d’autres facteurs déterminants – et sûrement pas de l’obsession de Hitler à l’égard des Balkans et de sa méfiance face aux Italiens – qui avaient eux aussi contribué à la victoire des Alliés en Sicile, une réussite qui avait été une étape essentielle dans la campagne qui devait entraîner la victoire contre le nazisme. Mais cette supercherie a, sans aucun doute, eu une utilité et elle a aidé à sauver la vie de milliers de soldats britanniques et américains.

Et pour cette raison, dit Macintyre, Montagu mérite véritablement d’être reconnu. « Sans ce mélange bien à lui d’extrême prudence et d’audace extrême, l’Opération Mincemeat n’aurait jamais pu avoir lieu », dit-il.

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