Les catholiques antirépublicains de la Fraternité Saint-Pie-X

Château-Thébaud (44) – Au bout de la longue allée de platanes superbement entretenue et derrière les grilles qui barrent l’entrée, apparaît l’immense bâtisse. Une « folie » du XVIIIe siècle, un temps convertie en hôpital puis rachetée en 2013 par la « Fraternité » pour la modique somme de 1,4 million d’euros. C’est aujourd’hui une école hors contrat et un internat qui accueillent plus de 180 garçons répartis sur dix niveaux. Grâce à une extension tout juste achevée, ils pourront bientôt accueillir 220 élèves. Un établissement non-mixte aux valeurs très conservatrices, dirigé par les prêtres en soutane de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) et financé intégralement par les dons des fidèles.

À Nantes, la capitale régionale située à une vingtaine de kilomètres, la Fraternité a également fait construire en 2018 une église pour trois millions d’euros, là aussi financés par les dons. La FSSPX use du dispositif légal permettant de défiscaliser plus des deux tiers des dons qui lui sont versés. Les esprits chagrins pourraient ainsi s’offusquer que l’État finance, du moins indirectement, des discours aux forts relents séparatistes.

Une église puissante

La Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) est une communauté catholique traditionaliste fondée en 1970 par Marcel Lefebvre. Elle est née en opposition au Concile de Vatican II et rassemble la frange la plus intransigeante, anti-moderne et ultra-conservatrice de l’Église catholique. Les relations tendues avec Rome vont aboutir en 1988 à l’excommunication de Lefebvre qui va, contre les ordres du pape, ordonner quatre évêques, qui seront également bannis de l’Église. Mais, le 24 janvier 2009, le pape Benoît XVI signe l’acte levant leur excommunication, amorçant un timide rapprochement entre la FSSPX et l’Église de Rome.

La Fraternité Saint-Pie-X rassemble la frange la plus intransigeante, anti-moderne et ultra-conservatrice de l’Église catholique. /
Crédits : Yann Castanier

Discrète, la Fraternité n’en est pas moins puissante. Elle revendique 600.000 fidèles à travers le monde dont 35.000 dans l’Hexagone. Selon un ancien prêtre de la communauté interrogé par StreetPress, elle compterait en réalité en France plutôt 15.000 à 20.000 fidèles. Une communauté nombreuse et très soudée dont bon nombre des membres sont issus de familles venant de l’ancienne aristocratie française ou de la grande bourgeoisie catholique.

Riche aussi. Un budget de 38,4 millions d’euros en 2011 dont 13 millions de placements financiers, révélait le journaliste Luc Chatel dans son ouvrage Civitas et les nouveaux fous de Dieu (Temps présent éditions, 2014), soulignant que cette intense activité financière colle assez peu avec les enseignements de la Bible… Mais ça rapporte : un million d’euros selon Luc Chatel. Auquel il faut ajouter trois millions d’euros de dons récoltés par le district de France de la FSSPX – toujours en 2011 – ainsi que près de trois autres millions issus du produit des quêtes et du denier du culte. Les anciens fidèles nous racontent des sollicitations constantes pour des dons. Dans une précédente enquête, StreetPress révélait aussi des méthodes d’enrichissement douteuses et notamment de captation d’héritage.

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La Fraternité est implantée sur tout le territoire français : StreetPress a recensé plus de 230 lieux, églises, chapelles, monastères, etc. qui, dans l’immense majorité, lui appartiennent et permettent de la faire rayonner. Mais aussi 59 écoles, collèges ou lycées tous hors contrat en France métropolitaine. Il y a même une université et une maison de retraite, histoire de finir ses vieux jours sans être soumis à la tentation du monde extérieur… De quoi garantir, aussi, un contrôle strict des fidèles de vie à trépas. L’organisation a d’ailleurs fait l’objet de nombreux signalements auprès de la la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) qui dans son rapport de 2016/2017, la qualifie de « mouvance sectaire ».

Le prêtre, un gourou à domicile

Figure centrale dans la vie des fidèles de la FSSPX, le prêtre est à la fois confesseur, directeur de conscience, conseiller matrimonial… « Tous les 15 jours, nous avions un prêtre qui venait à la maison pour le déjeuner dominical », raconte à StreetPress André (1), un homme qui a commencé à côtoyer la Fraternité vers ses 13 ans, au début des années 80. « Il donnait des conseils à mes parents sur comment se vêtir, qui fréquenter, quoi penser. Mais ces conseils faisaient figure d’ordre. »

Notre témoin se souvient de cette injonction lancée au père de famille, qui avait une très belle situation, de quitter la présidence d’un club équivalant au Rotary qu’il occupait alors. « Et c’est ce que mon père a fait. » Comme nombre des autres témoins que nous avons pu interroger, il assure :

« La FSSPX est une secte. »

Les injonctions répétées des prêtres à rejeter le monde moderne et, plus généralement « tout ce qui n’appartient pas à la Fraternité », peuvent provoquer des réactions exacerbées. André se souvient ainsi d’une famille qui avait installé des petits rideaux aux vitres arrière de sa voiture pour que les enfants ne soient pas « exposés au monde que leurs parents rejettent ». « J’ai parfois essayé de tempérer les messages de mes confrères qui insistaient pour que la femme ne travaille pas et élève les enfants, pour qu’elle ne porte pas de pantalon, pour qu’il n’y ait pas de télévision à la maison. », décrit Bernard (1), l’ancien prêtre de la FSSPX avec lequel nous avons pu nous entretenir :

« Je me suis souvent heurté à un mur, les fidèles me répondaient : “C’est notre abbé, notre guide, il a raison”. Ces familles étaient subjuguées. »

Le soutien aux religieux est sans failles et en toutes circonstances. En 1998, des jeunes scouts marins, un mouvement contrôlé par la FSSPX, sont morts alors qu’ils étaient sous la responsabilité d’un religieux de la Fraternité, l’abbé Cottard. Les familles des victimes avaient soutenu l’abbé, qui a été reconnu coupable d’homicides et blessures involontaires et de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence. Après avoir purgé sa peine de prison, il a trouvé un point de chute comme « simple prêtre » au sein de la Fraternité. Presque naturellement. Les religieux bénéficient d’une immunité quasi totale au sein de la FSSPX.

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Où s’arrêtera la mode des chaises Quechua ? /
Crédits : Yann Castanier

André se souvient ainsi d’une remarque choquante qu’un prêtre lui avait faite à 17 ans. Alors que ce dernier s’était rendu chez ses parents pour dénoncer « les mœurs immorales » d’un autre abbé de la Fraternité, il met en garde le jeune homme « tu ne dois pas le dénoncer, nous sommes des alter christus, si tu dénonces un prêtre c’est que tu dénonces le Christ ». Ou comment menacer un jeune adulte de devenir un Judas et d’enfreindre la loi en ne dénonçant pas des crimes…

Séparatisme

Ces témoins racontent que certains religieux de la Fraternité insistent lourdement pour que les fidèles ne côtoient pas de personnes extérieures à la communauté. «  Mon père, qui adorait recevoir, a coupé tous ses liens avec ses anciens proches qui n’étaient pas dans la Tradition », se désole André :

« Les prêtres nous déconseillent d’aller à la plage avant 20 heures pour éviter de croiser des femmes seins nus. Pendant la Manif pour tous, nous avons défilé à part car de la musique pop était diffusée dans les cortèges. »

« Chez nous, on n’avait pas la télé, comme l’enseigne la Fraternité », raconte Martine (1), élevée dans la communauté mais qui a fui récemment ce qu’elle dénomme « la secte ». Une partie de sa famille en est toujours membre. « Ce qu’on nous répète, c’est que les films prônent des valeurs progressistes qui sont contraires à ce que dit l’Église et que les médias mentent pour nous couper de l’information ».

Un embrigadement qui commence dès le plus jeune âge. « C’est une éducation qui vise à mettre le prêtre au-dessus de la communauté, c’est une soumission », estime un de nos témoins. « On a mis nos enfants dans leurs écoles, on a déménagé pour ça, on a tout fait comme ils nous disaient pour “sauver notre âme”. Mais ils ajoutent toujours plein de nouvelles choses, de nouvelles règles… Résultat, on n’est jamais à la hauteur, on ne fait jamais assez bien » déplore Martine.

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Ici, on ne diffuse pas de musique pop satanique. /
Crédits : Yann Castanier

Dès l’école

« J’ai vu des cas de familles, surtout des nouveaux convertis qui arrivaient dans la Fraternité, totalement sous l’influence de confrères prêtres qui insistent pour que les enfants soient placés dans les écoles de la communauté en alléguant qu’il s’agit des seules écoles vraiment catholiques », abonde Bernard, qui a passé plusieurs années dans divers établissements de la Fraternité.

Bernard nous confie avoir été témoin de nombreuses violences pendant sa scolarité :

« Les gifles, ça tombe comme à Gravelotte et toujours en public, pour ajouter à l’humiliation ».

Gérard, lui, dénonce des brimades, des violences et ce qu’il définit comme de l’exploitation exercés dans des pensionnats de la Fraternité.

En 2008, une épidémie de rougeole est partie des écoles et des camps de vacances de la FSSPX, selon les conclusions d’une enquête de la Miviludes. Celle-ci avait notamment mis en cause des carences dans la couverture vaccinale de la communauté. Des dérives parfois gravissimes, qui sont finalement résumées par ce souvenir d’André qui explique que sa mère s’était plainte auprès du prêtre qui gérait l’école de son fils de la vétusté et la dangerosité des locaux et qui s’était vu répondre : « Ces enfants ont leurs anges gardiens ».

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L’embrigadement commence jeune. /
Crédits : Yann Castanier

À l’extrême droite du Père

« J’ai été témoin de beaucoup d’insultes racistes pendant ma scolarité », explique Gérard, qui est racisé. « Assez peu envers moi comme j’étais considéré comme une bon catholique pratiquant et donc “sauvé” ». Il poursuit :

« Les personnes de couleur étaient souvent associées à des Musulmans, des infidèles et donc des personnes à combattre. Même chose pour les Juifs dont on nous apprenait qu’ils avaient trahi notre seigneur Jésus-Christ. Il fallait soit les convertir, soit les combattre. »

Reste ce souvenir d’humiliation : « Lors d’une veillée devant un grand feu, on avait passé une partie de la soirée à chanter des chansons, certaines venant du répertoire de la Légion étrangère, quand un des abbés a demandé à mes camarades noirs et à moi-même de faire quelques danses traditionnelles. C’était très humiliant. »

L’enseignement n’échappe pas à l’idéologie d’extrême droite prégnante au sein de la Fraternité. S’il est difficile de donner une orientation politique aux mathématiques et à la physique-chimie (encore que), l’enseignement de l’histoire est lui, largement revisité. Qu’il soit dispensé par des clercs ou des laïcs. « Il y a un attachement certain pour le régime de Vichy et pour la figure du maréchal Pétain, c’est une constante », raconte Bernard. Même chose pour Gérard qui explique avoir été également confronté à des propos négationnistes pendant des cours d’histoire dans les années 90.

André, quant à lui, témoigne qu’un prêtre qui s’occupait d’une école qu’il a fréquentée faisait circuler à ses élèves les Protocoles des Sages de Sion. Un livre antisémite et complotiste du début du XXe, censé présenter le plan de conquête du monde établi par les Juifs et les francs-maçons. Si l’ouvrage est un faux grossier créé de toutes pièces par la police des Tsars, il n’en reste pas moins une référence dans certaines franges de l’extrême droite.

Cet enseignement a une influence sur les jeunes. Gérard nous montre une photo d’une soirée à l’internat avec ses camarades de classe où l’un des lycéens fait un salut nazi. « On pourrait se dire : “Il est jeune, il ne sait pas ce qu’il fait”. Mais quand on connaît ce milieu où on parle ouvertement et sans gêne de voter pour l’extrême droite, on ne peut pas croire que ce geste est seulement un geste de provocation ». À cela s’ajoute une exaltation des dictateurs catholiques (et d’extrême droite) comme Franco ou Pinochet, présentés comme « des grands hommes » lors des cours d’Histoire, ajoute Gérard. L’homophobie est également omniprésente, selon nos interlocuteurs.

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Gérard a une photo d’une soirée à l’internat de la Fraternité avec l’un des lycéens faisant un salut nazi. « Quand on connaît ce milieu où on parle ouvertement et sans gêne de voter pour l’extrême droite, on ne peut pas croire que ce geste est seulement un geste de provocation. » /
Crédits : DR

Haine des Juifs, des francs-maçons, des musulmans, des LGBT+… Cette propagande d’extrême droite ne s’arrête évidemment pas à la sortie des écoles. Bernard raconte avoir été choqué par des sermons de prêtres qui n’hésitaient pas à parler politique en chaire. Mais surtout avoir été dérangé par la proximité entre la Fraternité et le Front national de l’époque de Jean-Marie Le Pen :

« Nous avions notre stand aux BBR, cette grande kermesse annuelle du Front. Le soir du premier tour de l’élection de 2002, des prêtres ont quitté le prieuré où je résidais pour aller fêter la qualification de Le Pen au local du FN de la ville. »

D’autres évoquent des liens persistants avec des organisations d’extrême droite radicale, à l’image de Civitas par exemple.

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Chirac, serviteur de Satan

Saint-Nicolas-du-Chardonnet est sans doute le vaisseau-amiral de la FSSPX en France. Cette paroisse située au cœur de Paris, sujet de fortes crispations entre la Fraternité qui l’occupe illégalement depuis 1977 et l’Église, est très courue. Un de nos interlocuteurs raconte que jusqu’à cinq messes y sont organisées le dimanche, afin que la multitude de fidèles, trop nombreuse pour la capacité des lieux, puissent assister à l’office et entendre les discours aux accents antirépublicains.

En témoigne ce prêche prononcé par l’abbé Chautard et diffusé sur les réseaux sociaux cet été. En parlant de la République, il dit : « Regardez ces lois immorales qui sont votées. Regardez ces vices qui sont encouragés, légalisés, remboursés. Cet avortement. Ces mœurs contre-nature ».

Et de poursuivre :

« Regardez cette prétention à la liberté de conscience, à la liberté d’expression, à la liberté de penser, c’est la liberté de refuser la révélation de Dieu. C’est la liberté de refuser de se soumettre à la parole de Dieu. C’est ça que ça veut dire. C’est un écho de ce cri de Lucifer. […] Quand Jacques Chirac, feu Jacques Chirac, disait qu’il ne peut y avoir de loi religieuse au-dessus des lois de la République, n’était-il pas le porte-voix du non serviam de Lucifer  ? »

Au diable les lois de la République, en somme.

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Sur la route du séparatisme. /
Crédits : Yann Castanier

_(1) Les prénoms ont été modifiés
Contactée, la FSSPX n’a pas répondu aux questions de StreetPress
Enquête de Maxime Macé et Pierre Plottu. Photos de Yann Castanier.



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