Le chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne: «Ne vous lassez pas de l’Ukraine» – Vatican News

A l’occasion du Noël des Églises qui suivent le calendrier julien, l’archevêque majeur de Kiev et de Galicie, Sviatoslav Chevtchouk, chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne, répond aux questions de la rédaction ukrainienne de Radio Vatican-Vatican News.

Svitlana Dukhovych – Cité du Vatican

Votre Béatitude, à Noël, nous célébrons la naissance du Fils de Dieu. Probablement qu’en temps de guerre, lorsque tant de personnes perdent la vie, il est difficile de connaître la joie du temps de paix. Comment la signification de Noël change-t-elle dans ce contexte?

Lorsque nous entendons le mot Noël, les plus beaux sentiments et les plus belles images de notre enfance nous viennent à l’esprit: des sentiments de chaleur humaine, de paix, de joie, la présence de nos parents… C’est une fête familiale. Malheureusement, le Noël célébré dans un contexte de guerre défie certainement cette image. Aujourd’hui, en Ukraine, de nombreuses personnes ne peuvent plus réunir toute la famille pour le repas de Noël. Pratiquement dans chaque famille, il y a quelqu’un qui se bat au front, et beaucoup pleurent donc la perte de leurs proches cette année: tant de familles sont séparées, les épouses avec leurs enfants ont été obligés de quitter leur ville, leur pays, et les maris défendent leur patrie en armes et se battent pour l’avenir.

Il y a beaucoup de peur en Ukraine aujourd’hui à cause des attaques constantes de missiles, des drones kamikazes qui s’abattent sur nos têtes tous les jours. Nous sommes dans le noir, dans le froid. Ainsi, l’image de Noël que nous portons depuis notre enfance est remise en question ou complètement démantelée. Pourtant, même dans les conditions de la guerre, le Seigneur nous révèle une autre signification de cette fête: nous apprenons à considérer l’événement de la naissance de notre Sauveur parmi les hommes non pas simplement d’un point de vue humain, mais d’un point de vue divin; non pas une fête humaine, une fête que l’on célèbre plusieurs fois, mais un sens éternel de Noël, valable pour tous les hommes de tous les temps et de toutes les cultures.

Nous voyons que le Seigneur est entré dans l’histoire humaine pour compatir avec tous, avec nous qui souffrons. Il a d’abord connu l’obscurité et le froid de Noël parce qu’il n’a pas trouvé de place dans le cœur des gens, dans la société humaine. Il s’est d’abord fait pauvre en effet, vidé de sa gloire céleste pour partager la pauvreté avec les pauvres: il est né dans une crèche, dans une grotte obscure, il a accepté d’être enveloppé dans un corps, d’être comme les êtres humains, attaché à des langes, et de dissoudre ainsi tout ce qui nous asservit. Lui, le Roi éternel de gloire, respecte le décret de recensement de César proclamé par le pouvoir humain. Lui, Seigneur de l’histoire, se fait esclave pour libérer de l’esclavage tous ceux qui se sentent opprimés par un pouvoir humain injuste. Et donc, du point de vue du Divin, le sens de cette fête nous inspire sérieusement, car se réjouir dans un contexte de guerre est humainement impossible, nous pleurons, c’est le premier sentiment. Mais nous voyons que même au milieu des larmes, la joie naît, la divine, pas l’humaine, car les anges eux-mêmes chantent: «Gloire au plus haut des cieux». Dans cette terre éprouvée par la guerre, les anges annoncent la paix au peuple aimé de Dieu, la bienveillance divine. Ils l’annoncent à nous, qui avons vraiment été dépouillés de tout: de la paix, de nos maisons, de nos biens terrestres. Et le Roi éternel de gloire vient partager les biens éternels avec nous qui vivons dans les ténèbres, sans chauffage à cause des attaques de missiles.

Il vient pour être lui-même notre lumière, notre espérance. Imaginons comment nos frères et sœurs des zones occupées, où ils n’auront pas la possibilité de se rendre à la liturgie, pourront célébrer ce Noël. Imaginons comment nos frères et sœurs qui ont été mis en prison par les occupants russes et torturés vont célébrer, ou comment les centaines de milliers de personnes chassées de chez elles vont célébrer. Mais le Seigneur naîtra là, parmi eux, et sera notre joie. Ainsi, Noël sera là malgré ces circonstances dramatiques, et le Seigneur lui-même sera notre joie, notre lumière et notre espérance.

Compte tenu des graves problèmes d’électricité et de chauffage que vous rencontrez à cause des attaques à la roquette, comment comptez-vous célébrer Noël cette année?

D’un point de vue spirituel et théologique, nous voyons que Noël est un moment d’échange de cadeaux. Dieu en Jésus-Christ s’est fait pauvre pour enrichir les pauvres, il s’est fait un parmi nous, un esclave pour nous libérer de notre esclavage et de notre oppression. C’est pourquoi, toujours dans le cadre des célébrations de Noël, il y a aussi la tradition de l’échange et du partage des biens. En Ukraine, nous avons l’ancienne tradition de chanter des hymnes de Noël appelés «kolyady». Des groupes de chanteurs portant l’étoile de Bethléem vont de maison en maison pour apporter des vœux et des bénédictions à toutes les familles, et chaque personne attend impatiemment chez elle ces chanteurs, car ils sont considérés comme des messagers de la bénédiction divine auxquels on offre des cadeaux en retour. Eh bien, cette année, les cadeaux que ces chanteurs collectent sur leur chemin pour apporter la joie de Noël partout, ils les partageront avec les plus pauvres, ceux qui sont dans le besoin, pour apporter de l’aide à ceux qui vivent sur la ligne de front, car de nombreux civils n’ont pas quitté leurs villages.

En langage militaire, la ligne de front s’appelle le «niveau zéro» ou le «point zéro», et nos chanteurs s’y rendront pour associer aux chansons des signes plus tangibles de solidarité: vêtements, générateurs électriques, aide humanitaire. Nous vivrons véritablement un échange de cadeaux, en y voyant non seulement une simple aide humanitaire mais surtout un sens spirituel profond, une solidarité qui sauve des vies. Dieu, en s’incarnant, est solidaire de l’humanité, et en célébrant cette fête, nous devons être porteurs de la solidarité humaine et chrétienne avec tous ceux qui sont plongés dans la pauvreté la plus dure causée par la guerre.

Noël, dites-vous, est une période d’échange de cadeaux et de solidarité avec les derniers et les marginaux, et aujourd’hui en Ukraine, ils sont nombreux. Y a-t-il des catégories de personnes pour lesquelles vous souhaitez demander une attention particulière?

Un tiers de la population est déplacé à l’intérieur du pays. C’est un nombre énorme, des millions de personnes, personne ne connaît le nombre exact. Mais je dois souligner qu’il n’y a pas de camp de réfugiés ou de zone de déplacés en Ukraine, car toutes ces personnes sont reçues, accueillies et réintégrées dans le tissu social là où elles se trouvent. Il est évident que ce n’est pas un travail facile. La plupart d’entre eux sont des enfants, des femmes et des personnes âgées, les plus vulnérables de la société. Et puis, nous avons aussi un grand nombre de blessés qui ont besoin de soins médicaux qualifiés et d’un accompagnement psychologique. Par conséquent, guérir les blessures de ce peuple aujourd’hui est un grand défi pour tous: pour l’Église, qui offre un accompagnement spirituel, pour les psychologues et les médecins.

Le Pape François et Mgr Chevtchouk, en juillet 2018.




Le Pape François et Mgr Chevtchouk, en juillet 2018.

En outre, comme nous l’avons mentionné, de nombreuses personnes sont aujourd’hui sans ressources. J’ai récemment visité les villages de la région de Kherson, qui ont été libérés il y a peu: les personnes qui sont revenues les ont trouvés complètement détruits. Imaginez que l’on puisse passer l’hiver dans un foyer pour sans-abri, mais que l’on n’ait nulle part où aller. Avec les subventions qu’ils reçoivent de l’État, ils ne peuvent pas survivre dans les grandes villes. Ce sont donc des personnes qui ont besoin d’une aide réelle là où elles vivent. Beaucoup tentent de rentrer chez eux, même si c’est parfois dangereux, et ce sont ces catégories de personnes qui font l’objet de notre attention chrétienne et humaine. Nous essayons de rester proches d’eux, de les accompagner avec ce que nous pouvons, grâce aussi à l’aide de l’Église dans toutes les parties du monde. De nombreuses personnes en Allemagne, en France, en Italie et dans d’autres pays du monde ont pensé à l’Ukraine pendant la célébration de Noël, et nous leur sommes vraiment reconnaissants d’avoir une pensée pour ceux qui souffrent.

Depuis le début de la guerre, l’Église ukrainienne gréco-catholique s’est efforcée d’aider les victimes, les personnes déplacées et les blessés. Y a-t-il un exemple particulier de contribution que votre Église apporte pour soulager les besoins des gens, qu’ils soient concrets ou spirituels?

Depuis le début de cette guerre de grande envergure, nous avons pris certaines décisions qui, à mon avis, ont été très importantes pour nous tous. La première était de rester proche de notre peuple. Nous restons sur le terrain, même si c’est parfois au prix de notre vie. Et donc nos évêques, moines, prêtres sont restés dans leurs paroisses, les évêques dans leurs sièges. Je peux donner trois exemples très concrets et tangibles.

La première concerne la ville de Kharkiv, qui se trouve à 20 km de la frontière russe. Elle était la plus exposée aux attaques et reste à ce jour l’une des principales cibles des bombardements. Dans cette ville, notre Église construit la cathédrale, qui n’est pas encore achevée, mais le sous-sol a déjà été dégagé pour les services liturgiques. Le cardinal Leonardo Sandri, lors de sa dernière visite en Ukraine, a visité cette église, qui est maintenant devenue un dépôt d’aide humanitaire. Vous pouvez imaginer: l’intérieur d’une cathédrale qui, du sol à la coupole, est rempli de paquets d’aide humanitaire. Disons que c’est un centre de distribution logistique, car de la Pologne ou de la Hongrie à Kharkiv, il y a près de 3 000 km, c’est un très long trajet. Et là, dans cette cathédrale en construction, trois fois par semaine, entre 2 et 4 mille personnes arrivent pour recevoir de la nourriture, du pain pour survivre, parce que la ville est détruite, il n’y a pas de travail, les magasins sont à moitié fermés et même si vous avez de l’argent, vous ne pouvez pas acheter ce dont vous avez besoin. Et notre évêque, Vasyl Tuchapets, est là, sous les bombardements, à distribuer de la nourriture à ces gens. Sans sa présence sur place, nous n’aurions pas été en mesure d’organiser ces centres logistiques pour acheminer l’aide sur place.

L’autre exemple est le monastère basilien de Kherson, une ville qui avait été occupée. Je me souviens que jusqu’en mai, il était possible d’y envoyer de l’argent, mais l’aide humanitaire ne pouvait plus être acheminée. En pratique, à un certain moment, les pères basiliens pouvaient recevoir de l’argent par l’intermédiaire d’une banque ukrainienne locale, qui fonctionnait encore, et avec cet argent, ils pouvaient acheter aux agriculteurs locaux les produits dont ils avaient besoin pour nourrir la population, ce qui rendait également heureux les agriculteurs eux-mêmes, qui autrement n’auraient eu personne à qui vendre leurs produits. De cette manière, une micro-économie a été maintenue dans la zone occupée grâce au fonctionnement de ce monastère. Les pères ont été menacés à plusieurs reprises de perquisitions. Nous avons beaucoup prié pour eux, surtout lorsque le front est passé dans cette région. Deux semaines avant la libération, nous avions perdu tout contact avec eux, même par téléphone, car les Russes avaient détruit tous les mâts de téléphonie mobile. Puis, lorsqu’ils ont réussi à nous contacter, nous avons appris qu’ils avaient tous survécu, que le monastère avait survécu et que les habitants des environs s’en étaient sortis grâce à la présence du monastère. Ce fut un moment de grande joie pour nous.

Le troisième exemple est la ville de Berdyansk, sur la mer d’Azov, qui est toujours occupée. Là, deux prêtres rédemptoristes étaient les seuls de la région à célébrer les messes en rite latin et les liturgies en rite byzantin pour notre peuple. Ils ont été arrêtés et se trouvent maintenant dans une prison russe. Nous avons des rapports selon lesquels les deux ont été torturés pour avouer des fautes qu’ils n’ont pas commises. Ils ont inventé qu’ils trouveraient des armes dans l’église. Leur cas est très douloureux, ils vivent un véritable martyre, et c’est pourquoi nous lançons un appel insistant à tous – aux représentants du corps diplomatique, aux organismes internationaux – pour que ces prêtres puissent être libérés, car leur seule «faute» est d’avoir prié avec leur peuple.

Comme vous pouvez le constater, il s’agit de trois exemples de gravité croissante. Dieu merci, Kharkiv n’a jamais été occupé, Kherson a d’abord été occupé puis libéré, et Berdyansk est toujours sous occupation, où les prêtres et leur peuple sont victimes de brutalités.

Votre Béatitude, quel est votre appel au monde près de 11 mois après le début de l’invasion russe en Ukraine?

Il y a deux messages que je voudrais transmettre en ce moment. Premier message: ne pas considérer la guerre en Ukraine comme la guerre ukrainienne. Non, il s’agit vraiment d’une guerre qui remet en cause l’ordre mondial, car il s’agit non seulement de crimes contre le droit international, mais aussi contre l’humanité. Si, au début du troisième millénaire, nous sommes incapables d’arrêter l’agresseur – un pays plus fort et plus grand qui attaque délibérément son voisin plus petit et plus faible – alors la civilisation de notre monde est sérieusement menacée. Des crimes contre l’humanité sont commis chaque jour, et si ces crimes ne sont pas condamnés en tant que tels, nous ne pourrons pas assurer une coexistence pacifique sur la planète. Le Pape François a donc raison lorsqu’il dit que nous avons affaire aujourd’hui à une troisième guerre mondiale en morceaux.

Et le deuxième message est le suivant: ne vous lassez pas de l’Ukraine. Même si la guerre disparaît des nouvelles, des médias, il n’est ni humain ni chrétien d’oublier cette douleur. Ne nous laissez pas seuls, ne nous oubliez pas. Faisons tout ensemble pour arrêter cette guerre. Et nous sommes capables de le faire, j’en suis convaincu, mais nous ne devons pas être indifférents. Nous ne pouvons pas rester silencieux lorsque la terre, ou plutôt le sang innocent, crie avec la voix d’Abel au Créateur.

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