La culture de la Déconfiture : une attitude préférentielle haïtienne


tribune

          Chaque peuple est le tisserand de son propre destin. Ce processus passe nécessairement par la culture. C’est le creuset de toutes les manifestations favorisant la germination de l’identité particulière d’un peuple. On dirait le cordon ombilical ou le berceau matriciel de la mentalité qui définit ce peuple. Et, par-delà les apparences sensibles, les conduites et attitudes circonstancielles, périodiques, cycliques. La culture d’un peuple ne se modifie point dans son essence, dans son germe, dans ce qui constitue la force motrice des actes quotidiens dessinant l’aquarelle de sa vie sociale en permanence. C’est ce qu’il convient de désigner sous le vocable « mentalité ». La mentalité prime sur la culture. La culture retentit à travers toutes les institutions de la société. Un mensonge séculaire se hasarde dans une propagande promouvant l’idée du changement en prenant pour piliers les institutions ecclésiales, les écoles, les établissements de travail. Les métamorphoses affectant la vie d’un peuple sont comparables à la grande variété de peintures modifiant l’extérieur d’un édifice sans que soient ébranlées sa fondation véritable et son image réelle. Un survol est requis afin d’asseoir nos affirmations. Après avoir défini les vocables clés tels : culture, identité, mentalité, nous nous proposons de révéler avec justesse et certitude les causes profondes des crises aiguës que traverse la société haïtienne. Une innovation enrichissante : nous procéderons à partir de treize (13) paradigmes pour illustrer nos propos.

          I. Mise en place préliminaire

          Culture : Ici nous parlons de la culture comme un héritage social, un vécu en commun, une mémoire historique. Elle imprègne l’ensemble de nos activités et influence nos comportements les plus évidents et les plus naturels. Elle est l’expression de notre créativité propre, une manifestation judicieuse de notre marque d’originalité et de notre capacité d’imaginer l’avenir.

          Identité : La conviction d’appartenir à un groupe humain, reposant sur le sentiment d’une communauté géographique, linguistique, culturelle et entrainant certains comportements spécifiques s’appelle l’identité sociale ou nationale.

          Mentalité. La mentalité précède les deux vocables précédents. Elle en est l’origine et la somme. C’est aussi en ce sens que l’on en parle comme l’âme nationale, l’esprit du peuple. Elle englobe les habitudes intellectuelles, les croyances, les dispositions psychiques caractéristiques d’un groupe. Elle se résume aux manières d’agir, de penser, de juger.

 

          En nous évertuant à transposer ces notions sur le plan du quotidien concret haïtien, nous préférons la crudité des faits sociaux aux pâles démonstrations théoriques. Nous allons glaner, dans le champ familier à tous les Haïtiens, les contusions et les plaies qui font de notre nation un cas d’agonie pénible au médicament rarissime. Néanmoins, notons par ailleurs un phénomène qui s’impose à tous par son caractère catastrophique. En effet, « le pays haïtien est constamment en proie à un danger majeur, flagrant et suicidaire. Il réside dans la présence préjudiciable sur la scène politique d’une large troupe de ‘perroquets des citations livresques’ dénués de substance et de puissance de raisonnements véritables. Ils sont teintés du vernis fragile d’une scolarité en cascade qui ne résiste pas aux gifles de la corruption régnant en maitresse. Avec eux, c’est le constat d’une absence absolue de conviction patriotique et d’un attachement fatidique à la déchéance et à la honte. » (Rabbi Yaakov Betzalel HaShalom, Profil de l’Intellectuel Sous-développé, Michael A. HaKohen Publishing Company, New York, USA 2007). Cela voudrait-il dire que nous ne pouvons compter même pas sur nos esprits les plus doctes ? Ou sommes-nous à la fois les victimes et les bourreaux de notre propre sort ? Élucidons tout cela à partir de paradigmes relevés dans notre quotidien.

          II. Les Paradigmes : Regards sur la vraie vie de l’haïtien

          (I) Une jeune fille enfante un garçon. Elle choisit le nom de son fils et requiert son acte de naissance du bureau de l’État civil de sa ville. Sa mère et ses sœurs aînées déclarent que le choix du nom octroyé par la jeune fille à son fils est prétentieux, arrogant, impertinent et elles lui imposent un autre nom à connotation péjorative. Elle s’entête et ne s’en remet pas. (2) À l’école primaire, l’institutrice fait l’éloge de son fils, le meilleur de sa classe, mais prétend avoir peur pour lui parce qu’il est physiquement de loin plus petit que les autres, des bourreaux. Ainsi, elle sourit, narquoisement, et offre à la jeune fille que son fils soit son assistant l’année prochaine en redoublant la classe en qualité de professeur. La jeune fille rit du serpent à sonnettes. En quatrième (4e) année, au premier jour de classe, une institutrice regarde le fils droit dans les yeux et lui dit : « Tu cesses dès aujourd’hui d’être le meilleur et tu seras toujours le dernier. » Pour cela, sans raison, elle l’expulse à chaque test et inscrit zéro dans son carnet jusqu’à ce que la directrice intervienne et obtienne le témoignage favorable de la classe entière contre l’institutrice et réhabilite l’écolier dans son état d’excellence initiale. (3). En classe de seconde, une étudiante à l’INAGHEI lui demande de préparer deux de ses devoirs pour elle. En quelques heures, le jeune homme en arrive à bout. L’étudiante obtient 9/10 et 9.5/10 pour les deux. Mais, en philo, une coïncidence place le jeune homme devant le libellé de l’un des devoirs préparés, deux ans auparavant, pour l’étudiante de l’INAGHEI. Il le travaille avec plaisir et les correcteurs décident qu’il a dû copier le texte quelque part dans un livre parce que ce qu’il a proposé est trop exquis et trop fin pour son museau d’élève de philo. Il obtient 50/200. Mais il réussit le bac malgré tout. (4) À l’Université, il entend avec mépris les défis confrontés par deux étudiants finissants. L’un d’eux achève les cours du cycle d’études cette année-là. L’autre, un vieux de la vieille, a déjà passé dix ans dans l’attente et n’essuie que le rejet systématique de tout ce qu’il présente à son patron. Le jeune homme, un « bleu » âgé seulement de quatre mois à l’Université, rédige les Mémoires des deux étudiants en moins de cinq mois, obtenant mentions B+ et B respectivement. Il y est resté cinq ans, au cours desquels il s’adonne à corriger, à rédiger, à refondre environ vingt-deux mémoires de sortie. La même Université affirme une impossibilité pour son bureau des archives de trouver les notes du jeune homme. (5). Dans les parages de l’Université, un concours s’annonce pour un poste administratif dans une institution connexe, parente de l’Université généralement parlant. Parmi des dizaines de diplômés en Sciences comptables et en Sciences administratives, le jeune homme sort le deuxième lauréat. Le bruit court qu’il devait avoir le libellé de l’examen, à l’avance, puisqu’il ignore, académiquement, les notions de la discipline en question. Par ailleurs, un responsable de l’Université s’est rendu auprès de la direction de l’institution connexe et accuse le jeune homme d’être trop vertical : « Il n’est pas assez humble. Il doit d’abord fléchir les genoux devant nous, les aînés. » On lui a refusé l’emploi en dépit des résultats proclamés antérieurement. Il part. Traverse trois continents. Étudie à tous les niveaux académiques. Il ne baisse pas les bras.

Il rentre au pays. S’installe moins qu’humblement. On dit qu’il a un démon. (6) Car, proclame le député de la ville, il n’a grandi qu’une forêt de barbe. Il n’a ni voiture ni maison et, apparemment, sans un sou. Le député fut son élève dans les cours secondaires, ils ont pourtant le même âge. (7). Des jeunes et moins jeunes viennent le consulter. On le surnomme l’homme-université, une bibliothèque ambulante. Mais à cause de son humble apparence, on insinue qu’à sa naissance ses parents ont interpellé un génie mystérieux ayant depuis lors pris possession de lui. Le gage subséquent lui interdit la richesse et les possessions matérielles. (8) Entre temps, une dame meurt à New York et un Médecin, ancien candidat à la présidence d’Haïti, est incarcéré en Floride. Le frère de celle-là et le gardien de celui-ci se rendent auprès du juge de paix de la ville. En un tournemain, le juge prépare des faux, effectue la vente des propriétés respectives des absents, sépare les revenus avec ses complices. Quand le jeune maitre intervient pour faire entendre la raison à tous, ils en rient de bon cœur en ajoutant : « Il pense que des responsables vont s’attarder dans de telles bagatelles. Il vit dans les limbes. » (9) En mordant ses lèvres d’énervement, il voit s’approcher le fils d’une vieille connaissance et ancien élève. Il vient pour un coup d’œil sur son mémoire juridique. Un bon travail acquiesce le jeune maitre. L’étudiant s’en réjouit et appelle son patron. Il soumet à ce dernier le projet. Les frais du patron s’élèvent à soixante mille gourdes. L’étudiant les paie en un seul versement. Ce patron, Commissaire du Gouvernement en Appel, a mangé les frais exorbitants versés par l’étudiant, prive ce dernier de la possibilité de soutenir sa thèse, invente des ragots sans liens ni justifications académiques, proclame triomphalement : « Voyons s’il peut sortir avec sa licence sans s’agenouiller devant moi ! » (10). Et s’amène une dame murmurant des plaintes inaudibles contre son jeune frère pour l’avoir empêché de charmer le jeune maitre et de devenir sa concubine afin de jouir un tant soit peu de bienfaits économiques. Elle jure par tous les anges, les saints et les démons que son frère ne peut avancer à l’école et est désormais destiné à être un voyou, un vaurien. (11) Nul ne comprend les injures proférées contre le jeune maitre par ses protégés. Ceux-ci jouissent sans trouble ni interférence des propriétés de celui-là. Pourtant, ils lui reprochent d’être venu, d’être présent dans la ville et d’être reconnu en qualité de propriétaire réel de ses propres propriétés. (12) Et remonte à l’esprit un épisode daté de vingt-huit ans de cela. Une jeune fille éprouve des difficultés pour être admise à l’École Normale Primaire. Le jeune maitre a la charge de sélectionner le matériel didactique, formuler les questions, administrer l’examen, effectuer l’évaluation, proclamer les résultats. Le fiancé de la promise demande au jeune maitre d’être bienveillant envers elle. Saisi de compassion, le jeune maitre prépare cent cinquante questions qu’il exige la promise de préparer assidûment. Il la convoque deux fois pour un examen d’essai. Elle n’a pas réussi. La pauvreté du résultat requiert une séance de cours en sa faveur. Enfin, des soixante-quinze questions de l’examen officiel d’admission qui s’ensuit, elle obtient la note exacte de passage. Aucune réciprocité d’aucune sorte n’est attendue d’aucun des bénéficiaires immédiats. Pourtant, le futur mari et grand dignitaire de la République va assister, en silence, vingt-huit ans après, à l’œuvre des vauriens persécutant et tentant de freiner le projet politique du jeune maitre. Le point clou des paradigmes réside dans le cas suivant. (13) Une jeune dame de vingt ans est recherchée par un assassin pour être tuée. Elle risque de ne plus s’asseoir à l’école, à l’Église ou chez ses amis. Se promener à travers les rues est un suicide. Le jeune homme prend son cas en considération. Des menaces et des affrontements repoussent l’assaillant. Elle bénéficie écolage, fournitures classiques, logement dans une pension, nourriture quotidienne de la part du jeune maitre. Elle a réussi le bac, devient infirmière et responsable de clinique. Elle s’associe à famille de son ancien assaillant, entreprend une campagne de dénigrements contre son bienfaiteur.

            Avons-nous encore besoin de poursuivre l’énumération de ces illustrations, les unes plus probantes que les autres ? Ne sommes-nous pas tous, de près ou de loin, témoins de ces faits dans nos sphères respectives ? Car si toutes les générations passées n’ont pas raconté ou n’ont pas vécu tout ce qui vient d’être relaté, alors il s’agit de faits isolés. Par contre, si de nos quartiers, de nos villages, de nos villes, de nos arrondissements, de nos départements, de tout le territoire national s’élève le même cri, génération après génération, des mêmes victimes, la proie des mêmes bourreaux, il nous incombe donc, impérativement, d’aborder la question haïtienne plus en profondeur, avec plus de sérieux, et surtout dans une inflexion réfléchie où nous serons à la fois le sujet et l’objet des fautes les plus cruelles et des améliorations les plus souhaitables. La politique haïtienne, pour atteindre le but et le succès que nous n’avons pas encore connus, doit obligatoirement passer par le filtre des paradigmes susmentionnés afin de se dépouiller de la gangue de nos bavures quotidiennes et de la déchéance devenue si familière. Nous sommes les Messies de nos vies personnelles et de notre histoire nationale.

 

Rabbi Yaakov Betzalel HaShalom                                                                                                                     Porte-des-Etoiles, Km 47, Thozin,                                                                                                                                   Grand-Goâve, Haïti                                                                                                     ryhshbbam1@gmail.com 

We would love to give thanks to the writer of this short article for this amazing content

La culture de la Déconfiture : une attitude préférentielle haïtienne

You can find our social media profiles here , as well as additional related pages here.https://nimblespirit.com/related-pages/