Il était une fois le rap belge

De Benny B à Green Montana en passant par James Deano, Damso, Hamza, Roméo Elvis, Caballero, JeanJass et tant d’autres, on vous raconte la fantastique histoire de la scène rap belge, de ses débuts dans l’ombre jusqu’au triomphe.

« Rap francophone » : il y a encore quelques années, ce terme devenu incontournable n’existait tout simplement pas. Si aujourd’hui les choses ont changé, c’est avant tout et surtout grâce à nos amis belges qui à défaut d’avoir gagné la coupe du monde de foot, ont progressivement su tirer leur épingle du rap jeu. N’ayons pas peur de le dire : de nos jours, l’hégémonie du rap français en francophonie est définitivement terminée et un bon nombre de rappeurs belges s’imposent désormais parmi les plus gros poissons du game. Entre Damso, Hamza, Caballero & JeanJass, Romeo Elvis, Green Montana et Shay, le rap belge fait clairement figure de bon élève de la scène rap francophone.

Mais tout cet engouement ne date pas d’hier. Les esprits les plus étroits se plaisent à penser que le rap belge n’est né qu’au début des années 2010, mais c’est évidemment faux. Quand bien même il est indéniable que la scène a véritablement explosé sur cette période, il serait indécent d’oublier l’héritage de ces pères fondateurs qui ont placé les premières briques de l’Histoire du rap en Belgique

Avant de commencer : petit disclimer : dans la mesure où nous parlons bien de rap francophone, il sera question ici uniquement d’artistes chantant en français. Ceci étant dit, rappelons tout de même que le rap en Belgique ne se limite pas à la langue de Molière. On trouve en effet des artistes néerlandophones. Des figures moins connues chez nous, mais qui mettent un point d’honneur à représenter le côté flamand du Plat Pays. Précision faite, il est temps d’ouvrir cet état des lieux du rap belge avec un petit cours d’Histoire.

1990 – années 2000 : l’ère des OG 

Si la France s’est nourrie de ce qui se faisait aux États-Unis pour forger sa culture hip-hop, la Belgique s’est aussi grandement inspirée de ses voisins de l’ouest. Mais contrairement à une idée reçue qui dit que le rap est arrivé chez nous bien avant chez eux, sachez que le hip-hop a débarqué à peu près à la même période dans nos deux pays. En 1990, alors que MC Solaar sort son premier maxi Bouge de là et que DJ Dee Nastyle aka le « Grand Master » de la Zulu Nation en France, fait tourner ses tapes Megamixes dans Paris et sa banlieue, ça bouge pas mal aussi du côté de notre frontière nord. 

Les deux premiers projets rap historiquement sortis et communément admis en Belgique sont le maxi Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? de Benny B, ainsi que la compilation rap Brussels Rap Convention. En fait, BRC, c’est tout simplement l’équivalent belge de Rapattitude, la compil’ bien connue des premiers OG du rap français. Sur ce projet mixé par Mike Butcher et Tony Baron, on retrouvait les pionniers de la scène rap belge que sont Defi-J, Rayer, Rumky, H.B.B. Band’N Ko ou encore Shark. Vous ne les connaissez sans doute pas et pourtant ce sont eux qui ont pour la première fois gravé les lettres R.A.P sur la Grande Place de Bruxelles. 

Après quoi, d’autres groupes historiques comme, Pee Gonzalez, De Puta Madre ou les artistes de 9mm Recordz se chargeront de développer l’aura du rap belge à l’intérieur de ses frontières. Parmi eux, ceux qui y sont le mieux parvenus sont Starflam, dans la mesure où la formation originaire de Liège et Bruxelles a obtenu un premier disque de platine en Belgique pour son deuxième album, Survivant. (équivaux 30.000 exemplaires vendus). Mais hélas, en dépit de ce succès honorable, la scène rap belge n’est pas encore assez puissante au niveau national et ne dispose pas de médias suffisamment forts pour espérer briser le plafond de verre qui lui permettrait de s’exporter jusqu’en France.

Ceci dit, la donne a failli changer en 2008 avec le succès de James Deano. Qui se souvient de son tube à la fois technique, mainstream et garni d’auto-dérision, Les blancs ne savent pas danser ? Extrait de son premier album Le Fils du Commissaire, ce son a connu un véritable carton et passait en boucle sur toutes les ondes radios belges et françaises. Le rappeur originaire de Waterloo et autoproclamé « branleur de service » avait alors tout pour devenir le premier représentant international du rap belge, mais des soucis de santé viendront malheureusement mettre un terme à son ascension dans le game. 

Dans le même temps, Isha fait ses premières armes dans le rap sous le blase de Psmaker et Stromae -ou plutôt Opsmaestro- commence à rapper ses premiers textes. Mais comme chacun sait, les deux hommes sont encore loin du succès qu’ils connaissent aujourd’hui. L’Histoire nous l’aura montré, il faudra attendre le début des années 2010 pour que le rap belge entre dans une nouvelle ère. Celle qui après des années de galère va tout changer. Celle qui placera définitivement le plat-pays sur la carte du rap francophone. 

Les années 2010 : l’explosion

Ah ! Nous y voilà, enfin le rap belge qui parlera au plus grand nombre d’entre vous. Au début des années 2010, le monde est déjà interconnecté et grâce à la magie d’Internet, il devient de plus en plus facile d’attirer l’oreille curieuse des auditeurs étrangers. Cela La Belgique l’a bien compris et ne s’est pas gênée d’en profiter pour faire valoir ses talents.

Le premier rappeur belge de cette première génération à percer en dehors de ses frontières, c’est Hamza. Avec son groupe Kilogramme Gang, il sort le projet Gotham City Vol. 1, puis Recto Verso, sa première mixtape en solo, mais c’est réellement avec son premier album, H24, que son destin va basculer. Nous sommes en 2015 et au travers des titres comme La Sauce, Mi Amor et Minimum, le jeune bruxellois surprend tout le monde avec un son nouveau : une trap mélodieuse, aérienne et bourrée de gimmicks qui ne manquera pas de toucher les cœurs par sa fraîcheur et sa spontanéité.

A peine six mois plus tard sort l’album Nero Nemesis de Booba. Sur celui-ci, on retrouve pour la première fois Damso sur le morceau Pinocchio. Signé dans la foulée sur le label 92i, le rappeur ne manquera pas de faire sensation grâce à ses paroles à la fois crues et poétiques. C’est en toute logique qu’il enchaînera les succès jusqu’à devenir le fer de lance de la nouvelle scène rap belge à partir de son deuxième album Ipséité

A noter d’ailleurs que B2O n’a pas seulement limité son empreinte en Belgique avec Dems puisque c’est également lui à l’époque qui prend Shay sous son aile. Malgré le faux départ de leur collaboration Cruella, la rappeuse originaire de Molenbeek a vite rectifié le tir avec ses albums Jolie Garce et Antidote. Après ses quelques années d’absence, son concept pour l’heure baptisé Prototype et amorcé par le single DA sera une nouvelle pierre à l’édifice de sa carrière.

Bien sûr, Shay n’est pas la seule artiste qui sort du lot en Belgique. Comment ne pas parler du succès incroyable qu’a connu Lous and The Yakuza ces dernières années ? Au-delà même des frontières belges et françaises, l’artiste et mannequin d’origine congolaise a carrément conquis le cœur des Américains avec son univers musical entre trap R&B et pop et son charisme à toute épreuve. Entre les couvertures de magazines, sa performance remarquée chez Jimmy Fallon et son concert Tiny Desk pour NPR, on peut aisément dire que pour elle, et dans tous les sens du terme, only the sky is the limit.

Face à toutes ces succès stories en solo, Caballero & JeanJass, eux, sont la preuve que l’union fait aussi la force. Lorsqu’ils arrivent en 2016 avec une proposition rapologique bien plus décomplexée, c’est le succès immédiat. Grâce à leur trilogie musicale Double Hélice couplée à la hype autour de leur reality-show complètement fumé nommé High et Fines Herbes, ils ont démontré avec brio que la technique au micro pouvait faire bon ménage avec l’art de l’entertainment à l’américaine. S’ils officient aujourd’hui en solo avec un positionnement davantage axé sur le kickage, en témoigne leur dernier passage chez Grünt, ils resteront pour toujours et à jamais LE duo incontournable du rap belge. 

A peu près au même moment, c’est Roméo Elvis qui débarque avec un titre ô combien prophétique, Bruxelles arrive. Clairement, il n’y a pas mieux que ce texte tout en egotrip pour décrire la frénésie du rap belge à l’époque. Fort d’une voix suave et d’une plume affûtée, le frère d’Angèle fait décoller sa carrière aux côtés du beatmaker Le Motel, avec une série de projets communs baptisée Morale. Il confirmera ensuite son potentiel avec son premier album solo Chocolat et un EP fait-maison pendant le confinement. Ecorné par une fâcheuse affaire d’agression sexuelle en 2020, il compte est récemment revenu avec un album, Tout Peut Arriver

Vous l’aurez compris, durant cette dernière décennie, le rap belge a brillé de partout, dans tous les styles, le tout en restant original et authentique. L’engouement autour de nos voisins wallons est tel que même des MC plus confidentiels, notamment des lyricistes de l’ombre comme Isha, Scylla, La Smala, Slim Lessio, L’Or Du Commun ou encore Veence Hanao, bénéficieront de ce nouveau rayonnement. Incontestablement, durant les années 2010, la Belgique a mis sur la table de sérieux arguments pour prétendre au titre de nouvel eldorado du rap francophone. 

Et vous voulez une preuve qu’il faille désormais considérer la Belgique comme un acteur majeur de la scène rap mondial ? La compilation Paris L.A. Bruxelles produite par Redbull sortie en 2017. Certains l’ont déjà oublié alors qu’il s’agit assurément de l’un des projets les plus importants de ces dernières années pour le rap francophone. En effet, celle-ci nous offrait des collaborations entre Cabellero & JeanJass, Romeo Elvis, Deen Burbigo, Lomepal ou encore Prince Wally, le tout sur des productions taillées sur mesure par nul autre que le grand Alchemist. Le légendaire producteur de la cité des Anges n’est plus à présenter puisqu’il est considéré à juste titre par beaucoup de fans de hip-hop comme le meilleur dans son domaine. On peut d’autant plus être fiers de cette galette que l’entièreté de ses morceaux a été construite avec des samples trouvés dans des disquaires de la capitale française. 

Avec tout ça, la France a bien été obligée d’admettre que l’explosion du rap belge n’avait plus rien du phénomène isolé qu’il était dans la première moitié des années 2000. Par conséquent, il nous a fallu définitivement mettre notre ego de côté et apprendre à regarder plus loin que notre propre nombril. A partir de là, le rap français n’est plus le seul à régner et il faut désormais parler de rap francophone. Aujourd’hui plus que jamais d’ailleurs puisque cette vague faite de noir, de jaune et de rouge n’est pas près de s’arrêter.

Les années 2020 : la relève est assurée

C’est incontestable, même si tous ces artistes ont chacun su se faire une place sur l’échiquier ultra-concurrentiel du rap belge, le leader de cette génération de MCs venus du plat-pays, c’est Damso et personne d’autre. Or, savez-vous ce qui se passe lorsque l’aura d’un artiste devient si puissante qu’il n’a presque plus rien à prouver artistiquement ? Il cherche évidemment à relever de nouveaux défis. 

Pour Dems, ça n’a pas manqué. Sorti grandi de l’expérience QALF Infinity, il a très vite cherché à élargir sa palette de compétence en enfilant sa casquette de producteur.

Désireux ainsi de mettre en avant toujours plus de nouveaux talents, le rappeur de Bruxelles a récemment lancé son label TheVie, en complément du son et de la radio du même nom. Et forcément, quand un rappeur aussi brillant et populaire que Damso adoube de nouvelles têtes, c’est toute la planète rap francophone qui le regarde d’un œil attentif.

Et si ce dernier a en premier lieu accueilli dans ses rangs les producteurs parisiens Paco del Rosso et son homologue de Tours iMan après leur travail d’orfèvre respectivement sur QALF et le titre J’avais juste envie d’écrire, le premier MC qu’il a pris sous son aile est bel et bien belge. Son nom est Kobo. Plus qu’un rappeur, c’est un ami de longue date de Damso et il a rejoint l’écurie TheVie en avril 2022 via une coédition avec Polydor.

Même si on décèle chez lui une parenté évidente avec son pote, notamment au travers son esthétique à la fois sombre et conceptuelle, le rappeur bruxellois de trente ans s’en est très vite émancipé en cherchant par tous les moyens à donner vie à sa vision artistique. Une vision à long terme amorcée par son premier album Période d’essai sorti en 2019 et sublimée par son second long-format Anagenèse dévoilé à la toute fin du mois d’avril 2022. Sous couvert de sonorités éclectiques et toujours plus expérimentales, il se sert de la musique pour exalter ses émotions et promet assurément de devenir un futur montre sacré du rap belge.

Mais si la route vers le succès populaire est encore longue pour Kobo, le futur du rap belge a déjà un nom : Green Montana. Devenu en un éclair une figure incontournable du paysage rap contemporain, le rappeur originaire de Verviers doit d’abord son succès à Isha, mais aussi et surtout à Booba. Le Duc a beau voguer avec son équipage de pirates entre Boulogne et Miami, il a prouvé une nouvelle fois que son regard avait raison de rester fixé sur le plat-pays. 

Tombée sous le charme de sa trap marmonnée à la fois sombre, dure, mélodieuse et mélancolique, le chef des Ratpis s’est empressé de le signer sur son label 92i. Immédiatement après, la magie a opéré et l’artiste de vingt-huit ans s’est envolé jusqu’aux plus hauts sommets. Grâce à son premier album Alaska porté par le single Tout Gâcher, en collaboration avec Booba, Green Montana a très vite trouvé son public. Jusqu’à même parvenir à l’élargir avec son projet suivant, un EP encore plus hypnotisant et baptisé MELANCHOLIA 999. C’est finalement avec son dernier projet en date, l’enivrant et plus que jamais marmonné Nostalgia + que Green Montana a définitivement gagné sa place parmi les nouvelles stars du rap belge.

Évidemment, Kobo et Green Montana ne sont que deux des exemples de réussite belge les plus récentes. En cherchant bien, on trouve sur leurs traces des dizaines et des dizaines de nouveaux talents qui n’attendent plus que leur heure vienne : Gutti, Bakari, Beka, Absolem, Demala, Noam, Zvdu17, Neto, Jonkill, Mojo, Mitxelena, MVLLOS, Yung Mavu (qui avait fait le buzz avec son titre Black Magic), Loubvi, N2C ou encore Whitebwoy et YG Pablo… Ils sont bien trop nombreux pour être tous cités et pardon d’avance pour tous ceux que nous avons oublié. En tout cas avec eux c’est une certitude : le rap en Belgique a encore de beaux jours devant lui.

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